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Berrichon Pride


L’époque est à la multiplication des Etats : combien de modestes régions dont la légitimité historique et culturelle semble dérisoire, sont devenues en quelques années de véritables nations avec hymne, drapeau et fanfare militaire en guise de porte-bonheur. L’Europe a beaucoup œuvré sous la pression de différents lobbies à cette escalade identitaire et le communautarisme est l’illustration finale de ce phénomène politique.
Des Etats à l’intérieur des Etats et pourquoi pas, à l’intérieur des familles et des couples, c’est le souhait ultime de ces marchands : transformer des citoyens éclairés en consommateurs zélés et compartimentés. En France, combien de nos compatriotes se définissent avec des trémolos dans la gorge et des papillons dans les yeux comme résident basque, breton, alsacien, corse ou vendéen avant d’endosser avec quelques réticences la panoplie tricolore, centralisatrice et républicaine.

Et les Berrichons ?

Dans cette foire aux vanités, avez-vous déjà entendu quelqu’un se vanter d’être Berrichon ? Terrible injustice pour celui qui est né dans cette belle province entre Cher et Indre de voir son terroir raillé, moqué, bafoué et sali. Nous endurons depuis si longtemps cette infamie que nous encaissons les pires insultes sans nous insurger. Pourquoi avons-nous mérité un traitement aussi dégradant ? Passons sur la sempiternelle bourrée berrichonne censée définir à tout jamais notre folklore rustre et décadent : si on y ajoute un accent campagnard qui fait rouler les « r », nous avons là un tableau assez fidèle de ce que notre terroir laisse comme impression générale à la face du pays. Nous sommes jusqu’à la fin des temps ces cousins bouseux qu’il est de bon ton de ridiculiser sans risquer une quelconque fatwa.

Le Berrichon incarne à lui seul l’image du paysan demeuré, figure ancestrale d’un monde à jamais enfoui dans les ténèbres. C’est oublier que naguère notre pays, la France, était une grande nation agricole et les paysans, le creuset du peuple français. Pourtant, des décennies plus tard, ce sont toujours les Berrichons qui font figure d’arriérés mentaux et d’indécrottables cul-terreux.

Plus au sud, les Auvergnats ont échappé à cette honteuse discrimination. Le bougnat a beau être un paysan de même facture que son homologue errichon, on lui attribue des vertus de bon gestionnaire. La preuve, il a fait fortune à Paris en vendant du charbon puis des limonades. Le Berrichon ne peut se prévaloir d’aucune réussite particulière, ni de titres ronflants. Dans l’esprit collectif, le Breton est travailleur et honnête, le Corse fier et secret, quant au Cht’i, nouvelle égérie nationale, il cumule toutes les qualités, c’est bien connu, les gens du Nord ont dans le cœur…On connait la formule…. Dans cette frénésie régionale, le Berrichon se sent bien seul. Il ne peut compter sur personne pour faire valoir ses belles qualités humaines.

Le Berrichon, damné de la terre

En a-t-il, d’ailleurs ? Oui, sa modestie. Son humilité le place parmi les damnés de la Terre. Le Berrichon ne fait pas l’aumône, il voit bien que les autres provinces jouent des coudes aux réunions de famille, et que lui, perdu dans sa campagne austère, préfère baisser la tête. Il ne se prévaut pas de paysages à couper le souffle ou d’illustres conquérants. Il n’essaye pas de faire de la retape. Ceux qui l’apprécient, savent que sa richesse est intérieure et millénaire.

Jadis, le berrichon a administré la France sous le « règne » de Jacques Cœur. Il en garde un souvenir ému mais ne se complait pas dans cette nostalgie là. Certaines régions n’hésitent pas à sortir à tout bout de champ leur Jeanne d’Arc, Napoléon, François 1er ou Henri IV en étendard local. Le Berrichon laisse faire, ces gesticulations ne le font même plus souffrir. Il a accepté sa déchéance nationale. S’il doit être le paria du pays, il relève ce défi sans forfanterie. S’il doit être l’idiot du village comme dans un roman de René Fallet, il prend ce risque, il en accepte même les tourments. Car pour bien saisir l’âme Berrichonne, il faut communier avec elle.

Les marques d’appartenance à cette contrée sont discrètes, presque invisibles pour un visiteur extérieur. Ici, pas de carnaval joyeux, de feria galopante ou de fest-noz dansant, le Berry n’extériorise ni ses joies, ni ses peines. Il affronte seul les saisons. Le Berrichon est un homme debout qui n’attend rien des autres. Vous ne le verrez pas pleurer en public, s’apitoyer sur son sort, il garde ses larmes pour la solitude des nuits fraîches lorsque son esprit vagabonde. Contrairement à d’autres ambitieux, il n’a pas déserté sa terre, n’a pas souhaité courir le monde ou faire fortune. Il est resté là où la nature l’avait fait naître. Il y a chez lui de la résignation. Jamais, vous ne le verrez geindre. Il n’a pas l’intention de se donner en spectacle.

Au cours des siècles, sa pudeur a souvent été prise pour un enfermement dans une vie triste et monacale. En clair, il était irrécupérable pour la société moderne. Les Berrichons n’ont pas joué le jeu, ils n’ont pas minaudé, ils n’ont pas cédé à la pression qui veut qu’une province soit dynamique et se lance à corps perdu dans l’expansion économique.

Combien d’autres territoires se sont prostitués en exhibant leurs plus beaux sites touristiques, leur savoir-faire industriel et artisanal ou leur culture débordante d’imagination et de subtilité ? Le berrichon n’a pas cédé aux sirènes de cette déchéance-là, il a préféré vivre à l’abri des regards. La désertification rurale comme la nomment les technocrates a gagné chaque année du terrain pour le plus grand plaisir… des Berrichons.

Les beautés que recèlent le Berry ne se partagent pas avec tout le monde. Pour saisir, l’émotion d’un terroir, sa grandeur comme sa sécheresse, mieux vaut ne pas avoir été guidé par des tour-opérateurs obscènes qui déflorent à la hussarde les paysages. Car découvrir le piton de Sancerre surmontant les vignes alentours, sous un givre d’automne, est un doux moment qui serre le cœur et qui redonne espoir dans les hommes. Vous ne trouverez pas de mer déchainée, de pic majestueux ou de beffroi grandiloquent, simplement un village, reflet de deux mille ans d’histoire de France, entouré simplement de maisons aux toits polis par le vent et, plus loin, la Loire frontière naturelle avec la Bourgogne toute proche ne vous aguichera pas comme tant d’autres fleuves. La Loire se contente d’être sauvage et indomptable : elle veille sur ses concitoyens, les berce au soleil couchant d’une lumière irisée. Les rues pavées de Bourges vous en diront bien plus que de longs discours. Elles sentent la province, elles en ont l’aspect désuet et charmant. En les foulant, vous aurez ce sentiment étrange de retrouver vos vingt ans.

Car le Berry est avant tout une terre sentimentale qui façonne des hommes bons et loyaux. Lorsque vous croiserez un Berrichon, évitez-lui cette imitation ridicule et pathétique du paysan mais regardez-le plutôt comme un homme de cœur.



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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