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Weinstein, un ours à peine léché


Weinstein, un ours à peine léché
Harvey Weinstein avec Heidi Klum et Uma Thurman, 2014. Photo : Araya Diaz.

Dans les années 1980, un groupe féministe organisait dans les locaux de la librairie anarchiste du 145, rue Amelot, à Paris, une exposition de photos pour dénoncer l’utilisation du corps des femmes dans la publicité. Le copain qui tenait la boutique raconte parfois l’événement en décrivant les réactions des mecs, le nez collé aux affiches pour mieux voir les filles très court vêtues. « C’est vraiment dégueulasse ! » s’exclamaient les uns. « C’est une honte ! » répondaient les autres, avant d’afficher un large sourire en sortant.

Lorsque l’écho de la tempête médiatique pleine de bruit et de furies qui s’est abattue sur le malheureux Harvey Weinstein est arrivé jusqu’à mes oreilles, je suis allé chercher dans la presse et dans les témoignages de ses victimes quelques scènes interdites aux moins de 18 ou même de 16 ans pour retrouver le sourire en ces temps difficiles. Je n’aime pas me réjouir du malheur des autres mais là, je me demande encore où le malheur se cache.

Autant le dire tout de suite, j’ai été déçu. Rarement à Hollywood un film aura été aussi peu à la hauteur de son teasing. Peut-être faut-il attendre les procès pour connaître les détails croustillants, mais jusqu’à présent, là où on nous annonce du harcèlement, des agressions sexuelles, des viols, il n’y a même pas de quoi monter un porno soft. En tout cas, si l’on s’en tient à la lettre des récits. En revanche, si l’on observe l’esprit du temps qui s’emballe et les esprits qui s’échauffent, on peut être inquiet de voir à partir de quels faits grossit une foule où chacune, et maintenant chacun, se presse pour apporter sa pierre à la lapidation générale. Voici donc ce que l’on trouve dans les journaux quand ils interrogent les actrices sur le bonhomme, non pas en gros, mais en détails :

Asia Argento déclare dans un article du New Yorker, repris dans toute la presse française, qu’elle a eu des relations sexuelles avec Harvey Weinstein pendant cinq ans. Des relations qu’elle qualifie de « consenties », tout en expliquant « s’être sentie obligée de céder à ses avances. »
De son côté, Emma de Caunes a raconté dans le New York Times sa rencontre avec Weinstein au Ritz, en 2010. Voilà le résumé qu’en fait Ouest France : « Le producteur lui donne rendez-vous pour parler d’un rôle mais lui explique qu’il ne se souvient plus du nom du film. “Je l’ai dans ma chambre”, explique Harvey Weinstein. À force de persuasion et de faux prétextes, il finit par parvenir à la faire monter dans sa chambre d’hôtel. Une fois dans la chambre, Emma de Caunes reçoit un coup de téléphone et le producteur en profite pour filer dans la salle de bain. Son interlocuteur est ensuite sorti de la douche, nu, le sexe en érection. Il lui demande alors de s’allonger sur le lit et lui explique que d’autres l’ont fait avant elle. J’étais pétrifiée. Mais je ne voulais pas le lui montrer car je sentais que plus je paniquais, plus il était excité. »
Et c’est Paris Match qui nous livre le happy end : « Emma de Caunes résiste et quitte le nabab d’Hollywood qui lui lance : “Nous n’avons rien fait, c’est comme un film Disney.” Elle  lui répond qu’elle a “ toujours détesté les films Disney” et prend la porte. Harvey Weinstein l’a ensuite appelée à plusieurs reprises, lui a envoyé des cadeaux en lui répétant que rien n’était jamais arrivé. »

C’est aussi au New York Times que Judith Godrèche décrit ses démêlées avec Harvey Weinstein et c’est encore Ouest France qui résume son témoignage: « Elle a 24 ans quand elle rencontre le producteur au festival de Cannes en 1996. Le producteur l’invite dans sa suite pour profiter de la vue, parler de la promo et des Oscars à venir. “J’étais tellement naïve et loin d’être préparée à ça.” Elle se souvient qu’il lui a réclamé un massage qu’elle a refusé, avant que le producteur ne lui explique que c’est une coutume aux États-Unis. “La chose dont je me souviens ensuite c’est qu’il s’est pressé contre moi et a enlevé mon pull”, raconte-t-elle. L’actrice l’a repoussé et s’est enfuie. »

Quant à Léa Seydoux, c’est au Guardian qu’elle s’est confiée : « Il me regardait comme si j’étais un morceau de viande. Il faisait comme s’il envisageait de me donner un rôle. Mais je savais que c’était des conneries. Je le savais, je pouvais le voir dans ses yeux. Il utilisait son pouvoir pour avoir des rapports sexuels. » Une fois de plus, Harvey n’est pas arrivé à ses fins : « J’ai dû me défendre. Il est grand et gros, j’ai utilisé toute ma force pour lui résister. J’ai quitté sa chambre, j’étais dégoûtée. »

Ainsi, si l’on crie au viol sur toutes les ondes depuis trois semaines, c’est parce qu’un producteur puissant dans le monde, mais un pauvre type dans l’intimité, qui a le goût du risque et des femmes mais peu d’éducation, qui a été obligé de réussir pour coucher et a pris l’habitude avec lourdeur, insistance et maladresse de proposer à des actrices, souvent déjà introduites dans le milieu, de coucher pour réussir.

Voilà toute l’origine de ce lynchage : un litige qui oppose, d’un coté, des starlettes tantôt pistonnées, tantôt oscarisées, des oies blanches qu’on a poussées dans le monde et qui s’offusquent de le voir tout nuancé de gris, ou des affranchies qui sont montées pour l’avancement de leur carrière, pas si godiches – si l’on excepte Judith Godrèche –, et redescendues avec toute leur vertu et une bonne histoire à raconter aux copines, des filles à papa qui crient au secours alors qu’elles n’ont même pas été obligées de coucher ; et de l’autre, un type peu apprécié pour son physique qui demande l’aumône d’un regard ou d’un geste sur sa misérable vie sexuelle et qui ne reçoit en retour que mépris et dégoût, râteaux et vestes, portes au nez et délations publiques. On n’attendait pas des pimbêches et des mijaurées la charité dont les filles faciles qu’elles incarnent parfois à l’écran savent faire preuve quand elles rencontrent la détresse de la condition masculine, mais peut-être un peu de compassion et de retenue avant d’achever un type mort de trouille qui demande pardon.

Que restera-t-il de cette histoire quand l’orage sera passé ? Nous aurons perdu un producteur couillu, car quand on démissionne Harvey Weinstein, c’est Shakespeare in Love qu’on assassine, et Bad Santa. Et moi, je vais perdre de vue quelques actrices. Après toutes ces plaintes et toutes ces plaignantes, j’aurais trop de mal à y croire quand certaines essayeront de me la jouer Vampirella ou Mata Hari.

Novembre 2017 - #51

Article extrait du Magazine Causeur




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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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