Quand Juppé se tweete une balle dans le pied


Quand Juppé se tweete une balle dans le pied
Alain Juppé, début mai 2016, lors d'une conférence de presse à Bordeaux (Photo : SIPA.00756566_000012)
Alain Juppé, début mai 2016, lors d'une conférence de presse à Bordeaux (Photo : SIPA.00756566_000012)

Dans la nuit de dimanche à lundi, un jeune ardéchois de 17 ans connu sur la toile sous le pseudo de Candide, a publié un gag : un faux tweet signé Alain Juppé dans lequel il souhaite un « bon ramadan à tous mes frères et sœurs en islam ».

Cependant, ce lycéen, habitué à ce genre de montages, qui se veulent satiriques, ignorait – ou bien oubliait – le mot de Desproges : « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui ». En moins de 24 heures, ce faux tweet, très partagé, est devenu l’un des sujets les plus discutés sur le réseau de micro-messages. Si nous évoquons cette petite blague, ce n’est pas pour parler de l’humour militant du lycéen qui s’est justifié en disant vouloir « s’amuser du cliché selon lequel Alain Juppé serait très islamophile, selon l’extrême droite », mais bien politique, car la réaction d’Alain Juppé et son équipe à cet incident apparemment insignifiant nous en dit beaucoup sur le maire de Bordeaux candidat à primaire des Républicains et peut-être à la présidence.

Le premier à réagir a été Gilles Boyer, directeur de campagne du maire de Bordeaux. Selon le bras droit de Juppé, le compte Twitter de ce dernier a été tout bonnement « hacké » (il a depuis effacé ce message, ndlr).

Une information fausse, démentie quelques heures plus tard quand l’identité de l’auteur du faux tweet a été révélée. C’est à ce moment qu’Alain Juppé lui-même est entré en scène en annonçant avoir porté plainte contre X dans un commissariat de police de Bordeaux. De son côté Candide, et ce n’est pas surprenant, a jugé cette réaction un peu trop sévère, s’étonnant dans un article du site Buzzfeed qu’« un homme ayant 35 ans de vie politique derrière lui porte plainte contre un montage d’un ado de 17 ans qui n’est pas même injurieux. Cette histoire ne l’honore pas. »

C’était aussi l’avis de plusieurs internautes qui, trouvant la réaction du maire de Bordeaux disproportionnée, ont lancé une petite campagne de soutien au lycéen ardéchois via le hashtag #FreeCandide. Finalement, Benoist Apparu, a essayé de tourner la page. « Dont acte, le jeune s’est excusé donc il n’y aura évidemment pas de suites par rapport à ça » déclarait ce matin sur France Info l’ancien ministre qui soutient la candidature de Juppé.

L’équipe Juppé se noie dans un verre d’eau

L’impression que nous laisse cet incident de prime abord dérisoire est que Juppé et son chef d’état-major se sont noyés dans un verre d’eau, tant le nombre d’erreurs commises en si peu de temps est impressionnant, surtout par rapport au problème qu’il leur a fallu réglé. Tout d’abord le directeur de campagne annonce une fausse information. Pourquoi ? A-t-il réagi sans consulter les personnes chargées du numérique dans l’équipe de campagne ? Et s’il l’a fait, celles-ci l’ont-elles mal renseigné ? A ce premier dysfonctionnement s’ajoute la décision hâtive de porter plainte. Comment a-t-elle été prise ? A l’évidence, il s’agit d’une erreur car de la position de victime d’une mauvaise blague qui est une opportunité en or pour le candidat de gagner des points, Juppé et son équipe se sont mis très vite dans une situation où ce sont eux les persécuteurs d’un jeune lycéen maladroitement antiraciste, obligés de mener en urgence une opération rétropédalage pour sauver les meubles. Tout cela révèle une grande nervosité de la part d’une équipe de campagne où la communication entre l’état-major et les autres membres n’est pas très fluide. Et, au passage, voilà réduit en miettes, en quelques heures seulement, tout leur travail visant à rendre Juppé « djeun’s compatible ».

Mais tout cela est encore plus intéressant quand on prend un peu de distance. En fait, cette affaire ridicule arrive à un moment où, pour la première fois depuis longtemps, la campagne Juppé ne ressemble pas à une promenade de santé. D’abord ce sont les sondages qui depuis quelques semaines sont moins favorables. Ensuite c’est François Baroin qui rejoint Nicolas Sarkozy en « balançant » sur le « meilleur d’entre nous », rappelant que les « enfants » de Chirac ne partagent pas nécessairement ni l’amour fraternel ni le jugement et les préférences de leur père en politique. Et puisque, comme l’a justement observé le mari de Bernadette, « les emmerdes, ça vole toujours en escadrille », la question identitaire, un sujet très sarkozyste qui est le talon d’Achille d’Alain Juppé, fait également son retour à l’ordre du jour (et l’affaire du faux tweet n’est d’ailleurs pas complément étrangère à cette problématique). Les plus vigilants ajouteront à cette liste la question que le Monde, pourtant temple du conformisme, a osé mettre à sa une récemment : « Alain Juppé guetté par la “balladurisation” » ?

Les équipes de Juppé se préparent à deux campagnes dures, violentes et brutales : la primaire des Républicains et l’élection présidentielle. Pour le moment nous sommes toujours dans une « drôle de guerre », c’est-à-dire que les hostilités n’ont pas vraiment débuté. En clair, on n’a pas encore commencé à tirer vraiment. Or, le premier pétard, de surcroît un peu mouillé, envoyé sur Twitter par un gamin potache, fait perdre la tête à l’état-major. Les conséquences ne sont pas très graves. Mais si les choses ne changent pas rapidement – ce qui est possible uniquement s’il ne s’agit pas d’un problème plus profond et irrémédiable de caractère et de méthodes de la part d’Alain Juppé et de sa garde rapprochée – on peut légitimement se poser des questions sur la capacité de cette équipe d’emporter des combats autrement plus rudes. Ou de diriger un grand pays.

>>> Retrouvez en cliquant ici l’ensemble de notre dossier « Juppé : le pire d’entre nous ? »



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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