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Cathos, où sont vos œuvres ?


Jesus chasse les marchands du Temple. Image : More Good Foundation.

Je ne suis pas allé manifester au Théâtre de la Ville contre le spectacle de Romeo Castellucci. Pareillement, je n’irai pas, comme nous y invitent divers cénacles chrétiens, déposer de fleurs blanches devant le Théâtre du Rond-Point à partir du 8 décembre, date à laquelle on représentera Golgota Picnic, conçu par Rodrigo Garcia ; et malgré le respect que m’inspire le cardinal Vingt-Trois, je ne me conformerai pas à sa suggestion (enfin, paraît-il, à sa suggestion, car je ne l’ai pas retrouvée sur le site de l’archevêché) d’aller prier, durant ces jours-là, à Notre-Dame. Je veux bien aller prier, mais certainement pas à cause d’un spectacle théâtral.

De deux choses l’une : ou bien ces spectacles n’éveillent en moi aucune curiosité et, en ce cas, je n’y vais pas. Ou bien ils éveillent ma curiosité, et je commencerai alors par aller les voir, après quoi je me ferai une opinion. Et là encore, de deux choses l’une : ou bien j’aurai l’impression d’avoir assisté à un spectacle bassement inspiré par le goût du scandale ; en ce cas, tant pis pour moi et, à l’occasion, j’exercerai mon droit de critique. Ou bien j’aurai l’impression d’avoir assisté à un spectacle où l’on s’interroge sincèrement sur la présence du Christ. Et dans ce cas-là, je le trouverai peut-être plus ou moins réussi. Mais voilà, j’aurai vu une œuvre, c’est-à-dire un fait d’expression et de suggestion dont on peut discuter.
On doit parfois rappeler les fondamentaux. Je suis un écrivain. J’ai publié une vingtaine de livres, et un grand nombre d’articles dans divers journaux, magazines, revues. On en pense ce qu’on veut. C’est ma vie, tout simplement. Et puis, pendant des années, à la Société des gens de lettres (SGDL), j’ai contribué à ma modeste mesure à affirmer les droits des créateurs. Jamais je ne me suis associé à une quelconque censure ou démarche d’« empêchement » d’une œuvre quelconque, en tout domaine. Jamais. Et jamais je ne m’y associerai. La critique, oui. La polémique, pourquoi pas. L’ironie, la férocité. Tout ce qu’on veut. L’obstruction, jamais.[access capability= »lire_inedits »] Jamais. Mais ceci ne suffit pas.

Aux chrétiens qui s’indignent (et il n’est pas besoin, j’espère, de préciser que ceci ne s’adresse pas aux chrétiens intelligents, qui existent – Dieu merci !), moi qui adhère à la foi chrétienne à travers l’Église catholique, et qui ne me suis jamais gêné pour le dire dès le moment que c’était vrai, j’ai deux questions à poser.
La première est : « bons chrétiens », où sont vos œuvres ? Je reprends ici une idée fortement exprimée par notre ami Jacques de Guillebon dans une récente tribune à Nouvelles de France et je crois que cette idée, il faut lui donner écho. Puisque vous êtes si déterminés, « bons chrétiens », à dénoncer ce qui ne vous plaît pas en matière d’expression artistique, eh bien où sont-elles, vos œuvres ?
Tout le monde sait que, depuis au moins deux siècles, à quelques heureuses exceptions près (qui hélas confirment la règle), l’Église catholique n’a plus été capable de maintenir avec l’art les liens fondamentaux qui avaient fait sa gloire en même temps qu’ils en ouvraient les chemins. Tout le monde sait que le monde catholique, depuis fort longtemps, n’a guère produit ou commandité que de la peinture de pompiers et de la littérature de chanoines. C’est un prêtre catholique qui me disait récemment, en évoquant le film Des hommes et des dieux : « Heureusement que ce ne sont pas les cathos qui ont fait ce film… » Pourquoi ? Parce que la force de ce film, c’était d’être l’œuvre de ceux qui s’interrogent. Pas de ceux qui croient qu’ils savent.
Mais allons plus loin encore. De quelles œuvres voulez-vous, « bons chrétiens » ?

Lorsque Verlaine écrivait de bouleversants poèmes qui sont ceux d’un pêcheur cherchant la Grâce, vous, beau monde chrétien indigné, vous vous détourniez avec horreur au motif qu’il était ivrogne et pédé. Lorsque Barbey d’Aurevilly se fit le défenseur flamboyant de notre foi, vous vous détourniez encore, au motif qu’il avait des obsessions sexuelles bizarres. Lorsque Léon Bloy, ce martyr de la littérature, clama dans une prose fulminante l’amour du Pauvre et de la Putain, vous l’avez ignoré lui aussi, au motif qu’il n’était pas poli avec les gens en place ! Lorsque François Mauriac fut le magnifique romancier de Genitrix et de La Pharisienne, vous avez chipoté encore, parce qu’il ne représentait pas convenablement les intérêts de la bourgeoisie bordelaise (sauf que Mauriac, journaliste de haut vol, sut vous clore le bec et s’imposer à vous malgré vous…). Et lorsque s’élevait la grande voix de Georges Bernanos, cela ne vous convenait pas non plus, car il n’aimait pas assez les franquistes !
M. Escada, de Civitas, et autres bons apôtres pétitionnaires, vous a-t-on jamais entendu réciter les vers de Paul Claudel ? De Charles Péguy ? De Marie Noël ? Vous a-t-on jamais vu, pour ne prendre que quelques exemples au hasard, admirer en masse la sublime architecture d’Auguste Perret (qui n’était pas croyant) à Saint-Joseph du Havre ? Ou les vitraux de Chagall à Saint-Benoît sur Loire ? Avez-vous entendu Guillaume Apollinaire, dans le légendaire poème Zone, s’exclamer : « Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme / L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X » ? L’un de nos plus grands poètes ouvrant son plus beau livre sur cette invocation ! Vous êtes allés déposer des fleurs blanches sur sa tombe ? Pas que je sache !
Oui, de quelles œuvres voulez-vous ? Puisque vous dénoncez des œuvres « impies » ou « scandaleuses », c’est sans doute que vous préféreriez des œuvres pies et non scandaleuses. Alors, allez-y ! À vos crayons, à vos caméras ! On va bien rire ! Mais les vraies œuvres d’art, faites par ceux qui cherchent, par ceux qui doutent, par ceux qui s’interrogent à travers ce qu’ils vivent, autrement dit par ceux qui créent, par ceux que Sa Sainteté Benoît XVI, dans son inoubliable discours prononcé aux Bernardins, a si profondément compris, ceux-là, vous a-t-on vus souvent les applaudir ?

Combien étiez-vous, il y a peu de temps, à saluer le merveilleux film Lourdes, de Jessica Hausner ? Où l’on voit une réalisatrice qui ne se réclame plus de la foi chrétienne depuis l’enfance s’interroger sur les guérisons miraculeuses, dans un film plein d’incertitude, de fascination, de vérité – c’est-à-dire, tout simplement, de talent, d’inspiration, de travail ? Vous étiez là, pour lui porter des fleurs blanches ? Non ! Et quand le génial Nanni Moretti, dans Habemus Papam, nous pose une question essentielle sur la responsabilité et les pauvres forces de l’homme – et que cette question bouleversante, il la pose précisément à travers un pape de l’Église catholique, est-ce que vous êtes là, les « bons chrétiens », pour vous émerveiller de ce qu’il nous donne ? Et vous avez remarqué que cette histoire apparemment si fantaisiste, c’est tout simplement celle qui, d’après diverses sources, advint à Grégoire le Grand ? Vous y avez pensé, à tout ça ? Et les fleurs, elles sont où ?

Nulle part ! Car ça ne vous intéresse pas. En fait, l’art et la création, vous vous en fichez éperdument. Au reste, et puisque il s’agit d’art, on ne vous a jamais vus non plus vous insurger contre les misérables bondieuseries en sucre d’orge dont on fait un si lucratif commerce en tout lieu chrétien, de Rome à Lourdes et à Compostelle. Les saintes vierges en plastique fluo, les assiettes à soupe à l’effigie du pape, ça, ça ne vous dérange pas ! Du moment que vous la mangez, votre soupe, et que rien ne trouble vos papotages de sortie de messe !

On m’assure que le spectacle de Rodrigo Garcia (à la différence de celui de Castellucci, ou du fameux Piss Christ que vous avez démoli) est réellement antichrétien. C’est possible. Mais vous savez, le ressentiment antichrétien, c’est encore une imploration. Et peut-être aussi est-il tout simplement mauvais (je n’en sais rien, mais moi, je dis que je n’en sais rien). Ce qui est sûr, c’est qu’à la faveur de vos indignations costumées et de vos prides carnavalesques, moi, il m’est devenu sacré, et que si vous prétendez l’empêcher, j’irai le défendre, pour la seule, simple et suffisante raison qu’il déclenche vos cris de putois.[/access]

 

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Décembre 2011 . N°42

Article extrait du Magazine Causeur



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est écrivain. Dernier livre paru : <em>La langue française au défi,</em> Flammarion, 2009.

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