La diplomatie zéro-polaire de Laurent Fabius


La diplomatie zéro-polaire de Laurent Fabius

fabius quai orsay bercy

Le 15 janvier, Laurent Fabius était l’invité du dîner de La Revue des Deux Mondes. Dans son numéro de mai, le discours du premier de nos diplomates est retranscrit sous le titre « Les priorités de la politique étrangère de la France« . Pour celui qui se sentirait perplexe voire perdu face aux soubresauts de la stratégie française depuis deux ans, le titre est alléchant. Malheureusement, il s’agit davantage du reflet d’une pensée diplomatique fourre-tout plutôt que de vraies priorités. Théoriciens et praticiens des relations internationales s’abstenir.

D’emblée, la phrase d’accroche donne le ton: « La France n’est pas la plus grande nation du monde et néanmoins il suffit de lire la presse anglo-saxonne pour constater qu’on nous fait beaucoup de compliments sur notre politique étrangère. » Sans complexe, Laurent Fabius évalue sa politique à l’aune des commentaires des journalistes anglo-saxons. Les faucons du Times ou de Fox news sont satisfaits et il faut qu’on sache pourquoi.
Pour expliquer ces éloges, Fabius dresse un tableau caricatural de l’histoire diplomatique contemporaine  : avant-hier un monde bipolaire et hier un monde unipolaire où tout était simple. Aujourd’hui, « le chaos zéro-polaire« , jargonne notre diplomate en herbe. Un monde où la France est bien seule à encore jouer les justiciers depuis que les Américains ont lâchement abandonné la cause. « La France est un des seuls pays qui peut intervenir, dont la parole soit action » déclame sans rire Laurent Fabius, avant de décliner les moyens de cette action autour de quatre objectifs :
Premièrement, la paix et la sécurité en menant la guerre contre le terrorisme en Afrique et en luttant contre la prolifération des armes de destruction massive (il cite l’Iran mais oublie de mentionner la Syrie…). Donald Rumsfeld, sors de ce corps!
Le second objectif diplomatique est une consensuelle tarte à la crème climatique. Lors de la conférence multinationale qui se tiendra à Paris, « beaucoup de décisions que nous allons prendre seront dictées par cet objectif« . Pour des résultats connus d’avance: une déclaration d’intention sans suite (mais surtout une belle tribune où Ségolène Royal jouera des coudes sur la photo finale).
Le troisième objectif, c’est l’Europe. Elle doit « avancer concrètement sans nous perdre dans d’inutiles et longues discussions institutionnelles. » Parce que les institutions européennes c’est pas du concret? Ça pourrait rappeler de mauvais souvenirs à notre diplomate-en-chef. Le référendum de 2005 par exemple…
Enfin le quatrième objectif, l’unique réelle priorité de Laurent Fabius: la diplomatie économique. Contrats en Chine, en Arabie Saoudite, en Turquie ou à Cuba, les discours sur les droits de l’homme ressassés sur tous les tons à Paris disparaissent dès qu’on parle d’argent. Mais c’est de bonne guerre. Après les municipales, François Hollande avait aussi songé à Fabius pour occuper Bercy ou Matignon. Au fond, il savait bien que l’économie est son seul vrai intérêt. Mais vous comprenez, l’économie française c’est un peu ennuyeux. Alors, Fabius a fait rebaptiser son portefeuille « ministère des affaires étrangères et du développement international ». Et pourquoi pas « ministère des finances étrangères » avec Fleur Pellerin comme ambassadrice de la fabiusie internationale? En réalité, les grandes questions de paix et de sécurité sont périphériques pour le chef de notre diplomatie. D’ailleurs François Hollande préfère les analyses de Jean-Yves Le Drian sur les dossiers ukrainien, iranien, syrien, africain…
Pour preuve, alors que le Congrès américain s’apprête à établir une liste de sanctions qui frapperait le cabinet du Kremlin, François Hollande d’après Le Figaro, recevra Vladimir Poutine à dîner à l’Elysée, la veille du 70ème anniversaire du débarquement. Sans doute l’occasion de rassurer les chantiers navals de St Nazaire. Le Tsar de toutes les Russies et notre président normal partageront ensuite en Normandie la tribune en compagnie d’une quinzaine de chefs d’Etat. Laurent Fabius entre Vladimir Poutine et la Reine d’Angleterre, un selfie inoubliable sans doute!
Car sur le dossier ukrainien, Hollande (comme Obama) est pressé de tourner la page:  » Nous ne devons pas considérer seulement la Russie d’aujourd’hui pour laquelle nous avons d’ailleurs de l’amitié mais aussi la Russie qui a été solidaire avec la France dans l’épreuve et qui a payé un lourd tribut pour lutter contre le nazisme. » Du de Gaulle dans le texte! Au conseil européen de Bruxelles du 21 mars, un tel archaïsme a suscité la sainte colère de la Ligue des droits de l’Homme: « La venue de Vladimir Poutine ne doit pas apparaître comme une caution de son régime« . Ce n’est pas la presse anglo-saxonne qui dira le contraire…



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est responsable des questions internationales à la fondation du Pont neuf.

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