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Stéphane Bourgoin: « Le nombre de femmes serial-killer est très sous-estimé »

Entretien avec l'homme qui a rencontré 77 tueurs en série


Stéphane Bourgoin: « Le nombre de femmes serial-killer est très sous-estimé »
Stéphane Bourgoin lors de son passage dans "C à vous" sur France 5, novembre 2017. ©Capture d'écran Youtube

A 65 ans, l’impavide Stéphane Bourgoin, expert international en criminologie, a rencontré pas moins de 77 tueurs en série. Celui qui navigue entre les parloirs, ses manuscrits, et les plateaux télé m’a donné rendez-vous au cimetière du Père-Lachaise pour causer meurtres et vie privée.


Causeur. Quel rapport entretenez-vous avec les cimetières ?

Stéphane Bourgoin. Aucun rapport particulier. J’aime les visiter quand ils sont splendides, comme celui-là, truffés de mausolées anciens, où il règne un calme fou. J’ai parcouru beaucoup de cimetières de prison, notamment celui de la prison Sing Sing aux Etats-Unis, où ceux qui ont été exécutés depuis un peu plus d’un siècle sont enterrés anonymement. La prison détenant les divers emplacements des condamnés, j’ai pu voir les tombes des tueurs auxquels je m’étais intéressé. Au risque d’en décevoir certains, c’est en revanche un hasard si j’habite près du Père-Lachaise.

De quoi avez-vous peur ?

De mes fans. Rencontrer des tueurs ne me pose strictement aucun problème, mais j’ai eu plus de soucis avec mes fans. Ma compagne a notamment été menacée de mort. Certains s’imaginent qu’un lien particulier s’est noué entre nous parce que j’ai répondu à leurs commentaires. Dès lors que je ne réponds plus, ils en viennent aux insultes. Et je précise que 75% de mon public est féminin.

Pourquoi suscitez-vous autant d’intérêt chez les femmes ?

Je crois que ma popularité auprès des femmes est due au fait qu’elles lisent généralement plus que les hommes. Elles sont, par ailleurs, plus souvent intéressées par la psychologie sans oublier qu’elles sont les premières victimes de faits-divers criminels. Il y a aussi cette frange de la population féminine qui fantasme sur le cliché du serial-killer sexualisé et raffiné, qui dissimule, derrière ses actes monstrueux, la figure d’un aimable être humain. Ce genre de femmes écrit quotidiennement à des tueurs en série et en vient généralement à les demander en mariage. Elles ne se limitent d’ailleurs pas aux tueurs hétérosexuels. Patrice Allègre a récemment demandé à être transféré près de Colmar, dans une prison proche du domicile de sa future épouse. A 55 ans, Guy Georges reçoit, au moins une fois toutes les deux semaines, une étudiante de 22 ans avec laquelle il a des relations sexuelles avoisinant les trois heures.

Je suis certain que Fourniret n’avait jamais tué avant de rencontrer sa femme

Vous êtes-vous intéressé au profil des personnes qui gravitent autour d’un serial-killer, comme ses « fans », ses prétendantes, ses parents et enfants mais aussi ses victimes et leurs famille ?

J’ai toujours voulu faire un documentaire à ce sujet mais l’idée n’a plu à personne en France. Seule la télévision canadienne a accepté mon projet sur les amants de serial-killers. Avec ma copine Frédérique Lantieri, présentatrice de « Faites entrer l’accusé », nous avons interrogé plusieurs femmes et un nordiste qui était garçon de morgue, en préservant leur anonymat. En ce qui concerne les parents, ils parlent relativement peu. J’ai pu discuter face à la caméra avec seulement deux d’entre eux ; la mère de Rod Ferrell, le vampire d’Eustis, qui reconnaît sa part de responsabilité dans les meurtres commis par son fils et plus jeune condamné à mort de l’état de Floride, et Lionel Dahmer, le père de Jeffrey Dahmer, plus connu sous le nom de « cannibal de Milwaukee », qui a refusé de s’exprimer devant les caméras. D’autre part, je suis co-fondateur de l’association Victimes en Série. En 2008, nos avocats ont défendu presque toutes les familles des disparus lors des procès de Michel Fourniret et Monique Olivier, à Charleville-Mezières.

Avez-vous l’impression d’en avoir fini avec le cas Fourniret ?

Non. En 2004, nous avons trouvé l’ADN de six potentielles victimes sur les liens ayant servi à les ligoter dans la camionnette. L’un d’entre eux a été intégré au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) mais les six autres n’ont pour l’instant pas été identifiés. Depuis leur découverte, les ADN ont été comparés mais les recherches n’ont rien donné. L’enquête est loin d’être terminée.

Monique Oliver est-elle victime de son mari ? Y-a-t-il réellement moins de femmes serial-killers ?

Même si elle affirme le contraire, Monique Olivier et Michel Fourniret forment un duo de tueurs. Je suis certain que Fourniret n’a jamais tué avant de la rencontrer. Elle a été le déclencheur de ses meurtres, celle qui lui a accordé le permis de tuer, tandis que lui, il lui a permis d’explorer ses fantasmes les plus sombres. Fourniret ne le nie pas. Dans mon prochain livre, je publie leurs expertises psychologiques qui démontrent que leur couple reposait sur le meurtre et sa planification. Même leur vie sexuelle est centrée là-dessus, ils ne peuvent faire l’amour que si elle est rigide et inanimée, comme un cadavre. Il est évident qu’elle a trouvé du plaisir à tuer.

Pourtant, seuls 12 à 15% des serial-killers seraient des femmes. Néanmoins, avec les psychiatres et les enquêteurs, on s’accorde à dire que le nombre de femmes serial-killer, notamment pour les infanticides, est très largement sous-estimé. Les femmes ont donné la vie et celles, qui sont souvent issues de familles maltraitantes ou qui ont subi des abus dans l’enfance, ont cette volonté de se sentir aimées. On appelle ça le syndrome de Münchhausen par procuration. En emmenant en urgence leur enfant à l’hôpital, après l’avoir volontairement blessé ou empoissonné, elles deviennent leur héros et sont dignes de leur amour éternel. Les femmes tuant généralement de manière plus insidieuse que les hommes, il se peut que certains de leurs meurtres soient passés à l’as et qu’elles vivent en toute impunité.

Si la rencontre Fourniret et Olivier est le catalyseur de meurtres, pensez-vous qu’il existe un gène du serial-killer ?

Dans l’état actuel de la science, non. Certains scientifiques spécialisés mènent des recherches à ce sujet, aux Etats-Unis, en Australie et au Canada. L’étude canadienne affirme qu’un certain nombre de criminels ont subi un choc traumatique dans le lobe du cerveau, traumatisme qui pourrait être à l’origine de leur déviance.

L’homicide leur procure un plaisir dont ils ne sauraient se passer

Ted Bundy avait-il raison lorsque qu’il a dit : « Nous les tueurs en série, nous sommes vos enfants, nous sommes vos maris, nous sommes partout » ? Est-il alors impossible de repérer un serial-killer ? Suspectez-vous certaines personnalités d’en être ?

Le serial-killer ne se balade pas avec un masque de hockey ou une machette à la main. Je ne soupçonne personne d’être serial-killer mais d’être psychopathe, oui. Si quasiment tous les tueurs en série sont des psychopathes, la réciproque n’est pas vraie. Quand on est capitaine d’industrie ou homme politique, c’est plutôt un atout. Il doit d’ailleurs y avoir un parallèle entre hommes de pouvoir et tueurs en série, j’écrirai peut-être un livre sur la psychopathie en col blanc.

Ils ne sont donc pas tous brillants ?

Non, mais ils sont généralement rusés et manipulateurs. Ils peuvent avoir un quotient intellectuel très faible, à l’image d’Ottis Toole qui avait 80 de Q.I. Certains sont très intelligents comme Monique Olivier. Michel Fourniret n’a pas supporté d’apprendre que son épouse, qu’il qualifiait de nunuche qui n’a rien entre les deux oreilles, ait un quotient intellectuel de 134 alors que le sien s’élevait à 121.

Pensez-vous qu’un serial-killer puisse se réinsérer dans la société ?

Non. L’homicide leur procure un plaisir dont ils ne sauraient se passer, ils sont obsédés par l’idée de recommencer.

Finalement, comment définiriez-vous un serial-killer ?

Le terme de tueur en série n’existe pas dans le Code pénal français. Que vous ayez tué une, deux ou sept personnes, vous pouvez écoper de la même peine car il n’y a pas de cumul des peines en France. Il y a deux ans, j’ai suivi un procès en Afrique du Sud qui a condamné un tueur en série à 1435 années de prison. Vous pouvez faire un calcul approximatif de son nombre de victimes sachant qu’il a récolté 30 ans de prison par meurtre et 20 ans par tentative. D’après le FBI, un homme est qualifié de serial-killer lorsqu’il a perpétré au moins trois meurtres dans un certain intervalle de temps. J’ajouterais « avec au moins une dimension d’ordre psychologique » à la définition. Les mobiles des tueurs en série sont toujours divers, même s’ils sont crapuleux, ils comporteront un dessein psychologique, sexuel par exemple. Ça permet de les différencier d’un terroriste comme Anders Breivik ou d’Eric Harris et Dylan Klebold, les adolescents responsables de la tuerie de masse de Colombine.

Vous êtes-vous justement penché sur la fusillade de Colombine ? Les tueurs de masse sont-ils si différents des tueurs en série ?

Bien sûr, les tueries de masse sont très intéressantes à étudier, mais on manque malheureusement de matériau. Soit ils se suicident soit ils se font abattre plus ou moins volontairement par les forces de l’ordre. Il est très rare qu’ils se laissent capturer. Très différent du tueur en série, le tueur de masse est généralement un suicidaire qui refuse de mourir dans l’insignifiance. Sa tuerie lui permettra un dernier (et unique) quart d’heure de gloire. Il utilise généralement des armes à feu, contrairement au tueur en série qui se tournera vers des modus operandi qui combinent sexualité et pouvoir, comme la strangulation ou l’arme blanche. Obnubilé par un désir de toute-puissance et de contrôle de la victime, il lui est nécessaire d’utiliser son corps ou une arme qui suit son prolongement pour tuer.

Donald Harvey m’a avoué 17 crimes dont il n’était même pas suspecté

Beaucoup de tueurs ont inspiré le cinéma. Que pensez-vous de la représentation de la criminologie et des serial-killers dans le septième art ?

Le film le plus réaliste est celui de Frédéric Schoendoerffer, Scènes de crimes, avec André Dussolier et Charles Berling. Le réalisateur m’y fait un clin d’œil en nommant la première victime de mon nom. L’enquête est divinement bien scénarisée. J’aime aussi beaucoup Manhunter [nldr, le Sixième Sens de 1987], le premier Dragon rouge, pas le remake idiot avec Edward Norton. Je vous conseille de le voir dans une version intégrale sortie en Zone 1 aux Etats-Unis. Sinon, le film coréen, Memories of Murder, a un côté poétique assez envoûtant. Le meilleur reste Henry, portrait d’un serial-killer, c’est le plus cru et le plus réaliste. Et quand Opening a sorti un coffret collector avec double DVD, j’ai dévoré tous les bonus.

Et la série Mindhunter ?

A la sortie de Minhunter, on m’a réquisitionné pour beaucoup d’interviews et je n’en ai vu que 4 ou 5 épisodes. Je dois avouer que j’ai failli décrocher en regardant le pilote. Le fait que ce soit axé sur la sémantique m’a prodigieusement emmerdé. Par la suite, ça devient meilleur. En regardant l’interview d’Ed Kemper, que j’ai effectuée dans la vraie vie, j’ai compris que les scénaristes avaient visionné mes enregistrements vidéo. Ça m’a fait sourire.

Et vous, avez-vous des projets cinématographiques ?

Je suis en train de développer ma propre série télé, sur ma vie, avec le producteur des Revenants. Je vais d’ailleurs faire un caméo et rentrer dans la peau d’un fan qui harcèle mon personnage. Je me plais à faire des petites apparitions dans les séries, je joue mon propre rôle au JT de TF1 dans La Mante notamment.

Vous auriez aimé être acteur ?

Je voulais être footballeur professionnel et puis finalement j’ai commencé à écrire sur le cinéma à 16 ans lorsque j’ai arrêté les études. J’ai suivi plus tard la formation du FBI à Quantico lorsque ces derniers me l’ont proposée.

Vous n’aimeriez pas travailler à plein temps avec le FBI ?

Je le fais déjà, mais pas à plein temps. J’ai déjà refusé de travailler pour la gendarmerie car je déteste tout ce qui est paperasserie. Une fois qu’on est assermenté, on ne peut plus se permettre de partir  interroger les gens dans les prisons ou trouver le temps d’écrire un livre. Je préfère n’avoir aucune contrainte. C’est cette liberté qui m’a permis de me lancer dans l’écriture de mon premier roman.

Après avoir passé de longs moments en la compagnie de tueurs en série, vous sentez-vous proches des tueurs en série que vous interrogez ?

Non, pas du tout. Tout comme eux, je joue un rôle face à eux. Je dois créer un lien avec des personnes qui n’ont jamais créé de lien avec quiconque. Je n’aborde donc jamais d’emblée la question de leurs meurtres.

Il vous arrive même de ne pas y venir dans les premières séances.

Quelques dizaines d’heure ont parfois été nécessaires pour entrer dans le vif du sujet. Avant, on parle de leur enfance, de leur rapports familiaux. Moi je ne suis pas limité par les horaires de garde-à-vue, je n’ai pas de contrainte de temps comme peuvent avoir les enquêteurs en recherche d’aveux. Les aveux viennent parfois au bout de 100 ou 150 heures. Certains tueurs finissent par m’avouer des crimes dont ils ne sont même pas suspectés au départ. Dans mon entretien avec Donald Harvey, que vous pouvez retrouver sur YouTube, il m’avoue 17 crimes dont il n’est même pas suspecté. Six mois plus tard, les autorités ont confirmé qu’il était l’auteur de ces meurtres.

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