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L’énergie du désespoir

La fin de l’abondance est la conséquence de l’imprévoyance de nos dirigeants.


L’énergie du désespoir
Emmanuel Macron inaugure le premier parc éolien en mer français à Saint-Nazaire, 22 septembre 2022. / PHOTO : STEPHANE MAHE / POOL / AFP

La France, comme ses voisins européens, n’offre aucune solution sérieuse pour surmonter la crise énergétique. Alors qu’on sait déjà que la « sobriété » ne sera pas suffisante pour traverser un hiver rigoureux, nos dirigeants misent encore sur les énergies renouvelables. Et plus encore sur la com’.


En France, on n’a pas de pétrole, et on n’a pas non plus beaucoup d’idées pour faire face à la crise énergétique. Alors faute de propositions crédibles, le plan de sobriété énergétique du gouvernement se réduit essentiellement à un plan de communication visant à faire passer l’accumulation de banalités pour une vision stratégique. À le lire, il repose surtout sur l’espoir que les réserves accumulées permettront de passer l’hiver. Les mesures concrètes se résument à subventionner l’augmentation des prix pour la rendre supportable ou à appeler à des économies de bouts de chandelle. Certes, le soutien financier est utile, voire indispensable pour les particuliers et les entreprises. L’ennui, c’est qu’il revient à traiter la question énergétique comme un problème conjoncturel.

Si les mesures ne sont guère convaincantes, elles sont présentées avec une emphase qui n’a d’égale que leur vacuité : il est en effet question d’une « stratégie énergétique française reposant sur 4 piliers ». Le premier prend acte de notre impuissance en instaurant une forme de décroissance rebaptisée « sobriété énergétique ». C’est la fin de l’abondance, le consommer moins pour se geler plus. Le second pilier défend l’idée géniale qu’après consommer « moins », il faut consommer « mieux ». Il s’agit donc de « consommer autrement ». Le troisième pilier vise à ne pas perdre la face : il porte sur les énergies renouvelables et réaffirme le soutien de l’État à une forme d’énergie inefficace et non pilotable, comme l’éolien qui, après avoir défiguré les campagnes, s’attaque à présent au littoral. Enfin le quatrième pilier annonce la relance de la filière nucléaire française – mise en sommeil, faut-il le rappeler, par Emmanuel Macron. Comment ? À quel prix ? Selon quelle doctrine et avec quels moyens ? Sur ce point, le gouvernement est économe en information. Or, compte tenu des déboires des réacteurs de troisième génération (EPR) et des difficultés financières d’EDF, on a du mal à se contenter de pétitions de principe.

Les beaux discours institutionnels accouchent en général de mesures triviales. Celui-ci ne déroge pas à la règle et on est souvent surpris du décalage entre la présentation des objectifs et leur traduction dans le réel. Ainsi le message adressé aux entreprises ressemble furieusement à celui qui vise les ménages : baisser le chauffage à 19°, « optimiser la gestion de l’éclairage », « sensibiliser aux éco-gestes numériques » et « favoriser la mobilité durable ». Interdire les publicités lumineuses, arrêter l’éclairage public à partir d’une certaine heure, télétravailler, mettre en place des dimanches sans voiture… Vue de Paris, la guerre de l’énergie selon Emmanuel Macron paraît finalement assez pépère. Toutefois, il faut s’intéresser à ce qui est prévu au cas où l’appel à la sobriété ne suffirait pas.

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Certes il est beaucoup question de solidarité européenne, mais nul besoin d’être grand clerc pour constater que si des pénuries surviennent, il n’y aura pas de pays européen suffisamment doté pour voler au secours de ses voisins. D’autant que les erreurs stratégiques de l’Allemagne pèsent lourd sur l’ensemble des pays de l’Union. Aussi le gouvernement doit-il expliquer pudiquement que la solidarité européenne « ne pouvant être garantie à ce stade », il a établi des plans de rationnement et de délestage. Une cartographie des risques et des besoins énergétiques des entreprises sera établie au niveau des préfectures pour gérer les économies imposées et les possibles ruptures d’approvisionnement. La même chose devrait être faite au niveau des filières professionnelles afin de prévoir l’exemption de certains secteurs d’activité. Par ailleurs, les aides visant à subventionner les entreprises dont les dépenses de gaz et d’électricité représentent une part lourde des charges sont prolongées jusqu’en décembre 2022. Les PME continueront également à avoir accès au bouclier tarifaire. Pour les particuliers, le chèque énergie devrait rapporter entre 100 et 200 euros aux ménages les plus modestes. Le bouclier tarifaire, lui, reste en place jusqu’au 31 décembre 2022 et devrait être prolongé en 2023. Il a déjà coûté 24 milliards d’euros à l’État.

Le problème reste que ce plan à courte vue ne répond pas à notre souci de dépendance énergétique. Or, nous ne pouvons ignorer que la situation sur le front énergétique va être de plus en plus complexe et que la crise avec la Russie n’est sans doute pas près de se terminer. Pendant ce temps, le Parlement européen continue de voter des dispositions aberrantes. Mi-septembre il s’est prononcé en faveur d’un objectif de 45 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique d’ici 2030. Cette stratégie affichée par l’Europe ne correspond à aucune réalité. Au contraire, l’Europe va connaître des difficultés importantes d’approvisionnement énergétique dans les années à venir. La vérité est que, pendant que les députés européens s’offrent des postures vertueuses à peu de frais, on rallume de façon massive les centrales à charbon. Avec ce type de vote ou les déclarations de Frans Timmermans liant la souveraineté énergétique de l’Europe aux énergies renouvelables, les États européens montrent qu’ils ne sont pas prêts à affronter les difficultés et donc à proposer une politique d’investissement massif, notamment dans le nucléaire. Ils font donc étalage de leur faiblesse et de leur entêtement dans l’erreur. En France, pour avoir fait le choix délétère de malmener l’outil nucléaire et avoir supprimé toute marge de manœuvre en matière de production, nous allons rester longtemps dépendants de nos importations. Si l’hiver est rude, nous devrons nous priver et surtout demander aux entreprises de moins produire. La fin de l’abondance est la conséquence de l’imprévoyance et de la médiocrité de nos dirigeants. Le plus inquiétant est en effet que ceux qui ont créé cette situation soient aux manettes pour nous en sortir et nous resservent ad nauseam leur apologie des renouvelables qui ne sont efficaces ni en termes de sécurité énergétique, ni en termes de lutte contre le changement climatique. De quoi désespérer ?

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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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