Grands ravages de printemps


Grands ravages de printemps
(Photo : Gustave Deghilage - Flickr - cc)
(Photo : Gustave Deghilage - Flickr - cc)

Au printemps meurent les prophètes et les illusions. Nous avons vu Mohamed Ali rejoindre le royaume céleste des gros bras, et les mystiques de Nuit debout prendre l’eau. La crue centennale n’a pas eu lieu, et le « big one » se fait toujours attendre en Californie. On a rendu un hommage-footing aux héros de Verdun. La Seine, par ailleurs, coule inlassablement dans le même sens. Bilan d’étape.

 

Bienvenüe à la fête

Le Parisien moyen (et même le Francilien moyen) aime à passer quelques heures de sa journée à fréquenter les entrailles de la terre. Il aime cette exploration mystérieuse, inquiétante, pleine de Jules Verne et d’une mythologie de gaspards souterrains fuyant l’éclat du soleil. Afin d’assouvir les bouffées romantiques de ces aventuriers du quotidien, l’ingénieur Fulgence Bienvenüe, bien que né en Bretagne, eut l’idée de construire un chemin ferré serpentant pour l’essentiel sous le sol de Paris, dans des tunnels, et sortant ici-et-là sa tête d’hydre pour traverser la Seine et reprendre un peu d’air. On a appelé ça le métro. On connaît la suite. Le poinçonneur des Lilas. Zazie. Les accidents graves de voyageurs et les accordéonistes roumains. Mais l’œuvre de Fulgence n’est pas terminée. Le réseau s’étend. Dernier projet en date : le « Grand Paris Express » qui reliera entre elles des villes de banlieue de la petite couronne. A l’occasion du lancement de ce chantier pharaonique la Société du Grand Paris a cru bon de concevoir une « programmation culturelle », dont le point d’orgue a été une grande fête, début juin. Le dossier de presse ne laissait pas de place au doute quant au caractère carnavalesque du propos : « Dès 14h00, parade, performances de danse et de cirque, concerts, balades urbaines, marché culinaire, repas de chantier, créations visuelles, innovations interactives, grand bal populaire et DJ set rythmeront cette journée festive et ouverte à tous. » On a envie de conclure par : « Strike », comme au bowling. Rien n’a été oublié dans cette grande bacchanale moderne. On mettra l’accent sur une incongrue « parade » d’engins de chantiers ! Des « performances chorégraphiques » ! Et un « buffet zéro déchet » ! Métro, c’est trop… ! (Comme disait un célèbre groupe de rockers du siècle dernier).

 

Le fond de l’art effraie

Notons d’abord que des Allemands ont percé le mystère du style et de l’inspiration picturale, grâce à un algorithme et des ordinateurs. Il se passe toujours des choses  fascinantes outre-Rhin, comme par exemple Nina Hagen ou le mur de Berlin. Cette initiative de chercheurs des universités de Fribourg-en-Brisgau et Tübingen s’inscrit peu ou prou dans une démarche similaire : marquer d’une empreinte indélébile l’histoire de l’humanité. Ils ont donc créé un algorithme permettant d’analyser le style des plus grands peintres, puis de le reproduire – mieux qu’un faussaire ne pourrait le faire. Il est ainsi possible, grâce à leurs travaux, de métamorphoser en un clic la photo de votre belle-mère en Picasso époque cubiste ou de transformer la vidéo de votre mariage en un film qu’aurait pu tourner Jérôme Bosch. Nous pensions jusque là impénétrable le mystère du style, enfoui dans les brumes extatiques de l’inspiration… Que nenni ! Tout ça c’était avant la data ! Vivement l’intelligence artificielle ! Que les ordinateurs peignent leurs propres œuvres, puis se copient les uns les autres, à l’infini…

Plus près de nous, à Paris, le Musée d’art moderne de la ville expose régulièrement ses dernières acquisitions. Mu par un farouche amour de l’art et un désir irrépressible de m’isoler quelques heures dans un endroit paisible où l’on ne viendrait pas me parler de l’Euro de football, j’ai décidé il y a quelques jours d’aller y musarder un peu. Je salue les toiles bien connues, je passe sous l’araignée de Louise Bourgeois, et soudain, je tombe nez-à-nez avec la la quintessence de la création contemporaine, ce ready-made colossal – récemment acquis – composé de… deux chaises de jardin… Une œuvre de Mathieu Mercier, intitulée sobrement : « Deux chaises ».

Mention spéciale à la mise en garde : « Merci de ne pas vous asseoir ». On regrette que personne n’ait songé à mettre un écriteau « Défense d’uriner » devant l’urinoir de Duchamp…  Allo, passez-moi Franz Kafka…

 

Choses et autres

Paris, sous le joug du ballon rond. A l’occasion de l’Euro 2016, la mairie de Paris a mis en œuvre un certain nombre de mesures d’ampleur internationale, telles que la création de « fan zones » (avant l’invention des « fan zones » les Français ne savaient pas que les « fan zones » leur étaient indispensables…) ou la dissémination pernicieuse dans Paris d’œuvres d’art à la gloire de ce sport populaire (dont un monstrueux ballon géant entre les premier et deuxième étages de la Tour Eiffel, et des ballons de foot ressemblant à des champignons sortant de terre devant la basilique du Sacré-Cœur.) Soyons forts.

Vivons gaiement dans la peur ! Nous apprenons le lancement, par les autorités, d’une application pour smartphone permettant d’être averti en temps réel de tout péril imminent : attentat terroriste, catastrophe naturelle, explosion nucléaire, rupture de barrage hydro-électrique, concert de Cali, etc. On ne sait malheureusement pas encore si l’appli sera programmée pour alerter les Français sur les signes avant-coureurs du « séisme » prévisible de l’entre-deux tour de l’élection présidentielle de 2017… La France a peur.

Stendhal sous le soleil des spotlights. Victor Hugo avait déjà eu droit à son adaptation en comédie musicale, c’est désormais l’auteur de la Chartreuse de Parme qui est sur le point d’être transformé en soupe opéra-rock. En effet, on annonce que l’épopée romanesque de Julien Sorel et de Mme de Rênal, va être racontée en chansons sur la scène du Palace, à la rentrée. L’auteur est un dangereux multirécidiviste, à qui nous devons également ce chef d’œuvre en péril : Mozart, l’opéra-rock.  Il est bien possible, malgré tous les efforts des maîtres à penser « pédagogistes », que la jeunesse finisse par entendre parler des classiques de la littérature, mais en écoutant NRJ…

La nature est méchante. Un promeneur qui est sorti des chemins balisés du parc national de Yellowstone (Wyoming) a fait une chute fatale dans une source d’eau chaude et acide, le Norris Geyser Basin. Disons plutôt très acide. Le corps du malheureux promeneur – qui n’a pas refait surface – semble s’être entièrement dissout. Je propose que les primaires des Républicains soient jouées façon « chasse à l’homme » dans le Parc de Yellowstone. Pour ou contre ?

Attaque terroriste dans une boîte gay d’Orlando. Dernière minute : Mahomet, qui a beaucoup d’humour, a décidé de faire une bonne blague à l’assassin Omar Mateen : les 72 vierges, exceptionnellement, seront interprétées, par ordre d’arrivée, par : Raoul, Gérard, Jules, Marcel, Raymond, etc.

 

Qui l’eût crue ?

L’année 2016 n’est décidément bonne à rien. Après avoir tué David Bowie et Prince, elle n’a même pas été foutue de nous donner une vraie crue centennale digne de ce nom, avec toute la grandeur tragique que l’on pouvait attendre d’un tel événement… Le zouave devenu scaphandrier, le métro submergé, les Parisiens sillonnant la capitale en pédalo, en pirogues océaniennes à balanciers, en baleiniers, en sous-marins, en bateaux-mouches, en costumes d’hommes-grenouilles… Nous sommes passés à côté de l’apocalypse, de l’Armageddon, d’un extraordinaire one woman show d’Anne Hidalgo luttant seule – dans sa bouée Mickey – contre les flots furieux de la Seine ; nous sommes passés à côté de la submersion totale de Nuit debout, place de la République… Nous avons failli voir François Ruffon et Frédéric Lordin, les Vadius et Trissotin (à moins que ce ne soit les Laurel & Hardy) de l’insurrection qui ne vient pas, régler le ballet aquatique de la contestation depuis des canots gonflables.

Voilà ce à quoi nous avons échappé. Ce sera pour la prochaine fois !

Place à l’été…

Jack Lang, le 21 juin de chaque année



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Il est l’auteur de L’eugénisme de Platon (L’Harmattan, 2002) et a participé à l’écriture du "Dictionnaire Molière" (à paraître - collection Bouquin) ainsi qu’à un ouvrage collectif consacré à Philippe Muray.

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