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Quatre cent mille beaufs de gauche ?


Photo : Des idées et des rêves

Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la « Battle » sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Elisabeth Lévy contre Pascal Riché sur « Montebourg est-il le sauveur de la gauche ? »

Il faut rendre grâce à Arnaud Montebourg, ne serait-ce que parce qu’on lui doit un spectacle désopilant, ça n’arrive pas tous les jours. Les deux finalistes, qui jusque-là se signaient en entendant le mot « protectionnisme », resteront, grâce à leurs contorsions pour prouver qu’ils avaient toujours été proches des idées « d’Arnaud », dans les annales de la tartuferie politique. À entendre les « impétrants » et leurs fabricants de bobards respectifs, le petit Montebourg n’avait pas encore du poil au menton que Martine Aubry et François Hollande bataillaient déjà contre la mondialisation « néo-libérale ».

Dès dimanche soir, François Hollande évoquait « une France qui doit se faire respecter, y compris dans ses échanges » avant de s’adresser aux électeurs égarés sur le mode « je vous ai compris ». La maire de Lille, elle, ne s’est pas trop foulée, se contentant de chanter l’air de « la vraie gauche c’est moi ». Interrogée par Laurence Ferrari sur le succès de Montebourg, elle a sorti sa formule magique – le « changement » : le message du vote a-t-elle dit, c’est que les gens veulent « un changement profond et j’incarnerai ce changement. Il faut que ça change vraiment et que ça change enfin. Il faut un vrai changement de gauche. » Quelqu’un a dû lui faire croire qu’à chaque fois qu’elle disait « gauche » ou « changement », elle gagnait 100 voix. Quant à Laurent Fabius, qui s’est soudain rappelé qu’il avait été en 2005 le chef de file des « nonistes » de gauche avant de rallier le camp du « oui », il faut saluer sa performance dans le genre « je parle pour ne rien dire » sur RTL mardi matin : « les électeurs d’Arnaud Montebourg peuvent se retrouver dans la ligne de Martine sans que Martine ait à changer de ligne », a-t-il décrété. Elle est bonne celle-là.

Au passage, il est significatif que les commentateurs les plus favorables à la ligne de Montebourg, y compris à Causeur, admettent sans la moindre discussion qu’il se situe à la gauche du PS, comme s’ils avaient intériorisé l’idée que ce qui est bien est de gauche.

Tout le monde s’accorde à dire que le député de Saône-et-Loire occupe l’espace politique qui était en 2002 celui de Jean-Pierre Chevènement, mais on préfère oublier, comme le principal intéressé d’ailleurs, qu’il entendait précisément casser le rideau de fer de la vie politique française. C’est que pactiser avec l’ennemi – la droite- est un crime bien plus grave qu’avoir applaudi ou accepté les politiques dont on observe aujourd’hui les ébouriffants résultats.

S’il y a un enseignement à tirer de la primaire, il est pourtant que le clivage idéologiquement structurant n’est pas celui qui sépare la droite de la gauche mais celui qui oppose les adeptes de la raison mondialiste à ceux que, faute de mieux, on qualifie de souverainistes et qu’on trouve aussi bien à droite qu’à gauche, à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche.

Les deux nouveaux amis de « Démondialisator », amusant surnom inventé, me semble-t-il, par Marc Cohen, se trouvent être, l’une la fille de Jacques Delors, l’autre l’ex-chef de l’ex-courant deloriste. Comme il paraît que le nom de Delors ne dit rien aux moins de vingt ans, rappelons que ses héritiers le vénèrent comme le père-fondateur de la merveilleuse Europe qui est, comme le dit Alain Juppé, l’avenir d’une France condamnée par le sens de l’Histoire et qu’il a été l’un des plus ardents propagandistes du dogme libre-échangiste hors duquel il n’y avait point de salut – qui ne préfèrerait l’ouverture à la fermeture ?

Sauf distraction de ma part, on n’avait guère, jusque-là entendu Aubry et Hollande s’insurger contre la croyance selon laquelle la disparition des frontières était notre avenir inéluctable et radieux – il me semble même qu’ils ont participé avec ardeur à la traque des « hérétiques », régulièrement accusés de vouloir revenir au sombre âge des nationalismes. Bien sûr, ils n’aiment pas les délocalisations, les inégalités et les riches – ils sont de gauche, vous dit-on. Ce qui revient à détester les effets dont ils chérissent les causes.

Cette croyance aveugle avait en outre l’avantage de rejeter dans les limbes des classes populaires dont on ne savait que faire. Coup de chance, non contents de sentir mauvais sous les bras et d’être des arriérés incapables de s’adapter au monde nouveau, ces beaufs se sont jetés dans les bras du diable lepéniste. Bon débarras ! L’ennui, c’est qu’ils votent et qu’on peut difficilement être élu sans eux. D’où la popularité nouvelle de Montebourg : « C’est le seul qui puisse parler aux électeurs du Front national », m’a confié le patron de Libération, Nicolas Demorand. Qu’il apparaisse nécessaire de parler à ces brebis égarées jusque-là cantonnées derrière un improbable cordon sanitaire, voilà qui est incontestablement un progrès.

Ne nous emballons pas. Montebourg « sauveur de la gauche », c’est à voir. On peut compter sur le champion du PS, dès qu’il sera désigné, pour s’empresser d’oublier toutes les qualités qu’il trouvait ces derniers jours au bel Arnaud et à ses idées. Quant à celui-ci, sur le plateau de France 2, il a donné le sentiment de jouer la suite de sa carrière plutôt que l’avenir de la France – sans doute était-il de mauvaise humeur.

Reste que grâce à cette primaire si réussie puisque tous les médias le disent, les idées défendues par Montebourg et bien d’autres ont acquis une dignité nouvelle : il est désormais permis de les discuter. C’est peu et c’est beaucoup. Cela ne sauvera pas la gauche, ni la droite bien sûr, mais on ne voit pas bien pourquoi il faudrait les sauver. En revanche, cela réjouira tous ceux qui, au-delà de leurs différences, partagent la conviction que les gouvernants élus doivent et peuvent retrouver les capacités d’action sur le réel qu’ils ont volontairement abandonnées à une palanquée de mains invisibles. C’est ce que veulent les peuples: cela s’appelle la politique. Et c’est la seule chose qu’il faille sauver.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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