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Guerre en Syrie: l’université française fait une victime


Guerre en Syrie: l’université française fait une victime
IEP de Lyon. Sebleouf. Wikicommons.
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IEP de Lyon. Sebleouf. Wikicommons.

La crise syrienne n’en finit plus de déborder sur l’Hexagone. Sur le terrain sécuritaire, il y a bien sûr ces « revenants » du djihad, dont le séjour prolongé sur les terres de l’Etat islamique n’a pas entamé la soif de sang. Et dans les salons feutrés de l’Université, la guerre civile qui déchire le pays du Cham a aussi ses victimes collatérales.

Palme aux médiocres

Prenez Fabrice Balanche, spécialiste de la géographie syrienne, auteur d’une thèse sur « Les Alaouites, l’espace et le pouvoir dans la région côtière syrienne ». Depuis le déclenchement du conflit en 2011, et bien avant que le rapport de force militaire ne bascule en faveur du régime, ce maître de conférences de Lyon-2 a fait entendre une petite musique différente de la doxa fabiusienne. Aux arguments moraux du Quai d’Orsay pariant sur l’inéluctable et imminente chute de Bachar Al-Assad, le géographe opposait la résilience du pays profond, tiraillé par des logiques sociales, tribales, politiques et confessionnelles irréductibles au bon vieux clivage Dictateur sanguinaire vs. Démocrates. Sans nier la responsabilité du clan Assad dans la militarisation de la révolution, ni minimiser les crimes de guerres des deux côtés, Balanche a toujours estimé inévitable la poursuite du dialogue avec Damas afin de combattre le djihadisme.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Fabrice Balanche  n’a pas été récompensé de sa prescience. En novembre 2014, briguant un poste de maître de conférences profil « Monde arabe : histoire, géographie, institutions et gouvernance » de  l’Institut d’études politiques de Lyon, l’universitaire fait figure de grand favori. Parfait arabisant, fin connaisseur du Levant, il a en effet vécu de nombreuses années en Syrie et a dirigé l’Observatoire urbain du Proche Orient à Beyrouth. Sauf que… rien ne se passe comme prévu. Ultrafavori sur le papier, passé le premier écrémage du concours, le candidat se soumet au traditionnel entretien oral de sélection au milieu de six autres concurrents. Et là, surprise, alors que les rapporteurs du jury avaient relevé l’excellence de son dossier académique, Balanche voit son nom absent de la short list des finalistes annoncée en décembre. Dans un courriel envoyé au principal intéressé, le président du comité de sélection Lahouari Addi invoque… la surqualification du candidat ! Magnanime, le jury a non seulement voulu épargner à Balanche l’affront de figurer derrière une escouade de jeunes thésards moins expérimentés que lui, mais justifie son revirement par le risque qu’une fois désigné, il cherche un meilleur poste ailleurs… Étrange palinodie légitimant la palme aux médiocres.

Une victoire symbolique au tribunal

Contestant sa disqualification, Fabrice Balanche a assigné Sciences Po Lyon auprès du tribunal administratif… qui lui a finalement donné gain de cause. Annulant la décision de l’IEP,  le juge conclut que « la décision du 8 décembre 2014 par laquelle le comité de sélection n’a pas retenu sa candidature est insuffisamment motivée » et « méconnaît le principe d’impartialité et prend en compte des éléments étrangers aux mérites des candidats ». Lesquels ? Haoues Seniguer, qui avait obtenu le poste convoité au nez et à la barbe de Balanche, a le mérite d’avoir effectué sa thèse avec Cherif Ferjani, un proche de la ministre de l’Education nationale, lequel faisait justement partie du comité de sélection… De là à alléguer qu’il devrait sa promotion à on-ne-sait-quelle proximité politique, il y a un pas que nous ne franchirons pas…

Un fait demeure cependant troublant : Seniguer s’est vu titularisé depuis, malgré le recours immédiatement déposé par son concurrent malheureux Balanche. Aujourd’hui que la justice lui donne raison, ce dernier fait feu sur la rue de Grenelle : « Le ministère aurait dû surseoir à la titularisation en attendant le résultat du tribunal administratif. L’avocat de l’IEP a demandé deux fois un supplément d’instruction pour gagner du temps et permettre à M. Seniguer d’obtenir sa titularisation. Mais ce qui est pire c’est que le ministère n’a pas hésité à soutenir le mauvais mémoire de défense de l’IEP. », glisse-t-il à Causeur. Et le chercheur d’évoquer un possible délit d’opinion : « Vu mes analyses sur la Syrie, le jury étant composés de plusieurs sympathisants de « la révolution syrienne », je n’étais pas en odeur de sainteté auprès d’eux. Si j’avais porté un chiffon rouge autour du cou avec marqué Alep, cela aurait sans doute mieux marché pour moi… » De toute évidence, comme le sous-entend la décision du tribunal, l’hétérodoxie et l’absence de réseautage du « réaliste » Balanche ont joué en sa défaveur.

Perdu pour la France?

Maintenant qu’il a obtenu une victoire judiciaire, le cas de Fabrice Balanche sera automatiquement réexaminé par le comité de sélection de l’IEP en janvier. Contacté par le quotidien lyonnais Le Progrès, le maître de conférences désigné Haoues Seniguer dit tomber des nues : « J’ai appris la décision avec stupeur et incompréhension et je vais bien entendu défendre une place chèrement acquise, avec de nombreux sacrifices consentis toutes ces dernières années ».  Il est tout aussi entendu que si d’aventure le jury de sélection le nommait cette fois-ci maître de conférences à Sciences Po Lyon, Fabrice Balanche ne serait pas le bienvenu dans l’établissement : « Si le comité de sélection me nomme premier, ce qui à mon avis n’arrivera pas, imaginez l’ambiance… Non, le plus probable, c’est que le jury ne se déjuge pas ou à la limite classe premier un des candidats qui a entre-temps été recruté au CNRS puis Seniguer en deuxième, ce qui garantira sa place.» C’est ce qu’on appelle la politique du fait accompli : titularisé, bénéficiaire du statut de fonctionnaire, sauf improbable revirement, Seniguer ne pourra manifestement pas tomber de sa statue. On ne licencie pas un salarié de l’Etat comme on congédiait un domestique à des temps révolus.

Mais Fabrice Balanche boit néanmoins du petit lait à la lecture de la décision du TA. Gagnant symbolique, il entendait avant tout « donner un coup de pied dans la fourmilière parce qu’il y en a marre des recrutements bidons à l’université. Un gâchis humain énorme » auquel il impute la crise de notre système de recherche en sciences sociales en général, sur l’islamisme en particulier. « Les analyses sur la crise syrienne sont complètement verrouillées par l’islamo-gauchisme. Si on en est là en France par rapport à l’islam et au terrorisme, c’est aussi à cause des universitaires qui préfèrent avoir tort avec Sartre que raison avec Aron. », fulmine-t-il.

L’ironie de cette mésaventure, c’est que l’élimination de Fabrice Balanche au nom d’un prétexte farfelu – le risque d’un exil dans une université plus prestigieuse – a entraîné… son exil aux Etats-Unis ! Le spécialiste de la Syrie fait désormais les belles heures du Washington Institute for Near East Policy qu’il abreuve en études sur le cours de la guerre en Syrie et autres analyses de  la sociologie des zones sous le contrôle d’Assad.  Au pays du premier amendement, l’enseignant-chercheur se sent « totalement libre. Même si Edward Saïd et les islamo-gauchistes sont considérés comme des dieux à Columbia, on peut faire sa carrière ailleurs. Contrairement à la France, comme les universités sont privées, il y a une prime au résultat par rapport au succès de nos étudiants. » CQFD.



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