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Un Cloclo encore plus faux que nature


Cloclo fait partie de ces films conçus avec précision, qui n’ont pas un faux raccord, pas une baisse de rythme, pas une seconde d’improvisation. Son réalisateur Florent-Emilio Siri est un très bon artisan, comme Dahan, Canet, Beigbeder, Richet ou Kassovitz. Le plan-séquence étourdissant qui en de longues minutes balaie une foule ou une époque, alterne sans mal avec le face à face intimiste, où un simple regard appuyé, quelques mots lâchés à regret, doivent s’empresser d’en dire long ; le montage heurté accélère le temps tandis que le flux musical en amène l’agréable suspension ; l’échelle de plans caracole, les split-screens succèdent aux ralentis, le tumulte d’une scène de groupe fonctionne aussi bien que le découpage obsessionnel de gestes quotidiens.

Non, décidément, rien à redire côté technique : la variété des formes est au rendez-vous, les « idées de cinéma » fusent à tout instant, nous ne sommes de toute évidence ni chez Leconte ni chez Honoré, il y a là un amour des images qui n’en reste jamais à l’intention ou aux simagrées. Mais ce qui apparaît très vite, comme dans La Môme ou L’amour dure trois ans, L’Ordre et la morale ou L’instinct de mort, c’est une complète absence de personnalité : Cloclo est tourné à peu de choses près comme chaque film de Guillaume Canet. Il n’y a pas de ligne stylistique propre, de choix esthétique soutenu, sinon une accumulation de morceaux de bravoure moins justifiés par l’idée ou le thème à représenter que par le brio de leur réalisation. Voilà un cinéma qui redoute l’immobilité de la caméra, le silence de la bande-son, l’appel du hors-champ, le temps mort pour s’appesantir ou hésiter, car il ne saurait les harmoniser à son propos, celui-ci se devant au contraire d’enchaîner les lignes mélodiques même contradictoires du moment qu’elles soient prenantes, de peur qu’une pause, un souffle, un écart fassent soudain capoter toute l’entreprise et révèlent la vérité du film, à savoir, la totale absence de point de vue.

C’est en effet ce que veut masquer cette profusion de figures de style : le regard neutralisé. Neutralisé à force de convoquer toutes les opinions sur son sujet au lieu de le traiter par un angle discriminant. Le personnage principal sera tour à tour, ou en même temps, un tyran, un symptome, une victime, un enfant, un névrosé, une icône, un symbole, comme si ces multiples possibles, ce maëlstrom interprétatif, était censé refléter sa « vérité », quand elle n’est que la preuve d’un relativisme absolu, où il n’est plus temps de défendre un regard (c’est-à-dire de transposer un savoir) mais bien de dresser le catalogue de tous ceux qui pourraient exister (autrement dit, en rester au savoir-faire).

Et c’est justement pour dresser le portrait d’un tel artiste (entièrement fabriqué, chantant en play-back et jouant derrière son brushing une série rentable de rôles successifs) qu’un tel cinéma, impersonnel et soigné, s’avère le plus approprié, adoptant dans sa forme même, sans risque et sans enjeu, ce qui reste aujourd’hui de Claude François : des pot-pourris sans anicroche plutôt que le risque d’une chanson fragile tenue de bout en bout, une multitude d’impeccables sosies en lieu et place d’une seule minute d’hasardeuse vérité.



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Ludovic Maubreuil est né en mai 1968. Hôte de diverses revues (Eléments, La Revue du Cinéma, Le Magazine des Livres), il collabore en outre au site collectif Kinok (www.kinok.fr). Il est l'auteur de Bréviaire de cinéphilie dissidente (Alexipharmaque, 2009)

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