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Libérez Bettencourt


Libérez Bettencourt

Je suis assez inquiète. D’habitude si propice aux prises de conscience et de poids, la période de Noël n’est plus désormais qu’égoïsme et insensibilité. Moi, je m’attendais à voir déferler un torrent compassionnel, un fleuve d’émotions, un tsunami de bons sentiments à vous faire passer Mère Térésa pour la poupée du diable et Sœur Emmanuelle pour une héroïne de série rose. Rien ne sourd : pas la moindre gouttelette d’indignation ni de solidarité. Pas un seul sit-in, pas un seul comité de soutien, pas une seule immolation par les flashes des caméras, pas la moindre pétition. Il paraît qu’Edgar Morin est furibard : le stylo qu’il s’était acheté pour l’occasion ne lui a pas servi.

Le comble de l’indifférence, c’est Bertrand Delanoë qui l’a atteint : sur la façade de l’Hôtel de Ville de Paris, aucun portrait géant n’invite à libérer l’otage. C’est pourtant ce que la diplomatie française est parvenue à faire de mieux depuis une bonne centaine d’années chaque fois qu’elle veut se passer des services de la filière corse : si jamais l’un des ravisseurs sort de la station de métro Hôtel de Ville pour aller au BHV il tombe nez à nez avec la photo de sa kidnappée. La honte ! S’il lui reste un peu de dignité, il n’a plus qu’à reprendre le métro, rentrer chez lui et libérer la pauvre victime. Bon, c’est vrai que la solution est un peu hasardeuse, mais si les preneurs d’otage avaient le bon goût d’être un peu plus gay friendly rien ne les empêcherait de faire des virées dans le Marais et de tomber dans le panneau.

Pourquoi aujourd’hui tant d’indifférence ? Une conséquence de la crise qui occupe tous les esprits, un sursaut d’individualisme dans le cœur des braves gens, une grève intempestive chez les fabricants de bâches imprimées ? Plus certainement un peu de lassitude… Car autant, la première fois, la France s’était mobilisée comme jamais pour libérer Ingrid Betancourt, mais là, se faire à nouveau avoir comme une débutante ça découragerait n’importe qui à vous soutenir. Et ce n’est pas parce qu’Ingrid Betancourt a légèrement modifié entre temps son identité que ça changera quelque chose : personne n’a plus le courage ni l’envie de se mobiliser pour quelqu’un qui se fait kidnapper toutes les cinq minutes. D’ailleurs, qu’est-ce qui lui a pris à Ingrid Betancourt de se faire subitement appeler Liliane ? Prendre le prénom de la femme de Georges Marchais – tu parles d’une couverture ! – pour faire plaisir aux révolutionnaires colombiens, c’est pire que le syndrome de Stockholm !

Eh bien, moi, je dis non à l’indifférence ! Rendons Liliane Bettencourt à l’affection de sa fille afin qu’elle puisse l’étrangler comme toute mère digne de ce nom procède au moment des fêtes ! Libérons Bettencourt !

Dès aujourd’hui, notre comité de soutien entreprend une série d’actions militantes, afin de faire progresser la cause de la libération de celle que tous demain appelleront Liliane. Willy et moi-même sommes prêts à l’éventualité de donner de nos personnes pour faire un sit-in rue du Faubourg Saint Honoré, face à l’Elysée, le 31 décembre prochain jusque très tard dans la nuit, si le sympathique directeur de l’Hôtel Bristol voulait bien mettre gracieusement à notre disposition une table et une chambre. Pour deux. Vers les 21 heures. Après la quatrième bouteille de Henriot et l’enthousiasme militant venant, les chants allemands que Willy et moi entonnerons à tue-tête obligeront très certainement le locataire de l’Elysée à agir en faveur de Liliane.

Ensuite, nous aiderons Bertrand Delanoë à installer une bâche géante sur la façade de l’Hôtel de Ville. Pour réunir les 600 millions d’euros que coûte la photo de Liliane signée François-Marie Banier – franchement, ça les vaut ! –, je lance aujourd’hui une grande souscription. Attention ! Ne donnez pas ce que vous pouvez : donnez ce que vous avez ! Vous recevrez un reçu ouvrant droit à évasion fiscale que vous signera le trésorier du comité de soutien, M. Bernard Madoff. Un homme très bien.

A ceux qui seraient à court de liquidité – et nous les comprenons par ces temps de crise –, nous proposons d’envoyer à notre comité de soutien tous les produits cosmétiques de la marque L’Oréal qu’ils pourraient avoir à leur disposition. Rimmel, fond de teint, rouge à lèvres : nous prenons tout à l’exception des produits de la gamme anti-vieillissement. Ça fait trente ans que je m’en tartine soir et matin et si jamais ils avaient la moindre efficacité j’aurais la peau d’une jeune fille de seize ans. Je n’en ai que l’acné. Et même pas juvénile.

PS : Pour notre collecte de dons en faveur de la libération de Lilianne Bettencourt, nous prenons aussi les montres à complication.



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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