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Je me souviens de Thomas Morales


Je me souviens de Thomas Morales
Thomas Morales
Thomas Morales

Il n’est pas indifférent que Thomas Morales ait appelé son recueil de chroniques publiées à Causeur, Valeurs actuelles ou dans différents magazines automobiles, Adios. On se souviendra peut-être que c’était là le titre du plus beau et du plus autobiographique d’un roman de Kléber Haedens, un des hussards oubliés d’aujourd’hui, ce qui est injuste car on lui doit ce petit bijou bovaryste et mélancolique qu’est L’été finit sous les tilleuls ainsi qu’une Histoire de la littérature française qui remplacerait avantageusement les néo-manuels de littérature pour les lycéens.

C’est en effet un adieu, mais un adieu que l’on espère infini, que lance Thomas Morales à une époque, la nôtre, qui semble vouloir traquer jusque dans les moindres recoins de nos paysages et de nos corps, de nos rêves et de nos rencontres, de nos lectures et de nos étés trop courts, ce qui faisait la douceur de vivre et l’élégance des temps disparus. Oh, ils ne sont pas si lointains, finalement, ces temps disparus. C’est une illusion d’optique qui nous fait croire qu’il y a mille ans que Roger Nimier s’est tué sur l’autoroute de l’Ouest ou que Nino Ferrer, tellement doué qu’il « aurait pu chanter le catalogue Manufrance » s’est suicidé. Nous avons là un des effets secondaires du « présent perpétuel » selon Debord. Nous serions les otages, souvent consentants, d’un aujourd’hui permanent rythmé par les alertes infos sur nos smartphones qui mettent sur le même plan le martyre d’Alep et le divorce de Brad Pitt et d’Angelina Jolie.

Pour parer à ce grand décervelage, Thomas Morales a mis au point une machine à remonter le temps d’une grande précision mais d’une autonomie limitée. Les décennies qu’il explore à travers la littérature et le cinéma toujours, la télé et le sport parfois,  l’automobile souvent,  vont des années 50 aux années 80. Le plus souvent en France, mais on passe parfois en Italie, à la recherche du sourire de Monica Vitti que l’on apercevra peut-être dans une station Agip sur l’autostrade.

On voit par où l’on pourrait attaquer notre homme : mélancolique et cocardier, hypocondriaque et d’un provincialisme insupportable à l’époque de la mondialisation heureuse. Seulement voilà, pour lui, parler de Pierre Mondy ou de Jacques Perret,  de Pigalle en 55 ou de l’insoutenable beauté du trio Delon-Ronet-Schneider dans La Piscine, des Tricheurs de Marcel Carné en 58 ou de La Mandarine de Christine de Rivoyre,  des Internationaux de France à l’époque  de Patrice Dominguez et Ilie Nastase ou de la petite culotte de Marthe Keller dans Le diable par la queue, tout cela ne se limite pas à un obituaire ronchon. Adios est plutôt à lire comme le manuel d’une nostalgie, la plus douloureuse des nostalgies, celle des époques que l’on n’a pas connues, celle de la patrie antérieure de Baudelaire. Les vastes portiques de Thomas Morales sont des portes ouvertes sur les couloir du temps et cette nostalgie est d’abord un moyen de connaissance ou une façon de s’orienter : le sextant du marin égaré, le tamis de l’archéologue au cœur sensible, le havresac de l’explorateur amoureux.

Thomas Morales ne pleure pas sur l’air du « C’était mieux avant ». Il revient de ses voyages où il a croisé le commissaire Joss Beaumont de Lautner et l’écrivain René Fallet dans un hallier du Bourbonnais avec une forme de joie étrange qui est celle du temps retrouvé. C’est qu’il en a des madeleines à sa disposition, notre quadragénaire élégant comme seuls peuvent l’être les exilés de l’intérieur : une page déchirée de Pilote, un quarante cinq tours avec quatre titres de Françoise Hardy,  les lunettes noires de Blondin sur le Tour de France, un Blondin dont « la prose est plus stimulante qu’une prise d’EPO » le cabriolet Porsche 356 B de Janis Joplin, la campagne berrichonne et l’iode de la Côte Normande.

On parle beaucoup d’identité française, par les temps qui courent. Morales en trace les contours sentimentaux qui sont les seuls qui vaillent. Et le jour où l’on nous demandera si nous sommes français, nous tendrons Adios comme on tend un passeport.

Adios de Thomas Morales (Pierre-Guillaume de Roux, 2016)

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