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"Les roses et les épines" d'Angelo Rinaldi, Éditions des instants


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Le journaliste et écrivain Angelo Rinaldi prenant la pose en 1995 © BERTRAND/NECO/SIPA

Angelo Rinaldi fut un critique littéraire redouté. D’anciens et (parfois) féroces textes sont republiés. L’œuvre de l’écrivain a été marquée par la solitude, la foi tourmentée et un culte du style, se remémore notre chroniqueur.


Angelo Rinaldi est mort le 7 mai 2025. Sa disparition a suscité de nombreux témoignages touchants, de Pierre Michon à Stéphane Barsacq, en passant par Louis-Henri de la Rochefoucauld. Il était né à Bastia, le 17 juin 1940, un jour avant le fameux appel du général de Gaulle invitant à résister et ne pas coucher avec le pétainisme dont nous ne sommes pas totalement sortis. Rinaldi était gaulliste de gauche, mais anti-Mitterrand, n’oubliant jamais ses origines modestes. Il était devenu le sniper de Saint-Germain-des-Prés, exécutant ce qu’il pensait être les fausses valeurs de la littérature contemporaine. Pour lui, un écrivain, c’était ça : « Une voix, un style, un tempérament, une expérience, un inconscient, des impressions d’enfance. » Le style, surtout. Alors ce salarié de la critique, qui avait débuté comme chroniqueur judiciaire à Nice matin, tirait sur les invalides de l’oreille – car un style, ça se reconnait à l’oreille. J’avoue avoir un peu de mal à évoquer avec détachement Rinaldi, même si je devine derrière son regard noisette – le regard des tireurs d’élite – et ses jugements assassins une grande sensibilité portée sur la mélancolie, et une non moins grande solitude.

Légende noire

J’ai cherché des éléments biographiques sur le net. J’ai trouvé un long témoignage sur le site de L’Express, mais l’un de ses fidèles amis, qui lui a rendu visite à la Fondation Rothschild et l’a accompagné au seuil de la mort, m’a dit que le texte était diffamatoire. Un peu de mal, donc, à en parler, même si son ultime livre, Les roses et les épines, un recueil de ses plus percutantes chroniques, m’y pousse, car mes amis littéraires, ceux qui, avec leurs livres, vous soutiennent dans les moments de dépression, ont été, peu ou prou, malmenés – le terme se veut modéré – par Rinaldi. Je me souviens de la remarque de Michel Déon : « Rinaldi tire sur tout ce qui le dépasse. Et comme il mesure 1m50 ! »

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Dans le recueil, Rinaldi est fidèle à sa légende noire. Il ne loupe jamais sa cible. C’est féroce, le trait d’humour ne manque pas, et c’est, reconnaissons-le, parfois subtil. Rinaldi est un écorché vif, érudit, au fond peut-être pas si méchant que ça. Mais sa souffrance, dont j’ignore exactement l’origine, finit par le rendre exaspérant. Et c’est une erreur, car l’autre face du personnage est plutôt attachante. Je veux parler du Rinaldi romancier. Dans ses critiques, il lui arrive de glisser une confidence. Il faut être attentif, et éviter de tempêter contre lui, quand il dégomme un auteur qu’on révère – Simenon, Sollers, Robbe-Grillet, Claude Simon (grand styliste pourtant), etc. À propos d’Albert Camus, rangé dans la catégorie des auteurs qu’il aime « un peu », il y a cet aveu : « La pauvreté, quand on l’a connue dans l’enfance, avec son cortège de menues humiliations, ayant la même vertu que les sacrements, sépare à jamais de ceux qui ne l’ont pas subie, quelle que soit la suite. » Et d’ajouter : « Il aura manqué au génie de Sartre de ne pas s’être lavé ce que je pense dans l’évier de la cuisine. »

Cambriolages

L’un des fils rouges suivi par Rinaldi, une sorte d’idée fixe, reste le déchirement intérieur que vit le croyant homosexuel ; la foi inébranlable, écartelée par la passion non avouable – et condamnée par le Code pénal jusqu’en 1982. Le seul écrivain, selon lui, qui ait résolu le dilemme de la Croix et de la chair, c’est Marcel Jouhandeau – chaque année je lui rends visite au cimetière de Montmartre. Dans son article daté du 12 août 1974, Rinaldi rappelle l’estime littéraire qu’il porte à l’auteur des Journaliers : « Avec ses malices, ses tourments religieux, son appétit de jouissance, son perpétuel balancement entre les garçons, dont la beauté le damne, et Dieu, dont la beauté l’absout. »

Si Rinaldi, souvent, nous crispe, il lui arrive de nous faire sourire. Par exemple, quand il résume l’œuvre de Le Clézio : « Dans l’ensemble, les ouvrages de M. Le Clézio font songer au bulletin de la météo quand le présentateur annonce une persistance du temps couvert avec passage de très belles éclaircies. » Ou encore lorsqu’il l’achève d’une balle dans la tête en le comparant à « du Saint-John Perse délavé ». Très vite, cependant, notre esprit s’assombrit. À propos de Claude Simon, alors que ses analyses psychologiques ne manquent pas de pertinence, Rinaldi frise la faute de goût : « L’ensemble, à l’exception de quelques moments de lyrisme, est d’un laborieux qui exclut le moindre souffle de grâce. »

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Tout cela, au fond, n’a guère d’importance aujourd’hui. Rinaldi et ses cibles appartiennent à un même monde avec des approches, non plus opposées, mais complémentaires. Ses chroniques nous permettent de garder l’œil sur le meilleur des uns et des autres. Car Rinaldi avait ses écrivains de cœur, à commencer par Céline, dont il a su percevoir l’essence de son œuvre : « (…) il a besoin de l’horrible pour nourrir sa verve, satisfaire son appétit de désastres, (…) il n’est à l’aise que dans la malédiction et la boue dont il pétrit ses livres. » Ce monde, quand Rinaldi était le critique le plus redouté de France – à L’Express, au Figaro littéraire – comprenait environ 10 000 lecteurs – des lecteurs capables de lire aussi bien Gracq que Sollers. Ce « chiffre d’or » n’a sûrement pas augmenté. Il aurait même tendance à avoir maigri. Or l’affaiblissement de la lecture produit de très bons esclaves.

Angelo Rinaldi était très subjectif, il ne s’en cachait pas. Lui qui avait fini par rejoindre les rangs de l’Académie française, après avoir obtenu le Prix Femina en 1974, écrivait, lucide, le 10 novembre 1989 : « Dans le livre qu’on visite – qu’on cambriole, en fait – on laisse ses empreintes digitales aux inspecteurs de la postérité dont le flair ne sera pas forcément supérieur au nôtre. »

Angelo Rinaldi, Les roses et les épines, Chroniques littéraires, Éditions des instants. 272 pages

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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