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Le Covid-19 a encore affaibli notre démocratie et nos représentants

Un bilan politique si peu flatteur


Le Covid-19 a encore affaibli notre démocratie et nos représentants
Edouard Philippe et Olivier Veran lancent le Ségur de la santé le 25 mai 2020 Paris © JB Autissier-POOL/SIPA Numéro de reportage: 00963865_000051

Alors que le Covid s’éloigne et que le président Macron réunit ce vendredi son conseil scientifique pour préparer son allocution de dimanche, un bilan politique peu flatteur désole déjà les Français. Le confinement était une décision lourde de conséquences, mais le pouvoir n’a pas eu d’autre choix. Après la crise sanitaire, l’opposition délétère entre le camp du haut et le monde du bas se confirme.


L’épidémie de covid-19 reflue. Il est trop tôt pour faire le bilan d’une crise qui n’est pas encore derrière nous. Mais déjà, quelques remarques peuvent être formulées.

Quels que soient les pays et les mesures sanitaires adoptées, l’épidémie a connu une évolution comparable. Elle s’est essoufflée au bout de quelques semaines et a diminué bien avant l’obtention de la fameuse « immunité collective », calculée de façon très théorique aux alentours de 60 à 70% de la population. À cela rien d’étonnant : l’immense majorité des épidémies évoluent de cette manière, dépassant rarement un taux de 20 à 30% d’infectés. La raison tient au « polymorphisme phénotypique » de la population, c’est-à-dire à la variété interindividuelle en matière de sensibilité à l’infection. Cette susceptibilité variable d’un individu à l’autre a des causes innées (par exemple le sexe : les hommes sont plus à risque pour le covid que les femmes, l’âge : les enfants sont peu infectés et infectants, ou le groupe sanguin) ou acquises (immunité croisée avec des infections antérieures par d’autres coronavirus, effet protecteur de la nicotine…). Dans le cas du covid-19, le taux de personnes ayant rencontré le virus, donc qui sont désormais immunisées, est très variable d’une région à l’autre. Les 6% d’immunisés à l’échelle du pays se calculent en mélangeant des minimums autour de 1% (dans le Sud-Ouest) et des maximums à près de 20% (Haut-Rhin, Ile-de-France). Notons que le taux de létalité (le nombre de morts par rapport au nombre de contaminés) a été revu à la baisse avec la découverte de nombreux cas peu ou pas symptomatiques. Il serait aux alentours de 0.35% dans notre pays.

Confinement : la pire des décisions à l’exception de toutes les autres

Est-ce à dire que le confinement était inutile ? La réponse est plus nuancée. Elle est à la fois d’ordre pratique, mais aussi et surtout d’ordre psychologique.

Notre jacobinisme idéologue a montré toute son aberration! (…) Le gouvernement a rompu le lien avec les citoyens. Son arrogance, son mépris et sa brutalité lui ont aliéné la confiance du peuple, qui se complait en retour dans des exigences impossibles à satisfaire

Le confinement était « la pire des décisions à l’exception de toutes les autres ». Il a joué son rôle : éviter la catastrophe qu’aurait été l’effondrement du système de santé, submergé par des arrivées massives et concomitantes de malades. Mais ce, au prix de dégâts économiques et sociaux majeurs. Comme l’a dit le président de la République : « quoiqu’il en coûte… » – le coût, effectivement, s’est avéré gigantesque et la facture n’a pas fini de s’alourdir : faillites retardées, augmentation de la pauvreté, explosion du chômage, décrochage scolaire, pathologies psychologiques voire psychiatriques, etc.

On aurait certainement pu faire mieux, et à moindre coût économique et social. Et d’ailleurs, certains pays comparables au nôtre (l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche, la Hongrie, la Tchéquie…) ont effectivement fait mieux. Et même beaucoup mieux ! Ils ont moins de morts et moins de retentissement économique. Leur exemple nous enseigne ce qu’il aurait fallu faire.

Retard à l’allumage

En janvier, l’épidémie faisait rage en Chine. Il fallait reconstituer en urgence les stocks de masques qui avaient été vidés pour des raisons budgétaires par les gouvernements précédents. Et ce, non pas en commandant encore et toujours en Chine (en proie à l’épidémie, elle n’avait d’ailleurs elle-même pas trop de sa propre production qui avait chuté), mais en poussant la filière textile nationale et en encourageant les particuliers à confectionner leurs propres protections. Nul besoin ici de masques FFP2 ; les masques chirurgicaux simples et les masques « artisanaux », sont tout à fait efficaces pour éviter « d’ensemencer » le milieu environnant, notamment par les malades qui s’ignorent. Il fallait aussi acquérir des machines pour les tests PCR et sérologiques, des respirateurs, et augmenter les capacités en réanimation. Au lieu de cela, on a dit « une mystérieuse épidémie touche la Chine… pas étonnant, ce sont des Chinetoques ! », on a glosé sur la fausse alerte de l’épidémie H1N1 de 2009, qui était resté cantonnée en Asie, et on s’est croisé les bras.

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En février, quand l’épidémie s’est propagée de Chine en Italie, tous les doutes étaient levés. On savait dès lors que la France allait être touchée. Il fallait fermer les frontières, annuler les grands rassemblements (y compris les élections municipales), imposer les « gestes barrière », rendre le masque obligatoire dans l’espace public, organiser les tests systématiques et l’isolement des malades. Mais on a dit : « ce sont des Ritals ! », et on a procédé à de hasardeuses comparaisons entre le système de santé transalpin et le nôtre, sensé être « le meilleur du monde ».

Début mars, au moment où l’épidémie s’est amplifiée chez nous, un bref confinement avec fermeture des écoles (à l’époque on ne savait pas que les enfants sont à la fois peu touchés par la maladie et peu contaminants) et des entreprises non essentielles aurait permis de se mettre en ordre de bataille. Mais il n’aurait pas dû durer plus de 2 à 3 semaines. D’autre part, il aurait certainement pu être réservé aux régions où le virus circulait intensément. Traiter l’Aquitaine comme le Grand-Est et l’Ile-de-France n’avait pas de sens. Le jacobinisme idéologue a ici montré toute son aberration.

L’exécutif a aussi composé avec le peuple à sa disposition

Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas mis en œuvre ces mesures de bons sens qui auraient permis d’éviter en même temps des milliers de morts et la faillite économique ? Incompétence, pusillanimité, wishful thinking… et surtout faiblesse face à une population rétive, qui n’était pas convaincue de la gravité de la situation et donc pas prête à sacrifier ses habitudes aux mesures exceptionnelles qui s’imposaient. Imaginons que le gouvernement ait rendu le port du masque obligatoire dans l’espace public en février, au moment où cela aurait sans doute suffi à endiguer l’épidémie, mais avant même que le drame du covid frappe la nation au cœur… Que n’aurait-on entendu comme récriminations et moqueries ! Il est certain que très peu de gens auraient accepté cette contrainte, pourtant légère quand on la compare à ce qu’ils ont enduré pendant le confinement. Reconnaissons-le : cette mesure aurait été tout bonnement impossible à faire appliquer, et pas seulement dans les « territoires perdus de la République ».

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La triste vérité est que le confinement était nécessaire pour casser l’épidémie, mais aussi et surtout pour « dresser » la population. Avec ses mesures punitives voire vexatoires (sorties minutées, attestations de déplacement, parcs et jardins fermés, espaces naturels interdits, le tout sanctionné par des amendes), le confinement a rendu la population docile. Cette docilité durera ce qu’elle durera, mais il faut reconnaître que désormais la grande majorité des gens portent un masque dans l’espace public, font la queue en ordre, restent à distance les uns des autres, ne se touchent plus inutilement, se lavent gentiment les mains, etc. « Nous avons fait des progrès dans l’hygiène » – satisfecit. Eh oui, nous n’étions pas irréprochables dans ce domaine, l’épidémie l’a amplement démontré ! En vérité, il s’agissait de revenir à des pratiques qu’on avait un peu oubliées, étant devenus trop confiants dans la force des thérapeutiques antiinfectieuses : se laver fréquemment les mains, porter un masque quand on est enrhumé, éviter la promiscuité, installer des hygiaphones sur les comptoirs d’accueil… Ces mesures avaient cours à l’époque (pas si lointaine) où nos pays étaient ravagés par la tuberculose, et on ne s’en portait pas plus mal. La crise du covid les remet à l’honneur, ce qui aura certainement un effet favorable dans la lutte contre d’autres infections à vecteur respiratoire, notamment la grippe saisonnière, dont on oublie souvent qu’elle est responsable de 10 000 à 15 000 morts chaque année. De manière plus inattendue, cette épidémie pourrait entraîner une rectification de nos mœurs « à la japonaise », rectification qui ne manquerait pas d’une certaine élégance : se faire la bise entre membres des associations sportives ou culturelles ou entre collègues au bureau, est-ce vraiment indispensable ? Que les embrassades se limitent aux véritables relations affectives, voire amoureuses, voilà qui n’est pas pour nous déplaire, à nous qui critiquions le relâchement général des mœurs occidentales !

Torts partagés

Mais revenons à des considérations plus sérieuses : la crise du covid a révélé une autre crise, la défiance entre gouvernés et gouvernants. Les mesures, même de bon sens, prises par le gouvernement, ne sont acceptées que sous la contrainte et la menace, et doivent être assorties de beaucoup d’artifices et de dissimulations – mensonges qui ont aussi pour but de protéger des secrets plus ou moins éventés : celui sur les masques prétendument inutiles, afin de cacher la pénurie, en est devenu le symbole. Il faut aussi procéder à un intense battage médiatique, qui est plus proche de la propagande que de l’information. Les hashtags #restezchezvous et #restezprudents, incrustés dans les écrans de télévision, témoignent de cette communication infantilisante mais sans doute nécessaire.

Dans cette triste situation, les torts sont partagés. On sait bien qu’on a les dirigeants qu’on mérite. Aux citoyens indisciplinés répondent des dirigeants tyranniques et hypocrites. Pire encore : les pratiques des uns amplifient les défauts des autres, en un cercle vicieux qu’il est impossible de rectifier. Quand, pour gouverner, on utilise la ruse, le mensonge et la punition, on est condamné pour toujours à ces bas moyens. Là où l’explication, la sincérité et l’encouragement ont fait défaut, ruse, mensonge et punition deviennent les seuls outils disponibles. C’est un fait : le gouvernement a rompu le lien avec les citoyens. Son arrogance, son mépris et sa brutalité lui ont aliéné la confiance du peuple, qui se complait en retour dans des exigences impossibles à satisfaire et des réactions caractérielles. À force de traiter les citoyens en enfants capricieux et irresponsables, ils deviennent effectivement des enfants capricieux et irresponsables. Irresponsabilité : dans un camp comme dans l’autre (car nous en sommes réduits à cette séparation misérable entre le camp du haut et le monde du bas), l’absence de remise en question face aux erreurs commises rend impossible de rétablir le lien.

Toutes choses égales par ailleurs, on peut comparer la défiance envers le gouvernement à la défiance envers les vaccins. Selon un sondage récent, plus de 25% des personnes interrogées refuseraient de se faire vacciner contre le SARS-CoV-2 si un vaccin était mis au point ! Ce refus semble irrationnel, stupide et égoïste. En réalité il reflète une critique légitime envers l’industrie pharmaceutique, dont les agissements ignobles sont de plus en plus percés à jour. Le scandale de l’article du Lancet vient d’illustrer de façon caricaturale les manipulations de grande ampleur auxquelles se prête la recherche médicale, soumise aux pressions de Big Pharma. Rien d’étonnant à ce que les citoyens, déboussolés, refusent d’accorder leur confiance à ces entreprises plus soucieuses de leurs profits gigantesques que de la santé publique.

Cette fracture entre le camp du haut et le monde du bas est un drame dont nous ne finissons pas de payer le prix. Elle ébranle la démocratie dans ses fondements les plus sacrés, remettant en cause le contrat social. Depuis deux siècles, après bien des révolutions et des négociations, des batailles et des compromis, des clashs et des pactes, nous croyions avoir obtenu que nos élus ne soient pas nos parents ou nos gardiens, mais nos représentants. C’est encore le cas dans les pays cités plus haut, notamment les petits pays comme la Suisse, où démocratie directe, principe de subsidiarité et responsabilité politique sont un peu plus que de grands mots vides privés de toute réalité. Mais en France, la situation de la prétendue démocratie est désolante. Et ce n’est pas une supranationalité privée de toute attache charnelle avec les citoyens qui réparera un lien chaque jour un peu plus distendu.




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