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Mauvais desseins


Mauvais desseins

J’apprends avec retard et stupeur que le dessinateur Placid a été condamné à 800 euros d’amende pour avoir dessiné ça :

Le livre datant de 2001, l’affaire traîne depuis sept ans. L’auteur et l’éditeur du livre ont été relaxés en première instance, puis condamnés en appel pour diffamation. La Cour de cassation, au titre de « l’exception de bonne foi » les a finalement renvoyés devant la Cour d’appel de Rouen, qui rejuge en ce moment même les faits. Mais Placid, lui, est définitivement condamné pour « injure ». Pourquoi eux et pas lui ? Maître Eolas l’explique mieux que moi.

Cette affaire, grave, m’inspire plusieurs remarques.

Tout d’abord, on peut penser ce qu’on veut de ce dessin. Bien ou mal vu. Bien ou mal dessiné. Bien ou mal pensant. On peut aussi penser qu’il est étrange qu’un syndicat de magistrats cautionne une caricature dénigrant ès qualités les policiers avec lesquels les juges sont censés bosser au quotidien. On peut penser a contrario que les magistrats qui charrient des flics, c’est l’hôpital qui se moque de la charité. Bref, on peut penser ce qu’on veut sauf une chose : quiconque dit que ce dessin relève des tribunaux devient immédiatement mon ennemi personnel, parce qu’il décide que moi, Marc Cohen, je ne suis pas assez grand pour me faire une opinion. Que c’est au juge Trucmuche d’en avoir une pour moi – et pour nous tous, accessoirement. A partir du moment où l’on a laissé à la justice le droit de dire ce qu’il faut penser, on n’a plus qu’un seul droit, c’est de se taire et de penser comme la chose jugée nous ordonne de le faire. Si telle est la loi, ce qui semble être hélas de plus en plus le cas, et bien la loi est pourrie.

C’est bien pour cela qu’il faut abolir toutes les lois restreignant la liberté d’expression. Oui, on doit pouvoir tout dire, tout écrire, tout dessiner même les pires abominations. L’idéal étant de ne conserver que quelques garde-fous judiciaires, faisant la part des choses entre la liberté de parole et les délits ou crimes plus ou moins graves (qui peuvent aller de la banale diffamation jusqu’à l’appel au meurtre). Mais le problème, avec ces garde-fous, c’est qu’on s’en servira forcément toujours pour restreindre la vraie liberté d’expression, les avocats sont faits pour ça. On commence par voter des lois pour faire respecter la mémoire de la Shoah et circonvenir les falsificateurs, et dix ans plus tard on se retrouve au tribunal pour avoir raconté une histoire de belges ou de blondes. On ne saurait critiquer ceux qui ont approuvé la loi Gayssot (moi-même, j’y étais tout à fait favorable à l’époque), mais à l’heure du bilan, elle n’a ni fait taire les négationnistes, ni empêché une franche résurgence de l’antisémitisme en France, en pensées, en paroles et en actes. Dire qu’il faut abolir toutes les lois mémorielles n’est donc pas tant un parti pris idéologique, qu’un constat pragmatique : non seulement elles n’ont pas fait leur preuves, mais elles se révèlent, l’inflation aidant, férocement contreproductives. On se reportera sur cette question, et sur bien d’autres, à l’interview de Pierre Nora dans Causeur, le mensuel.

Le plus raisonnable, serait donc un bon gros premier amendement à l’américaine, qui garantirait aux citoyens français une pleine liberté d’expression, au moins en principe, car elle ne le sera jamais en fait, et c’est probablement tant mieux comme ça. L’idéal serait d’utiliser l’arsenal répressif existant, sur la diffamation, la dénonciation calomnieuse, la protection de la présomption d’innocence – y compris celle de supposés terroristes autonomes corréziens – que MAM viole tous les jours, avec la complicité de quelques milliers de journalistes. Pour le reste, on parle, on discute, on s’insulte, on se gifle, même, si l’occasion s’en présente, mais on laisse les tribunaux à l’écart du débat d’idées, fussent-elles nauséabondes. Ce qui, accessoirement, donnerait aux juges le temps de s’occuper sérieusement des voleurs de poules et des anciens premiers ministres.

Une dernière remarque : moi, à la place de Placid, je ne serais jamais allé m’embringuer à défendre les droits de l’Homme – auxquels je le sais viscéralement attaché – aux côtés du Syndicat de la magistrature. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’on ne défend pas la liberté main dans la main avec les ennemis de la liberté. Depuis des années cette arrière-boutique du PS revendique sans honte ses pulsions liberticides. Prenons un exemple top tendance, l’homophobie. Il y a deux ans le Syndicat de la magistrature publiait aux éditions Syllepse Le sexe et ses juges présenté par lui comme « un ouvrage de réflexion et de combat, pour les éducateurs et pour les élèves de lycées ». Cet ouvrage, issu d’un colloque organisé par le même syndicat, donne la parole à une série d’experts. Et sur la question, qui fâche, ni une, ni deux, l’expert commissionné par le Syndicat de la magistrature exige une répression judiciaire accrue des propos homophobes. Je dis bien des propos, et pas des actes. Si vous ne me croyez pas sur parole (ce qu’en certains cas je ne saurai vous reprocher), peut-être accorderez-vous plus de crédit à l’écrivain gay Lionel Labosse qui s’exprime sur le site altersexualité. Voilà ce qu’il y dit des lois anti-homophobie telles que l’expert cité dans le livre du Syndicat de la magistrature les envisage : « Son apologie se fait au prix d’un glissement sémantique, puisque, après avoir justifié la pénalisation des violences physiques, il en appelle à celle des paroles, qu’il qualifie de ‘violences verbales’. Le problème, c’est que si les gays continuent à laisser ce genre d’intégristes gays les représenter, la gauche va persister à se laisser berner par la droite et on va aboutir d’ici quelque temps à pénaliser le blasphème. »

Lionel Labosse a tout compris. Ou bien la liberté d’expression vaut pour tous ou bien c’est le retour du cachot pour blasphème. Et dieu sait que rien n’est aussi extensible que le concept de blasphème. D’abord, on commencera par vouloir protéger les croyants d’une quelconque religion offensés dans leur foi par une caricature ou par une « violence verbale » et, à la fin, on n’aura même plus le droit d’écrire que certains juges sont des fous dangereux…

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De l’Autonomie ouvrière à Jalons, en passant par l’Idiot International, la Lettre Ecarlate et la Fondation du 2-Mars, Marc Cohen a traîné dans quelques-unes des conjurations les plus aimables de ces dernières années. On le voit souvent au Flore.

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