Introduction à l’érotisme épistolaire chinois


Introduction à l’érotisme épistolaire chinois

Plusieurs lecteurs et lectrices, tout en saluant l’austère et pédagogique feuilleton en cinq tranches de blog sur la « plongée dans les entrailles de Taïwan », m’ont rappelé dans des messages vers mon électroboîte de photographe que mes tribunes qui les avaient le plus émoustillés avaient été celles sur la galerie de Mme Canet et ses curiosa, près de l’ancien Chaînais, ainsi que l’éventail d’options offert aux femmes.

La demande est discrète mais réelle concernant les traditions bien établies de l’érotisme chinois, ou formosan, de la part de ceux et celles qui suivent mon blog.

Pour répondre à leurs vœux :

– Côté Formose : je termine en ce moment la relecture de la version bilingue chinois-français d’un texte charmant par une amie flutiste taïwanaise qui fait ses classes en France. Je suis très tentée de mettre en valeur ne serait-ce que son introduction  que je trouve d’une grande bonne humeur ; mais il me faut encore un peu de temps pour l’aider à relire la version française. J’en ferai donc certainement ma trentième tranche de blog, entièrement bilingue (pour encourager à l’apprentissage de la langue chinoise), d’ici quelques jours.

– Côté Chine : je me suis donc résolue, dans un premier temps, à ressortir de mes tiroirs une série de cartes postales qui furent imprimées quand j’étais encore une jeune écolière, comme cadeau par un groupe d’anciennes maîtresses à un couple qui allait fêter le douzième anniversaire de leur mariage.

Il y avait une demi-douzaine de séries (une par ancienne amante probablement) pour six et douze images dans chaque série. J’ai choisi d’en présenter ci-après une seule complètement, celle monochrome avec texte,  pour mettre en valeur mes talents de paléographe. Mais j’offre aussi deux images extraites d’autres séries pour donner une idée de leur diversité.

On vient de m’expliquer que si j’avais eu la possibilité d’étudier ces images gravées sur pierre ou sur des plaques de terres cuites, je n’aurais pas été une apprentie-paléographe mais une candidate-épigraphiste. Ce blog me permet de découvrir des mots français nouveaux pour moi ; et de rêver que j’aurais pu me lancer dans une carrière parisienne de paléographe sentimentale ou d’épigraphiste érotique, si je n’avais pas choisi la photographie.

Le lecteur parisien est sans doute habitué à des curiosa chinois un peu différents, type peintures sur soie dans des livres du genre Nuages & pluie. Les bois gravés que je donne ci-après (et ceux que je ne montre pas, en tous cas pas immédiatement) appartiennent à une toute autre tradition, celle des modestes œuvres pédagogiques sur pauvre papier (souvent avec légers rehauts de couleurs) qui étaient vendues sur les marchés en Chine du Nord au début du XXème siècle pour l’éducation des jeunes marié(e)s.

Sur cette image, l’homme porte encore la natte (enroulée autour du crâne) : nous sommes donc avant 1911.

La courte série que je présente intégralement est monochrome mais enrichie de courts textes, les autres séries se passant de commentaires. Reste-t-on paléographe s’il n’y a que des images et pas de textes ? Même si je ne présente pas bientôt ma candidature à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, je ne prends pas de risque : je donne la préférence aux images commentées.

要幹媳婦不用學 Yào Kàn Xí Fù Bù Yòng Xué 

有了銀兩就能嫖 Yǒu Le Yín Liǎng Jiù Néng Piáo

二人將行雲雨事 Èr Rén Jiāng Háng Yún Yǔ Shì

左手攢著一隻腳 Zuǒ Shǒu Cuán Zhe Yī Zhī Jiǎo

   二人動春心 Èr Rén Dòng Chūn Xīn 

摟抱把口親 Lǒu Bào Bǎ Kǒu Qīn

往來數十遍 Wǎng Lái Shù Shí Biàn 

今科入紅門 Jīn Kē Rù Hóng Mén 

 二人動春情 Èr Rén Dòng Chūn Qíng

摟抱在懷中 Lǒu Bào Zài Huái Zhōng 

費盡平生力 Fèi Jìn Píng Shēng Lì 

強勝似拉弓 Qiáng Shèng Sì Lā Gōng 

扛起一根杆 Káng Qǐ Yī Gēn Gǎn

洞裡走一番 Dòng Lǐ Zǒu Yī Fān

洛道公子進堂名 Luò Dào Gōng Zǐ Jìn Táng Míng 

得與妓女婚配成 Dé Yǔ Jì Nǚ Hūn Pèi Chéng 

     天子中英豪 Tiān Zǐ Zhōng Yīng Háo 

肏屄要勤學 Cào Bī Yào Qín Xué 

一宿幹八遍 Yī Xiǔ Qain Bā Biàn 

不怕種色癆 Bù Pà Zhǒng Sè Láo 

二人余動心 Èr Rén Yú Dòng Xīn 

喜笑把臉親 Xǐ Xiào Bǎ Liǎn Qīn 

暫行雲雨事 Zàn Xíng Yún Yǔ Shì 

不亞舊朱陳 Bù Yà Jiù Zhū Chén

                少年強壯寔可當 Shǎo Nián Qiáng Zhuàng Shí Kě Dāng

雞巴長了如鐵鎗 Jī Bā Cháng Le Rú Tiě Qiāng 

夜戰八回不足量 Yè Zhàn Bā Huí Bù Zú Liàng 

青筋爆流硬如箭 Qīng Jīn Bào Liú Yìng Rú Jiàn 

L’homme, dans cette image, attache une grande importance érotique à empoigner l’un des deux lotus d’or et à sucer l’autre. Cette attirance notoire pour les petits pieds (débandés pour l’occasion) a beaucoup interloqué les Occidentaux qui furent au contact de la civilisation chinoise. Pourtant les orteils en Occident sont également l’objet de fascinations intenses et de soins langoureux : une langueur qui attend l’émotion, avec la langue donc, en prolégomènes ; et par des massages doux avec les doigts (ou la bouche encore) qui conduisent à l’assoupissement après l’extase.
La bordure du cadre comporte de nombreuses chauves-souris qui sont en Chine des symboles de la félicité, sans doute à cause de l’homonymie entre les caractères pour chauve-souris [蝙蝠BianFu] et l’un des bonheurs [福Fu], l’abondance. En fait il en faut trois pour les trois bonheurs que sont abondance 福 Fu, Bonheur  祿 Lu  et longévité 壽 Shou. Vivant la nuit, chassant les moustiques, la chauve-souris ne peut être que favorable aux ébats amoureux, le plus souvent nocturnes dans toutes les civilisations. C’est un être volant dont le (remarquable et remarqué) pénis, chez les males, permet de comprendre qu’on a pas affaire à un pigeon déguisé. Nous sommes donc loin en Chine de la chauve-souris vampire associé à Dracula [XiXieGui 吸血鬼], et plus près du baphomet ithyphallique que l’un de mes premiers amants parisiens m’emmena découvrir en haut du porche de l’église Saint-Merry, sous le prétexte sage en apparence – pour un premier rendez-vous  – de visiter une église (cinq minutes après, il me lutinait derrière un pilier).

Le baphomet de l’église Saint-Merry, mais il a perdu son caractère ithyphallique …

Les Chinois furent – si possible – en fonction de leur statut social et de leur fortune – polygames. Le lecteur remarquera trois partenaires, ci-après, dans l’un de ces ébats conjugaux : deux femmes et un homme ; alors que la tendance en France est désormais plutôt à « une femme et deux hommes ». Ce qui paraît plus logique et plus satisfaisant si une femme préfère les hommes aux femmes ; mais aussi un juste retour des choses dans une époque qui met en valeur les droits des femmes et la satisfaction la plus complète de leurs plaisirs.  

La  coupe de cheveux de l’homme permet de dater cette image d’après 1911, puisqu’il ne porte plus la natte [辮子BiànZǐ qui était d’usage avant la révolution républicaine [辛亥革命XīnHài GéMìngsous la dynastie mandchoue des Qing [清朝 QingChao]. La tapisserie du fauteuil suggère une influence occidentale indéniable, alors que les petits pieds, les « lotus d’or » [三寸金蓮 SānCùn JīnLián indiquent la rémanence de la tradition chinoise.
Pour autant me fait remarquer une amie qui lit par dessus mon épaule, en caressant l’oreille de mon amant, deux femmes peuvent entre elles suppléer parfois mieux à la trop grande hâte (ouà l’épuisement rapide de l’énergie) d’un seul homme, voire de deux hommes — ajoute-t-elle. Mais je la soupçonne de préférer les femmes, tout en prétendant être humaniste (est-ce dans ce cas le bon mot pour le miroir de féministe ?). Le débat est ouvert depuis des siècles et n’est pas près d’être clos.

A l’intention des amateurs et des conservateurs de musées, je précise que les images originales (que j’ai aperçues, encadrées, et qui constituaient le véritable cadeau au couple ainsi honoré par leurs anciennes maîtresses) étaient à peine plus grandes que des cartes postales contemporaines et étaient vendues en rouleaux, moins chers et plus discrets que des albums.

A ma connaissance, la BNF et les musées français ne conservent pas ce type d’authentiques œuvres didactiques populaires. Cette demi-douzaine de séries mériterait sans doute, sinon une thèse, du moins un mémoire de maîtrise à l’Ecole du Louvre.



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est une photographe taïwanaise installée en France.

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