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Et la Révolution finit en vendetta…


Un rebelle de Misrata pourchasse les troupes de Kadhafi (20 avril 2010). Photo : Razief 1997.

Vendredi dernier, le lendemain de la mort de Kadhafi, une équipe d’Amnesty International visitait la ville dévastée de Syrte, théâtre de combats acharnés entre le dernier carré kadhafiste et les forces de la rébellion. Dans ce qui fut un hôtel avant la guerre civile, les enquêteurs de l’ONG ont surpris un groupe de combattants en train de remplir des sacs plastiques de cadavres inconnus. Certains d’entre eux avaient encore les mains liées derrière le dos et une enquête a rapidement permis d’établir qu’il s’agissait de partisans pro-Kadhafi. L’hôtel étant tombé entre les mains des forces rebelles dès début octobre, d’où l’on déduit que ces 53 individus ont été tués pendant la dernière semaine des combats. Or, les combattants qui occupaient le sinistre hôtel appartiennent à des unités composées d’habitants de Misrata, ville martyre qui a réglé ses comptes avec le clan déchu.

Au même moment que Benghazi, du 17 au 20 février, Misrata chassait en effet les représentants de l’Etat kadhafiste pour devenir l’une des toutes premières villes libérées de Libye. Or, étant plus proche de Tripoli (260 km, contre 1 000 km pour le trajet Tripoli-Benghazi), Misrata a dû rapidement affronter les attaques des forces gouvernementales. Dans les premières semaines, les combats autour de la ville étaient si intenses et la situation si désespérée que l’OTAN s’était fixée comme priorité de sauver Misrata et ses habitants. Là encore, Benghazi lui a volé la vedette, au moins sur la scène internationale. Pour les Libyens, Misrata est devenue le Stalingrad de la guerre. Or, vers la fin de cette guerre, une autre ville a accédé au rang de symbole : Syrte, bourgade natale de Kadhafi et théâtre de son dernier combat. Stalingrad a ainsi trouvé son Berlin…

Après avoir fait leurs classes dans leur ville, les combattants de Misrata comptaient sans doute parmi les plus aguerris au combat urbain. Mais forts de leur prestige, ces combattants se méfiaient du CNT qui comptaient, selon eux, trop d’ex-kadhafistes y ayant trouvé refuge. Ainsi, fin août, une semaine à peine après la chute de Tripoli, la première manifestation contre le CNT a eu lieu à Misrata pour protester contre la nomination d’Albarrani Shkal, un ancien général de l’armée kadhafiste qui avait retourné sa veste au mois de mai après avoir dirigé l’état-major de la 32e brigade pendant la campagne de… Misrata !

Depuis le début de la guerre, les unités militaires misraties échappent à tout contrôle et gardent leur indépendance vis-à-vis des instances improvisées à Benghazi qui ont été reconnues par l’Occident et l’ONU. Leur participation dans la campagne de Syrte est un indice supplémentaire du chaos ambiant : ces unités ont de toute évidence mené leur petite guerre parallèle sans se plier à un quelconque commandement unifié du front. Cette guerre privée, celle de Misrata contre Syrte, s’est soldée par un massacre qui s’apparente à un règlement de comptes entre clans.

Mais cette stratégie de vendetta, propre à Misrata, va probablement encore plus loin. Si on ignore pour l’instant qui a capturé et tué Kadhafi, on devrait prendre en compte un fait étrange : le cadavre du dictateur a été rapidement transféré à Misrata pour être exposé dans la chambre froide d’une boucherie locale. Impossible de savoir qui a ordonné le transfert de la dépouille, mais on peut parier sans risque qu’à défaut d’être directement responsables de l’exécution sommaire de Kadhafi, les combattants de Misrata se sont emparés de ce trophée pour l’exposer chez eux.

La Libye déclarée libre à Benghazi tandis que le corps de son ancien Guide est exposé à Misrata : voilà à quoi ressemble le début de l’après Kadhafi…



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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