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Poissons de mai


On ne connait que trop bien les poissons d’avril. Les enfants du siècle dernier les découpaient dans du carton ordinaire, en forme de poisson justement, puis attendaient sagement le 1er avril pour les coller dans le dos de leurs amis, de leurs ennemis, des passants et des postiers. On connaît moins bien les poissons de mai, que l’imaginaire populaire ne devrait pourtant pas négliger comme nous le confirme un récent fait divers délectable mettant en lumière la qualité naturelle et spontanée du « vivre ensemble » humain.

Ainsi, la petite commune de Bessé-sur-Braye, dans la Sarthe, a été le théâtre d’une tragédie édifiante : on a retrouvé le cadavre d’un homme dans une poubelle. Vous me direz : « C’est nul, y’a un seul macchabée! » Ou encore : « C’est peut-être un suicide ? » Ou peut-être : « C’est un coup du routard du crime ! » Certes, mais il n’y a pas de petit fait divers ; il n’y a que des journalistes sans imagination. D’abord plantons le décor. Bessé-sur-Braye c’est un gros bourg de 2500 habitants tout à fait normal, connu pour son superbe château de Courtanvaux et son rallye automobile qui se tient tous les 15 août ! Enfin, normal… à condition de fermer les yeux sur le fait qu’à l’élection présidentielle quatre personnes ont voté pour Jacques Cheminade (ce qui est peu si on compare à Limoges, par exemple, où 150 cheminadiens se sont déclarés, mais quand même…) Bref, nos confrères du Parisien indiquent que la victime Philippe Emery, 55 ans, ancien menuisier sans emploi, décrit comme le « brave gars du village », « portait de nombreuses traces de coups au crâne et pourrait avoir été noyée ». Ecartant sagement la thèse du suicide et de l’accident de chasse, les enquêteurs ont vite porté leur attention sur le voisin de la victime, un certain Mario P. L’homme, bien connu pour son addiction à l’alcool et ses turpitudes diverses, a d’ailleurs été vu en train de récemment nettoyer son logement de fonds en comble à l’eau de javel. Le mobile du crime pourrait bien être la mort de poissons rouges – les poissons de mai… – que le suspect avait confié à son voisin, et future victime, durant son absence… Des poissons tristement morts de froid lorsque Philippe Emery – pour une raison qu’il faudra éclaircir ! – a décidé d’abandonner l’aquarium de la discorde devant le pas de la porte de Mario P. « Depuis, les deux hommes, voisins dans la même cour, ne se parlaient plus » précise Le Parisien.

Les gendarmes sont actuellement à la recherche de l’arme du crime qui pourrait bien être un marteau. Triste ironie pour un menuisier. Aux dernières nouvelles l’esprit frappeur criminel aux accointances piscicoles a été déféré devant le procureur de la République, et devra répondre de ses actes.

Moralité : on ne badine pas avec les poissons de mai ; il ne faut jamais désespérer de l’humain et pour finir… tout n’est pas perdu… Car se profile gentiment, fin-mai début-juin, l’inénarrable (et bientôt obligatoire ?) Fête des voisins© – autrement appelée Fête des immeubles© – qui permet en général de communier joyeusement dans la citoyenneté de proximité, et l’éco-conscience collective de cage d’escalier.

La modernité n’était peut-être pas encore arrivée aux portes de Bessé-sur-Braye… Dommage. Cela aurait peut-être pu éviter un crime sauvage. Ou pas.



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Il est l’auteur de L’eugénisme de Platon (L’Harmattan, 2002) et a participé à l’écriture du "Dictionnaire Molière" (à paraître - collection Bouquin) ainsi qu’à un ouvrage collectif consacré à Philippe Muray.

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