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Un enchaînement de terreur et de sauvagerie tribale.


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Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk / Capture d'écran YouTube d'une vidéo de la chaine The Upcoming du 24/08/2022

Le Serment de Pamfir, premier long métrage de l’Ukrainien, Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk, est un thriller rural, un conte ténébreux qui s’impose en chef-d’oeuvre.


Un long métrage ahurissant nous arrive, écrit et réalisé par un cinéaste ukrainien de 39 ans à l’élégance de jeune guerrier, Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk – ça se prononce comme ça s’écrit… Retenez son prénom, au moins !  Découvert à Cannes, Pamfir (c’était son titre d’alors) est passé à deux doigts de la Caméra d’or, ce prix prestigieux qui récompense un premier film. Le jury de la Croisette lui a préféré War Pony, production américaine sur deux petits amérindiens, fiction probablement jugée mieux pensante et définitivement consensuelle… C’est dommage. Car Le Serment de Pamfir (désormais son titre pour la sortie française du film en salles) échappe à toutes les catégories. Sinon celle qui le désigne d’emblée pour un chef d’œuvre.

Nous voilà transportés en Ukraine, aujourd’hui, fort loin des hostilités qui y sévissent, dans un village en bordure de la frontière roumaine, où un atelier est dédié à la fabrication des masques de carnaval promis à se voir portés lors de ces fêtes ancestrales dont la tradition singulièrement païenne perdure, au cœur de pieuses communautés rurales frappées par l’indigence, sur le flanc occidental du pays. De fait, chaque année, dans la nuit du 13 au 14 janvier, la Malanka s’empare de la contrée – furieuse bacchanale qui mêle libations, réjouissances, allègres combats en corps à corps…

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D’où la première image, très étrange, de cet homme dissimulé sous un pagne et affublé d’un masque grimaçant…  Le film s’amorce avec le retour du père, surnommé Pamfir (dans le rôle-titre, Oleksandr Yatsentyuk, inoubliable), absent depuis de longs mois pour des raisons qui ne nous serons dévoilées qu’ensuite, à mesure que l’intrigue se ramifie. Pamfir ? Une sorte d’ogre viril, à l’autorité patriarcale très affirmée, au physique impressionnant et au mental invincible selon toute apparence. Effectué le bref coït animal inaugurant les retrouvailles conjugales, l’homme a ménagé pour Nazar, son fils adolescent (émouvant et gracile Stanislas Potiak), la surprise d’un vélo flambant neuf tout droit importé de l’Ouest, en cadeau… Nous voilà donc bien loin de Kiev, dans ces confins enclavés aux mœurs frustes, emprunts de brutalité, où la contrebande reste un mode de survie, sur fond de terreur mafieuse. Tête brûlée, le petit frère de Pamfir est d’ailleurs en cheville avec Oreste, le garde forestier, immonde satrape ventru qui régente ce petit territoire, aidé si besoin de nervis à sa solde…

Affiche promotionnelle du film Le Serment de Pamfir

N’en disons pas trop. L’extraordinaire, dans ce thriller rural qui résonne de toute la puissance tellurique d’une tragédie grecque, c’est la façon dont le cinéaste maîtrise souverainement, avec une même stupéfiante virtuosité, d’une part l’inexorable progression de son récit, dans un suspense vertigineux, intrinsèquement alimenté, de fil en aiguille, par des indices distillés selon une économie scénaristique de haute précision ; d’autre part la coruscante machinerie visuelle qui, dans une fluidité parfaite, au fil de longs plan-séquences réglés au millimètre, nous porte sans la moindre baisse de régime jusqu’à un épilogue ouvert sur un rai de lumière possible, dont le juvénile Nazar figure l’instrument propitiatoire.

Vite maîtrisé, l’incendie criminel d’une église de campagne, au début du film, charrie ainsi toute une fatalité d’événements dont les protagonistes sont à la fois les déclencheurs et les otages. Envoûtant d’un bout à l’autre, habité d’une lueur spectrale, Le Serment de Pamfir prendra, de proche en proche, les couleurs d’un conte ténébreux, dans un enchaînement de terreur et de sauvagerie tribale qui imprègne jusqu’à la texture de l’image. C’est particulièrement vrai des scènes de carnaval : elles vous emportent dans leur transe onirique avec une force ensorcelante. Entendons-nous, rien d’ésotérique dans cette première œuvre admirable, habitée d’un vrai climat.  

Tant de nos médiocres et surnuméraires cinéastes hexagonaux, si attachés à notre sacro-sainte « exception culturelle », feraient bien d’en prendre de la graine: en art, l’exceptionnel ne se décrète pas. Il survient. Et s’impose de lui-même.

Le Serment de Pamfir. Film de Dmytro Sukholytky-Sobchuk. Ukraine, France, Pologne, Chili, 2022, couleur. Durée : 1h42. En salles le 2 novembre.



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