David Bowie, rocker pour dames


David Bowie, rocker pour dames
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david bowie lemmy
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Cette chronique a commencé par un coup de fil de la direction : « Toi qui aimes le rock, fais-nous donc un papier sur Bowie ! » « Le rock et Bowie, quel rapport ? », ai-je répondu à ces ignares amalgameurs. C’est comme si on demandait à un amateur de peinture d’écrire un article sur Andy Warhol. Ce qui fut fait il y a une trentaine d’années par le grand critique d’art Hector Obalk qui démontrait alors magistralement qu’« Andy Warhol n’est pas un grand artiste ». David Bowie, lui, était peut-être un artiste, ou un chanteur pour les filles de tous les sexes, mais sûrement pas un rocker.

Le vrai rock contre les Inrocks

On a tendance à tout confondre, et je peux le comprendre à une époque où on bombarde U2 plus grand groupe de rock du monde, mais il ne faut pas. Le vrai rocker ne se prend pas pour un artiste, il ne vient pas jeter son égo à la face du monde, il n’a ni la prétention ni même l’ambition de révolutionner le genre. Il s’évertue plutôt à creuser un sillon, à travailler un son, à entretenir une flamme, à transmettre un frisson, une secousse et un balancement. Rock and roll. Il se garde bien de détourner le rock de sa source pour le perdre dans les arnaques snobs de la mode ou de la performance. Il ne surfe pas sur les tendances, comme aux Inrocks, et se fout bien de redéfinir les codes d’une culture bidon comme sur Arte.[access capability= »lire_inedits »] En fait, il n’a pas l’âme d’un publicitaire ni celle d’un récupérateur.

Le rocker n’est pas androgyne, polymorphe, transgenre et asexué. Droit dans ses boots, il reste fortement sexué et ne se farde pas plus que sa gonzesse. Il ne tombe pas amoureux d’Amanda Lear mais saute plutôt sa cousine de 13 ans – comme Jerry Lee – ou les groupies comme n’importe qui, entre les amplis. La drogue ne le rend pas dépressif et paranoïaque, elle booste plutôt son énergie sexuelle, et c’est encore défoncé qu’il chante le mieux « Got my mojo working ». Il ne s’invente pas des univers, ne se crée pas des personnages, ne fait pas du théâtre, ne joue pas la comédie et c’est presque poussé par un besoin impérieux de faire cracher son micro, de faire gémir sa guitare, bref, d’envoyer la purée, qu’il monte sur scène. C’est souvent contraint et forcé qu’il se donne en spectacle, mais jamais dans des frusques dessinées par Yamamoto.

Le vrai rock n’est pas un coup monté. Il ne naît pas dans les arrière-boutiques de fringues excentriques mais dans les arrière-salles des pubs enfumés. Une seule écoute des Sex Pistols suffit à un authentique mélomane pour retourner vite fait au pub rock primitif de Dr Feelgood. D’ailleurs, le nom d’un groupe suffit à faire le tri entre le hot stuff et le bullshit. Sex pistols, n’importe quoi ! Et pourquoi pas Ziggy Stardust ou Halloween Jack, ou encore Guns N’Roses ? Le vrai rocker n’a pas besoin de loques rebelles ou de blases en toc, il sait qu’il a plutôt intérêt à reprendre les trois accords là où ses maîtres les ont laissés, et à pousser un peu plus loin le son, la rage et la technique, juste un peu.

Western way of life

Le rocker que j’écoute s’appuie toujours sur une solide section rythmique et sur un souffle chaud, puissant, électrique et volcanique, pas sur un son de guitare aigrelet pour gringalet et les petites mains d’une costumière. Dans toute sa carrière, on ne lui connaît pas de tournant funky et quand il fait du cinéma, on ne le voit ni dans des films de Martiens chiants à mourir, ni dans des nanars esthétisants de vampires avec Catherine Deneuve. Le vrai rocker n’est pas à l’abri des navets, et quand il se laisse entraîner à tourner, dans sa grande naïveté, à Hawaï ou en prison, on pardonne parce que le coup de pelvis d’Elvis, c’est pas « glam et paillettes sur plates-formes boots », c’est sexy. Et sérieusement plus choquant en 1954 que l’autre travesti en 1974.

Le rocker qui fréquente ma discothèque n’a pas contribué à faire tomber le mur de Berlin, comme nous l’annonce le ministre allemand des Affaires étrangères à propos de Bowie. Quoique ! Qui sait si les riffs tranchants d’AC/DC ou le son de fournaise de George Thorogood and The Destroyers n’ont pas donné aux kids de l’Est une irrépressible envie de western way of life ?

Le rocker n’a jamais été un visionnaire comme le clown d’Ashes to Ashes, il sait de toujours et d’instinct que le futur ne vaut pas d’être vu, parce que la soul y devient rap, que le rhythm and blues y devient R’n’B et que la femme, avenir de l’homme, y devient Conchita Wurst. Le rocker préfère se plonger à corps perdu dans les origines de sa musique, dans ces racines qui mélangent l’Irlandais en ballades et le Nègre en esclavage, qui chante le blues quand on lui met des chaînes, contrairement au pneu, qui crisse. Enfin, le rocker se souvient de la leçon de Vince Taylor : « À l’extrémité de la scène rock, il y a la chaudière infernale ». Pas Jack Lang avec une médaille.

Voilà pourquoi, afin d’éviter tout malentendu, j’ai dit non aux patrons. Moi qui n’ai pas eu un mot pour Lemmy, j’aurais dû écrire sur Bowie. Plutôt crever. Même si pour un rocker, j’ai passé l’âge.[/access]

Février 2016 #32

Article extrait du Magazine Causeur



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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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