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Violences sexuelles: « La parole des victimes n’est pas sacrée »

Entretien avec Marie-Cécile Nathan, avocate au Barreau de Paris


Violences sexuelles: « La parole des victimes n’est pas sacrée »
Caroline de Haas et Najat Vallaud-Belkacem, lors de la Journée internationale des droits des femmes, à Paris © Vincent Loison/SIPA Numéro de reportage: 00948930_000026

Marie-Cécile Nathan est signataire de la tribune « Une inquiétante présomption de culpabilité s’invite trop souvent en matière d’infractions sexuelles » dans Le Monde.


Daoud Boughezala. Dès le déclenchement des mouvements #Metoo et Balance ton porc, certains insinuaient que chaque femme avait un porc et qu’un compliment ou une attitude déplacée valait pratiquement un harcèlement. Le triste spectacle de la dernière cérémonie des César est-elle l’aboutissement logique de cette guerre des sexes ?

Marie-Cécile Nathan. Ça ne doit pas être une guerre des sexes. Si ces prises de parole sont nécessaires, en tout état de cause elles doivent être portées devant la justice et dans un cadre procédural.

Avec peut-être une confusion entre morale et droit ?

C’est tout le problème dans ce type de dossier, la morale n’a pas sa place dans le débat judiciaire. On assiste à cette confrontation-là où la morale essaie de prendre le dessus sur le droit, ce qui est dommageable dans une société démocratique. En effet, la morale n’est jamais universelle, elle est appréciée différemment en fonction de chacun (âge, sexe, religion…) et par conséquent seules les normes juridiques en ce qu’elles s’appliquent à tous préservent de l’arbitraire.

Avant de rentrer dans l’examen des arguments juridiques, j’ai l’impression qu’il y a un conflit générationnel ; chez les acteurs par exemple et notamment chez les femmes. Regardez Fanny Ardant et Adèle Haenel, ne pensez-vous pas que les jeunes générations sont plus sensibles à certains arguments moraux ?

Non, dans notre tribune on a des signataires qui sont vraiment de toutes les générations. De notre point de vue, ce n’est pas une question de générations mais plutôt d’application des grands principes et ça doit être inter-générationnel.

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Dans votre tribune, vous dénoncez la sacralisation des paroles des victimes qui entraîne une sorte de présomption de culpabilité. S’exerce-t-elle systématiquement contre les hommes ?

Aucune parole n’est sacrée, ni celle des victimes, ni celle des mis en cause.

C’est en effet en grande majorité des dossiers d’affaires de mœurs qui concernent des victimes femmes et des auteurs hommes. Donc la problématique se pose à 99% sur ce postulat-là. Maintenant, il y a une libération de la parole, elle doit être prise en compte et entendue, mais ce n’est pas à un tribunal populaire de décider si elle est valable ou pas, c’est à un Tribunal ou une Cour d’Assises de le décider. Une décision de condamnation ne peut pas se fonder uniquement sur la parole d’une personne mais doit s’appuyer également sur des éléments matériels qui viennent corroborer cette déclaration.

Avez-vous exemples en tête de dérives ? Je pense à l’affaire Jacqueline Sauvage.

L’affaire Jacqueline Sauvage pour ce que j’en connais est une affaire qui n’a posé aucun problème juridique aux deux Cours d’Assises qui l’ont condamnée. En effet, la seule chose que l’on doit constater est qu’une vérité judiciaire en est ressortie, celle de deux cours d’assises, qui l’ont condamnée. Pourtant, dans l’opinion publique et médiatiquement parlant, le discours était totalement en contradiction avec les décisions des magistrats et des jurés populaires qui ont eu à juger de ce dossier. La justice sait faire la part des choses ainsi dans un autre dossier où une femme était accusée d’avoir tué son mari, dans un fameux réquisitoire l’Avocat Général Monsieur Frémiot avait requis avec force un acquittement.

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Chaque dossier est différent, chaque dossier doit être appréhendé au regard des éléments matériels. Et c’est à une cour d’en décider et non pas au tribunal populaire.

À propos de sacralisation de la victime, vous faites référence dans votre tribune aux fameux propos de Samantha Geimer qui se dit plus traumatisée par tout le battage médiatique que ce que lui a fait subir Polanski à l’époque. Mais n’est-ce pas une contradiction dans votre raisonnement que d’un côté dénoncer la sacralisation de la victime et de l’autre vous appuyer sur les jugements subjectifs de Samantha Geimer ?

Non, pas du tout. Si une victime souhaite dénoncer les faits, elle doit le faire. Il faut nécessairement qu’elle le fasse et qu’elle porte plainte à la police ou à la gendarmerie. Ensuite la justice fait son œuvre. Ça doit se jouer entre les mains des professionnels du droit, les magistrats qui doivent être indépendants et neutres.

C’est uniquement comme ça que les choses avancent. Ça n’est pas par le biais de dénonciations dans des interviews et dans différents médias. Il est nécessaire de passer par la justice pour que ce soit indépendant et fait de la manière la plus sereine possible.

Et s’agissant de l’attitude du ministre de la Culture qui a publiquement regretté l’attribution du César du meilleur réalisateur à Roman Polanski, d’un point de vue de juriste, est-ce que vous y voyez une grave intrusion dans le travail de la justice ?

J’y vois une méconnaissance assez importante du mécanisme judiciaire, je trouve ça dommage qu’un ministre ne s’en réfère pas à la justice de son pays et ne renvoie pas ce genre de problématique à l’endroit où ça devrait être traité, c’est-à-dire devant un tribunal ou une cour.

Comme certains campus américains, risque-t-on de faire évoluer la notion de consentement en le remettant en cause pendant et après la relation sexuelle ?

Oui. Et c’est préjudiciable. Aujourd’hui, nos textes sont parfaitement adaptés, le consentement s’apprécie au moment de l’acte. Et cela doit perdurer.

Par ailleurs, la question de l’accueil et de la prise en charge des victimes doit évoluer, la situation n’est évidemment pas parfaite en revanche sur le consentement il ne faut pas modifier les textes en place.

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La difficulté actuelle est que l’on cherche à aller vers une imprescriptibilité du crime sexuel et là c’est dangereux. Cela maintiendra les victimes dans une posture victimaire qui ne leur apportera au niveau psychologique pas que du bien car elles n’arriveront pas à se faire reconnaitre comme telle par la justice. En effet, pouvez-vous imaginer que l’on condamne une personne 30 ans après les faits sur les seules déclarations d’une personne sans autre élément matériel ou preuve? Si la justice apportant une réponse en temps et en heure, permet de faire reconnaitre son statut de victime cela ne peut pas tout réparer, mais cela peut lui permettre d’avancer et de comprendre les choses. La justice ne pourra pas donner ces réponses plus de trente ans après les faits.

Ça pourrait aussi créer des situations d’insécurité juridique voire de manipulation trente ans après…

Pour tous, pour l’auteur et la victime. Pourquoi autant d’affaires n’aboutissent pas et sont classées sans suite ? Il faut justement se poser la question de l’allongement de la prescription dans la mesure où on ne peut pas condamner quelqu’un quand on a une plainte qui arrive trente ans après et qui parle de faits qui sont arrivés trente ans avant, vous n’avez plus de constatation médicale, plus d’échanges téléphoniques, plus de SMS, plus d’éléments qui pourraient apporter du crédit aux déclarations. C’est donner un faux espoir que d’allonger la prescription.

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est journaliste.

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