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Qui arrêtera l’hyper violence d’extrême gauche?

Le maintien de l’ordre ne doit plus reposer sur la crainte permanente de l’usage de la force légitime, estime l’essayiste Eric Delbecque


Qui arrêtera l’hyper violence d’extrême gauche?
Paris, 1er mai 2022 © Lewis Joly/AP/SIPA

A chaque manifestation, son cortège de violences. La traditionnelle manifestation du 1er mai n’a pas dérogé à la règle, avec des casseurs qui sont venus en nombre semer le chaos en plein Paris. 


Normalement, c’est censé être une fête, le 1er mai ! Quel triste bilan: huit policiers blessés, un soldat du feu violemment agressé, 45 interpellations, des vitres brisées, des commerces pillés, un fastfood vandalisé, des banques, des agences immobilières ou de voyages saccagées, sans parler des habitants choqués et en colère face à l’ampleur des dégradations et le déchainement de cette violence gratuite.
Ces lourdes défaillances sont-elles imputables à l’impuissance de la chaine pénale, aux services de renseignements ou à une absence de volonté politique ?
Pour Eric Delbecque, spécialiste des questions de sécurité intérieure, auteur des Ingouvernables et de L’Insécurité permanente, il est temps de remettre la lutte contre « l’ensauvagement de la société » au cœur de l’agenda politique, surtout au regard des tractations actuelles entre Insoumis et Socialistes. Un potentiel basculement de la gauche mitterrandienne vers la gauche radicale pourrait envoyer des signes encourageants aux activistes de l’ultra gauche…

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Causeur. Les casseurs du 1er mai sont connus des services de police. Ils appartiennent aux groupuscules d’ultra gauche anarcho-anticapitaliste des Black blocs. Et pourtant, ils continuent à semer le chaos. Comment expliquez-vous cette incapacité à les empêcher de nuire ?

Eric Delbecque. En matière de sécurité intérieure ou de lutte contre les différentes formes de radicalisation, l’impuissance juridique n’existe quasiment plus. Nous disposons de tous les textes possibles et imaginables. Il faut dorénavant les appliquer, les combiner et éventuellement en préciser certaines modalités opérationnelles. Mais nous aurions aujourd’hui plus de bénéfices à arrêter de faire des lois plutôt qu’à les multiplier à l’occasion de tel ou tel événement suscitant l’émotion collective.
Une écrasante majorité de nos difficultés à assurer la sécurité des Français provient d’un manque de continuité dans l’action des pouvoirs publics. Nous échouons à anticiper, à construire des stratégies et à les appliquer sur la durée. Prendre de la distance, à la suite de l’affirmation d’une volonté politique solide et renseignée, voilà ce qu’il faut demander à nos gouvernants. Si les outils à la disposition du pouvoir (la police et la gendarmerie) sont une force, leur utilisation politique apparaît le plus souvent comme une faiblesse.
De la politique du chiffre à l’omnipotence médiatique, beaucoup d’actes politiciens constituent des erreurs majeures qui fragilisent l’atteinte de nos objectifs légitimes de sécurité intérieure.

Eric Delbecque

L’électoralisme s’ajoute donc à l’absence d’anticipation et de prospective pour finir par entraver le déploiement intelligent de nos ressources de maintien de l’ordre public.
Il est indispensable de prendre le temps de réaliser un diagnostic précis, ce qui veut dire écouter le terrain, les acteurs, les professionnels suant chaque jour afin d’éviter le désordre.

Revenons à l’identité de nos fauteurs de troubles. Dans votre essai Les ingouvernables, vous définissez les Black blocs moins comme un mouvement que comme une tactique… Pourtant, en ciblant les symboles de la mondialisation (banques, McDo…) et les représentants de l’autorité publique (pompiers, policiers), ces casseurs ne véhiculent-ils pas bien leur appartenance à un mouvement anticapitaliste et anarchiste ?

L’un n’empêche pas l’autre ! La « technique Black bloc » fut en effet construite à l’origine par le courant de l’anarchisme autonome, qui s’enracine en Allemagne et en Italie. Elle est donc idéologiquement marquée.
La plupart de ses « pratiquants » appartiennent à cette nébuleuse de l’anarchisme et de l’anticapitalisme violents, où l’on trouve aussi les antifas et des représentants du syndicalisme révolutionnaire qui adhèrent à une perspective musclée de leur propre tradition idéologique. On peut également débusquer sous la cagoule des escouades en noir des écologistes radicaux. Cependant, si les Black blocs s’affirment bel et bien comme des représentants de l’ultragauche, il y a également dans leurs rangs des individus qui finissent par faire passer leur attirance pour la violence avant même toute identité doctrinale.

Certains politiques, comme le secrétaire national d’EELV Julien Bayou, se sont émus de ne plus jamais pouvoir manifester en famille. Mais la « Manif pour tous » ou plus récemment les manifestations contre le passe sanitaire ont été épargnées par l’infiltration de ces Black Bloc.

Les Black blocs ne sont pas systématiquement présents parce qu’ils sont animés par une réflexion d’opportunité tactique et idéologique. Certains rassemblements ne favorisent pas l’affichage qu’ils veulent donner. Ils participent de la société du spectacle médiatique. Ils savent s’inscrire dans une guerre informationnelle particulière par laquelle ils entendent démontrer que l’État n’est pas en mesure de contrôler l’espace public. Ils viennent aussi provoquer les forces de l’ordre en espérant un dérapage. Les manifestations dont vous parlez (en particulier sur le passe sanitaire) ne cadraient pas véritablement avec ces objectifs.

Des violences policières jugées « systémiques », une doctrine du maintien de l’ordre sous le feu des critiques, une technique d’encerclement jugée illégale par le Conseil d’Etat, un usage de l’arme à feu strictement encadré par la loi, les forces de l’ordre ne sont-elles pas finalement désarmées pour répondre à une violence qui s’est largement amplifiée depuis ces dernières années ?

En tout état de cause, elles sont en permanence suspectées ! Au lieu de développer une politique de long terme favorable au bien commun, nous nous polarisons sur de faux débats, sous l’influence d’« idiots utiles » et d’activistes. Il faut bien avoir en tête que les militants de l’ultragauche disposent d’un agenda sur lequel figure la réactivation cyclique du thème des « violences policières ».
Jetées en pâture à la presse et aux réseaux sociaux, les forces de sécurité sont érigées en instrument du « pouvoir » qui lui est jugé comme le stratège d’un « système » de « violences policières ». La répétition de cette formule ne témoigne pas de la bêtise crasse d’idéologues qui l’ont forgée, mais plutôt d’une manœuvre consciente articulée sur une logique sans faille. En faisant en sorte que les médias adoptent et répètent en boucle cette contre-vérité, ils finiront par la rendre réelle aux yeux de tous. Et l’opération de propagande aura ainsi atteint son but…
En réalité, de quoi est-il vraiment question ? On parle de manquements individuels insupportables et inacceptables à la déontologie qui servent in fine de leviers vicieux à un lynchage global de la police, au mépris total de l’écrasante majorité des effectifs de femmes et d’hommes qui réalisent quotidiennement des milliers d’interventions pour protéger et secourir leurs concitoyens.
La manœuvre est grossière, mais beaucoup d’acteurs et de commentateurs s’y engouffrent.

Derrière cette diversion c’est donc le statu quo ?

Le ministère de l’Intérieur devrait se familiariser sérieusement avec les procédés informationnels des contestataires radicaux violents, afin d’éviter de tomber avec une régularité de métronome dans le panneau de cette propagande bien huilée… Et il faudrait peut-être également prendre de la hauteur pour envisager sans passion mais avec minutie les racines d’un mal-être policier qui favorise quelques déviances individuelles – minoritaires, il faut le répéter encore et encore.
Car à force de ne pas entendre les signaux sur le malaise de notre pays en matière de sécurité, la situation deviendra inexplicable et ingérable. Et osons l’affirmer fortement : c’est « l’ensauvagement », la décivilisation et l’insécurité permanente qui constituent les problèmes cardinaux de notre nation, pas les forces de sécurité…

La présomption de légitime défense, mesure présente dans les programmes de Marine Le Pen, d’Eric Zemmour et de Valérie Pécresse, permettrait-elle à la peur de changer de camp, et que les casseurs cessent en quelque sorte d’avoir ce monopole de la violence « illégitime » ?

C’est un débat juridique et éthique trop complexe pour être ainsi tranché.
Au final, ce qu’il faut bien plutôt affirmer c’est que le maintien de l’ordre ne doit plus reposer sur la crainte permanente de l’usage de la force légitime (je dis bien de la force – c’est-à-dire de la contrainte – et non de la violence).

Lorsque la députée LFI Clémentine Autain conteste la légitimité démocratique issue des urnes, en expliquant que si les législatives ne se passent pas comme prévu, la victoire sera à chercher dans la rue, n’y a-t-il pas de la part du parti de Jean-Luc Mélenchon une responsabilité politique dans l’impunité dont bénéficient les casseurs?  

« Continuer à aller dans rue », si l’on s’en reporte à ses déclarations rapportées par la presse, ne signifie pas forcément mener des actions brutales. Il n’en reste pas moins que l’on suspecte toujours un langage polysémique qui suscite l’inquiétude.
Je ne pense donc pas que l’on puisse imputer à Jean-Luc Mélenchon ou à ses proches une « responsabilité politique » conduisant directement à une forme d’« impunité »… Le sujet est d’ailleurs plus complexe que cela. Je crois en revanche que LFI a une responsabilité idéologique, culturelle et morale dans le processus d’implémentation sociale de la brutalité dans le climat socio-politique, comme toutes les autres radicalités d’ailleurs, islamiste, d’ultradroite ou d’« écologie profonde » !

Reste qu’à droite, il y a le fameux « cordon sanitaire » ! Ne faudrait-il pas aussi qu’un cordon sanitaire vienne entourer l’extrême gauche ? 

« L’imprégnation fasciste » n’appartient en effet pas exclusivement à l’un ou l’autre des extrêmes, ou à l’une des deux nébuleuses d’ultras (il y a des différences entre « extrême » et « ultra »). Elles sont toutes responsables ! Il faut éviter les jugements à l’emporte-pièce. En revanche, il apparait évident que les radicalités « dites » de gauche, de l’ultragauche au wokisme en passant par l’écologie radicale, s’avèrent chargés de pulsions totalitaires particulièrement inquiétantes…

On nous promet un troisième tour social, qui s’annonce tendu en raison de la réforme des retraites. Doit-on redouter une violence de plus en plus radicale ?

Probablement, mais il est bien difficile de faire des pronostics en la matière ! Ce qui me paraît beaucoup plus certain, c’est que les résultats des présidentielles et les grandes manœuvres partisanes qui en résultent et auxquelles nous assistons dans la perspective des législatives, vont dans le sens d’une radicalité favorisant des bouffées de violence.
L’explosion littérale du PS et sa mise en orbite autour de LFI (l’avenir dira si l’on observe la dissolution intégrale du parti socialiste ou sa « simple » subordination durable) démontrent un basculement partisan vers la gauche radicale. La mise à mort actuelle de la social-démocratie version française et mitterro-hollandiste encourage des positions maximalistes et peut, à mon sens, donner de l’assurance aux adeptes de l’action musclée, même si elle n’est pas formellement encouragée par l’appareil politique mélenchoniste.
L’ultragauche interprète ce contexte électoral comme un renfort apporté à ses prédictions et à son système idéologique global.




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