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DSK, déjà élu ?


DSK, déjà élu ?

Anne Sinclair DSK

Tout le monde semble d’accord: au vu de sa prestation sur France 2, le 20 février, il y a fort à parier que Dominique Strauss-Kahn sera au moins candidat à la primaire socialiste avant la présidentielle. Sonnez hautbois, résonnez musettes, l’arme fatale au sarkozysme est en route de Washington ! En dépit des sondages formidables d’un côté, des cotes de popularité en capilotade de l’autre, il faudrait quand même regarder avec un peu de lucidité cette candidature. Qui ne va pas autant de soi que cela et ne sera pas, le cas échéant, la simple formalité qu’on dit. La France, c’est pas du tout cuit pour DSK.
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Commençons par les facteurs internes à la gauche : même s’il semble ultra-dominant et que, dans un second tour fantasmé, il bat le président sortant à plate couture, les socialistes devraient se souvenir qu’il y a un premier tour. Un premier tour avec d’excellents candidats à gauche, chacun dans leur genre : Mélenchon, pour les allergiques à l’Europe, à la mondialisation heureuse, à l’économie responsable et, accessoirement, aux journalistes ; pour ceux qui seront tentés par un verdissement brutal de l’économie et des modes de vie, il y aura Éva Joly ou Nicolas Hulot. Et ne parlons pas de Marine Le Pen, candidate décomplexée de la gauche et de la droite, qui peut raisonnablement espérer que son discours protecteur voire protectionniste ne séduira pas seulement les électeurs de Sarkozy mais plus encore des électeurs des classes dites « populaires », ceux qui prennent en pleine figure la concurrence de la Chine ou du Bangladesh dans leurs usines et n’ont sans doute pas toujours digéré que les banques, dont on leur avait expliqué qu’elles étaient responsables de la crise, recommencent à flamber à peine deux ans après avoir été sauvées par l’argent public.

Car DSK, quoi qu’il en dise, va devoir assumer son rôle de candidat de la mondialisation régulée − ou pire, de la mondialisation heureuse − et son job de patron du FMI. Les critiques de l’extrême gauche vont fuser sur ce point : affameur des Africains qui souffrent, détricoteur de la protection sociale, père-la-rigueur pour les Grecs et les Irlandais… À côté, Jean-Claude Trichet, le patron de la BCE, aura presque l’air d’un keynésien. Comment faire le boulot au FMI et en même temps dire aux électeurs français les plus fragiles (c’est-à-dire ceux qui détermineront le résultat de l’élection), qu’il ne faut pas céder devant la Chine, l’Europe, l’euro, la BCE, les marchés financiers, voire le FMI, alors que son fauteuil de boss démissionnaire sera encore chaud bouillant ?

Contesté à gauche, l’époux d’Anne Sinclair doit savoir que la droite ne lui fera pas de cadeau et saura ressortir ses photos, au G20, à côté de Christine Lagarde ou faisant la promotion des plans d’ajustement structurels (comme on appelait ça autrefois), en clair des purges libérales supposées éviter la faillite des pays cigales. Préoccupation assez éloignée de celles des classes moyennes qui ont d’autres priorités : comment gagner un peu mieux sa vie, garder son boulot, faire en sorte que ses enfants aient une meilleure situation que la sienne, s’occuper dignement de ses vieux parents.

Ne revenons pas sur l’éloignement du candidat de la mère-patrie depuis quelques années. Cet argument de choc traduit une inquiétude bien réelle, attestée par les données des sondeurs. À distance, le supposé champion du PS sera de surcroît dans l’incapacité de maîtriser les thèmes de campagne, ce qui lui compliquera considérablement le travail. La gauche en général, le PS en particulier, empêtré qu’il est dans ses tendances droits-de-l’hommistes et ses postures diversitaires et différentialistes, détestent qu’on parle de l’islam et même de laïcité. Or, les socialistes et leur candidat ne pourront pas balayer d’un revers de main ces questions posées sur la place publique pendant des mois − même si, à droite, certains n’en veulent pas. Il leur faudra mettre les mains dans le cambouis de la réalité.

Rappelons enfin que, s’il y a un premier tour avant le second, il y aura normalement des primaires avant le premier tour. Et les autres prétendants socialistes n’ont pas encore rendu les armes. Hollande (malgré ses rencontres « secrètes » avec DSK) affirme qu’il sera candidat quoi qu’il arrive – sauf s’il perd les cantonales. Ségolène Royal ne lâche pas l’affaire. Montebourg ne bouge pas mais n’en pense pas moins. Martine Aubry travaille son profil d’unificatrice et s’offre deux déplacements en province par semaine sous couvert de cantonales. Seul Manuel Valls a annoncé son intention d’abandonner si DSK se dévoile d’ici au 13 juillet. Or, contrairement au patron du FMI, tous ses rivaux et néanmoins amis sont en position de s’adresser directement aux socialistes et aux Français sans avoir besoin du truchement de leur épouse pour dénoncer la politique de Sarkozy.

L’homme providentiel du PS ne parviendra pas, par la seule grâce de l’annonce de sa candidature, à annuler tout le processus. Mais son entrée en lice sera l’occasion de mesurer la profondeur du fossé idéologique qui sépare les nombreux chefs de file du PS : un secret de famille et de Polichinelle dans un parti qui ressasse à l’envi la vieille antienne de Mitterrand sur le « talisman de l’unité » tout en émettant, sur la plupart des grands sujets, un message cacophonique.

Reste, bien sûr, la dégringolade du président, y compris dans son camp. Peut-être qu’après s’être fait rouler dans la farine par le verbe sarkozyste, les électeurs seront plus enclins à se laisser embobiner par son adversaire. Mais on peut imaginer, au contraire, qu’ils décideront que, cette fois, on ne les aura pas.

Autant dire que rien n’est joué, quel que soit le conte de fées que se raconte une micro-caste qui prend ses désirs et les oracles de sondeurs bienveillants pour des emprunts d’État helvétiques. Ces éminents stratèges semblent avoir oublié qu’aux élections, les gens votent et qu’ils ne se demandent pas seulement pour qui, mais pour quoi.[/access]

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Mars 2011 · N°33

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste

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