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Faut-il compter noir sur blanc ?


un couple mixte. Photo : Paco CT (Flickr)

« IC13 » : Blanche, non anglaise, ni irlandaise. Au moins une fois par semaine, j’inscris mon code ethnique sur un document administratif britannique. Sans lui, on ne se soigne pas, on ne se loge pas, on ne se transporte pas, on ne va pas à l’école, on ne vote pas, on ne peut pas travailler. C’est simple, on n’existe pas. On n’est même pas compté dans le dernier recensement décennal de 2011. Et personne ne songerait à s’en offusquer.

Le monde à l’envers pour un Français nourri à l’égalité en droit et allergique par principe au rattachement communautaire. Il manque peut-être aux Anglais un petit détour par Vichy et le fichage des juifs pour comprendre l’allergie française au recensement des citoyens en fonction de leur origine. Terre d’accueil d’aussi longue date que la France mais issu d’une tout autre histoire, le Royaume-Uni a fait le choix opposé. L’État est culturellement multinational, à travers le Commonwealth, et la société multiculturelle. Depuis les années 1960, l’Office national des statistiques recueille des données chiffrées sur les populations originaires de l’ex-Empire, pour mesurer les discriminations subies par chaque communauté, les combattre en connaissance de cause et définir les besoins des collectivités, par exemple en termes de traducteurs ou de travailleurs sociaux. C’est aussi sur la base de ces statistiques que sont établis des quotas destinés à compenser les inégalités dans l’éducation, le marché de l’emploi, les services publics, le logement. En réalité, c’est tout l’équilibre social britannique qui repose sur ces statistiques que les populations concernées demandent et redemandent.[access capability= »lire_inedits »]

L’origine des délinquants systématiquement mentionnée par la presse

Curieusement, nul ne craint que ces données soient instrumentalisées par un quelconque National Party ou alimentent le type de polémique suscitée chez nous par Zemmour. C’est que, paradoxalement, l’ethnicisation va de pair avec la transparence : alors qu’en France, personne ne sait quelle est la proportion de Noirs et d’Arabes et que tout le monde pense que la publication de telles données alimenterait la campagne électorale d’une certaine blonde. Au Royaume-Uni, l’origine d’un délinquant est systématiquement mentionnée par la presse, et les campagnes de prévention de la délinquance, comme certaines opérations policières, ciblent clairement des groupes ethniques. « L’Opération Trident » vise par exemple les meurtres et fusillades « black on black » commis dans Londres. Imagine-t-on les glapissements de Thuram et de la Halde que susciterait une telle initiative ?

En réalité, l’universalisme français, même s’il comporte une part de dénégation, n’est pas forcément plus injuste que ce pragmatisme bon teint. Peut-être que les statistiques britanniques permettent une répartition judicieuse des crédits entre les différentes écoles primaires, mais permettent réellement de lutter contre les inégalités ? Ont-elles empêché les attentats de Londres en juillet 2005 ? Sont-elles un frein ou un encouragement aux sentiments d’appartenance qui font que 81% des musulmans britanniques se sentent musulmans avant d’être britanniques ? À partir du moment où on renvoie constamment l’individu à son origine, comment s’étonner que celle-ci prenne le pas sur toute autre affiliation ?

À cela, il faut ajouter que les statistiques alimentent des rivalités intercommunautaires toujours plus intenses, chacun se demandant qui empochera le gros lot social ? Qui obtiendra la création d’une école religieuse ? De plus, la définition même des groupes pose des questions insondables : faut-il distinguer les Noirs africains et les Noirs antillais, qui se détestent cordialement ? Les Africains catholiques ou les Africains musulmans ? Les adventistes du septième jour ou les Ismaéliens du premier ?

Ne faudrait-il pas, dans ces conditions, intégrer d’autres paramètres comme le genre, les comportements sexuels, les handicaps ? Au pays d’Orwell et de Huxley, on combine déjà toutes ces données dans un vaste shaker administratif dont l’exemple le plus parfait reste la BBC où les Noirs répondent aux Pakistanais, les femmes aux manchots et ainsi de suite, en fonction d’équations toujours plus complexes. Certes, elles favorisent une diversité de façade – j’enlève une Blanche pour mettre un Noir. Mais elles pourraient aussi contribuer à construire le « Meilleur des mondes ».[/access]

Juin 2011 . N°36

Article extrait du Magazine Causeur



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Agnes Wickfield est correspondante permanente à Londres.

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