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Goodyear : Le grizzly qui cachait la forêt


Goodyear : Le grizzly qui cachait la forêt

taylor protectionnisme montebourg

Résumons l’affaire. Goodyear veut fermer son usine de pneu d’Amiens parce qu’elle perd de l’argent. Le gouvernement cherche un repreneur et approche – notamment – Titan ; lequel regarde le dossier et, s’apercevant que l’affaire est dangereusement politisée (souvenez-vous de Mittal) et qu’en plus, le site est tenu par un « syndicat fou » (la CGT), décide de ne pas donner suite. Le 31 janvier, alors que Goodyear confirme son intention de fermer le site, Montebourg écrit au P-DG de Titan, Maurice « Morry » Taylor dit The Grizz, pour tenter de le rattraper au collet mais, dans sa réponse, ledit grizzly, fidèle à son style quelque peu (comment dire ?) rugueux, envoie le ministre balader.
Jusque-là, pas de quoi fouetter un chat : nous avons fait le choix – démocratiquement – d’un modèle social qui implique un niveau de taxes, de réglementation et d’interventionnisme élevé de telle sorte que, malgré la taille de notre marché intérieur et de celui de l’Union européenne au milieu duquel nous nous trouvons, des entreprises comme Goodyear ou Titan préfèrent de plus en plus aller investir ailleurs.
Mais là où l’affaire du grizzly devient plus intéressante, c’est que la lettre qu’il a adressée au ministre du Redressement Productif s’est mystérieusement retrouvée dans la presse.
Gros scandale parce que le plantigrade s’offre une charge à la hussarde contre le ministre et la sacro-sainte CGT mais aussi, et surtout, à cause d’un passage bien précis de sa réponse : celui dans lequel il écrit – horresco referens ! – que « Titan va acheter un fabricant de pneus chinois ou indien, payer moins d’un euro l’heure de salaire et exporter tous les pneus dont la France a besoin ».
Alors là, c’est la curée ! Songez un peu, ma bonne dame, cet infâme américain mondialisé ose non seulement déclarer qu’il refuse de contribuer au Redressement Productif National (quel manque de patriotisme !) mais se vante en plus d’aller exploiter ces pauvres travailleurs chinois et indiens à raison d’un euro de l’heure. Voilà toute l’horreur de la Mondialisation ultralibérale™ révélée, l’abject cynisme de ces grands patrons exploiteurs de la misère du monde étalé au grand jour : Taillo ! Taillo ! Démondialisons pendant qu’il en est encore temps !
Et notre grizzly se retrouve affublé du plus infamant des adjectifs de notre temps : le voilà ultralibéral. Du coup, nous rappelle ses méthodes de management brutales, la condamnation de son père, la pollution du site qu’occupait l’entreprise familiale… Bref, voilà notre plantigrade devenu le symbole vivant du mal qui nous oppresse, de l’euro surévalué selon les experts, du libre-échangisme qui opprime les peuples, de la finance apatride qui attaque les nations etc.
Mais je crains fort que ceux qui ont fait du grizzly le symbole de l’affreuse mondialisation aient commis un léger contresens : pour le dire en un mot, Morry Taylor est protectionniste. Vous avez bien lu : le grizzly est et a toujours été un fervent adepte des barrières douanières et autres restrictions au commerce international. Il est au moins aussi protectionniste qu’Arnaud Montebourg et Marine le Pen ; c’était même un des thèmes majeurs de sa campagne lors des primaires républicaines de 1996.
Amis protectionnistes, souverainistes, socialistes, nationaux-républicains et assimilés, ce Taylor que vous avez voué aux gémonies est en réalité l’un des vôtres[1. Ce que peu de commentateurs ont compris, à l’exception notable de Pascal-Emmanuel Gobry sur Atlantico].  Il n’a en effet jamais eu d’autre intention, dans sa lettre comme ailleurs, que de fustiger l’absence de barrières douanières entre l’Occident et les grands pays émergents que sont l’Inde et la Chine.
Vous auriez bien tort d’être surpris. Une rapide recherche sur internet vous aurait pourtant appris que les politiques protectionnistes – de l’Allemagne de Bismarck à la loi américaine Smoot–Hawley de 1930 – ont toujours été promues et mises en œuvre par des gouvernements conservateurs soucieux de plaire à leur clientèle de grands propriétaires terriens et d’industriels souhaitant préserver leurs bénéfices de la concurrence internationale en continuant à nous vendre leurs produits au prix fort. Taylor ne fait probablement pas exception.
Mais concluons sur une note plus légère. Je ne comprends toujours pas comment une lettre privée adressée par un grand patron américain à l’un de nos ministres a pu se retrouver étalée sur la place publique. Pour un peu, on jurerait que c’était intentionnel – en tout cas, c’est en tout cas ce que le grizzly semble penser si l’on en juge par ses dernières déclarations.
Livrons-nous à quelques spéculations. Qui donc, au sein du ministère du Redressement Productif, pourrait avoir intérêt à nous faire lire cette lettre ? Quel obscur objectif cette fuite ministérielle pouvait-elle bien poursuivre en nous jetant en pâture un des (prétendus) suppôts de la Mondialisation libérale™ ? Je n’ose conclure.

*Photo : Damon Green.



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