Accueil Édition Abonné Avril 2021 Sébastien Lapaque ou la Grâce efficace

Sébastien Lapaque ou la Grâce efficace

Discerner l'Invisible derrière l'Immonde


Sébastien Lapaque ou la Grâce efficace
Sébastien Lapaque © Hannah Assouline

Dans Ce monde est tellement beau, les retrouvailles d’un quadragénaire avec la foi réenchantent un présent mortifère.


Est-il possible, dans le triste aujourd’hui dont on ne s’attardera pas à décrire ici le désespoir qu’il sécrète, de trouver soudain le monde beau ? De refuser ce que Sébastien Lapaque appelle dans son dernier roman « l’Immonde » ? L’Immonde saisit son personnage, prénommé Lazare, comme la nausée saisit le Roquentin de Sartre. Pour Roquentin, c’était en contemplant une souche d’arbre dans un jardin public et son entrelacement blanchâtre de racines qui indiquait un trop-plein grouillant d’existence brute. Pour Lazare, la quarantaine, professeur d’histoire-géographie dans un lycée parisien, à l’existence calme et banale, tout se dérègle un dimanche matin des vacances de février alors qu’il prend son petit-déjeuner dans un café du côté d’Alésia.

La beauté malgré l’Immonde

Seuls les idiots sont équipés pour respirer et Lazare, pour son malheur, n’est pas idiot. Mais sa culture ne le protège pas, ou plus. Elle le rendrait presque suspect aux yeux de ses collègues, surtout quand il fait apprendre des vers de l’Énéide à ses élèves alors que ce n’est même pas dans les circulaires officielles. Quand il prend soudain la mesure de l’Immonde, on pourrait croire à l’habituelle middle age crisis, mais c’est autre chose qui lui apparaît soudain en feuilletant le journal, en voyant la circulation passer ou les publicités s’afficher. L’Immonde, c’est finalement un mode d’organisation qui interdit de fait toute espèce de vie intérieure, qui oblige à ne jamais coïncider avec soi-même et à oublier tout le bonheur que peuvent apporter une omelette de douze œufs, les conversations avec des amis dont l’agrément, disait Baltasar Gracian, se mesure à l’heure à laquelle on se couche. Un marxiste parlerait d’aliénation, mais chez Lapaque, dans Ce monde est tellement beau, on se doute bien qu’il s’agit d’autre chose tant notre auteur est un bernanosien émérite doublé d’un habitué des textes de la patristique.

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« Lazare, sors du tombeau »

Lazare va connaître une résurrection, c’est logique. Il va discerner l’Invisible derrière l’Immonde, un Invisible qui ne demande qu’à être dévoilé à celui qui ouvrira son cœur et ses yeux. Alors, on comprend soudain ce qu’est devenue sa propre vie, la faillite moderne d’un couple qui n’arrive pas à avoir d’enfant ou l’espèce de mort à l’œuvre dans l’envahissement de l’espace médiatique par un rire obligé. Lazare riposte, renaît, aime de jeunes ornithologues qui étudient la disparition des moineaux, parle avec des moines bénédictins en Bretagne, prend l’air du côté de Saint-Malo avec des amis, surmonte le deuil de l’un d’entre eux et entrevoit comment vivre enfin d’une vie réellement humaine, c’est-à-dire divine.

Dans ce roman brillamment bavard, tendre comme un matin français et d’une clarté bleutée comme un ciel d’octobre sur Versailles, Lazare-Orphée retrouve effectivement cet acquiescement au monde après une longue remontée vers la lumière. Il se rappellera alors que Chartres était sa ville d’enfance, mais aussi une cathédrale qui mérite bien un pèlerinage de Pentecôte. Ce n’est pas l’illumination de Nietzche, qui disait pourtant : « Je veux, en n’importe quelle circonstance, n’être rien d’autre que quelqu’un qui dit oui », mais plutôt la « Grâce efficace » des jansénistes, celle qui frappe où elle veut, quand elle veut.

En reprenant le flambeau de ce qu’on appelait autrefois les « romanciers catholiques », Sébastien Lapaque redonne une flamboyante actualité à un genre que l’on pouvait croire terni et poussiéreux.

Ce monde est tellement beau

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Avril 2021 – Causeur #89

Article extrait du Magazine Causeur




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