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« Viol au 36 »: réflexions sur une condamnation

Accusé Pénis, dressez-vous !


« Viol au 36 »: réflexions sur une condamnation
©Francois Mori/AP/SIPA / AP22290809_000001

Deux anciens policiers du 36, quai des Orfèvres ont été condamnés à 7 ans de prison, le 31 janvier dernier, pour le viol d’une touriste canadienne en 2014. Réflexions sur un verdict attendu. 


Le procès dit du « 36, quai des Orfèvres », où deux policiers, anciens de la BRI, étaient accusés du viol d’une touriste canadienne, vient de se terminer par leur condamnation à sept ans de prison. Les débats, les postures des protagonistes du procès et le verdict paraissent tellement en accord avec l’air du temps qu’ils en deviennent suspects. Il me semble que les décisions de justice devraient donner un sentiment d’intemporalité plus marqué. Sinon être gravées par le marbre pour l’éternité, du moins refuser trop d’accointance avec les idées en vogue. Les deux cours successives qui ont condamné Jacqueline Sauvage rompaient avec le féminisme tout-puissant d’aujourd’hui. L’affaire du « 36, quai des Orfèvres » est exactement l’inverse de l’affaire Sauvage aux yeux de l’opinion. Son verdict va exactement dans le sens du courant dominant, personne n’osera s’élever contre cette sentence et il n’y a aucune chance que le président Macron gracie les deux condamnés.

Quand les médias protègent les lecteurs de « l’écœurement »

Première gêne : le ton dégoûté sur lequel les journalistes ont raconté ce procès. Le  chroniqueur du Figaro du 28 janvier ne sait plus quels détails donner ou ne pas donner sur ce viol présumé « pour éviter aux lecteurs l’écœurement qui submerge le banc de la presse ». Exquise délicatesse. Ni ces pudiques journalistes ni leurs lecteurs n’ont jamais consulté un site porno. Pourquoi ce mépris ? Les détails crus de cette histoire de drague qui a mal tourné parlent ouvertement du désir entre hommes et femmes et du consentement sexuel, qui fut à l’aurore de notre humanisation. Le jour où homo sapiens a pensé qu’il valait mieux demander à femina sapiens la permission de lui faire l’amour, en pensant que les ébats s’en trouveraient plus paisibles et finalement plus satisfaisants, l’humanisation a fait un grand bond en avant, beaucoup plus grand qu’avec l’utilisation du feu ou la domestication du loup en chien.

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Le consentement sexuel n’est pas seulement passionnant d’un point de vue anthropologique, il est une mine inépuisable pour le romancier. « Tu veux ou tu veux pas ? » est la question essentielle de La Duchesse de Langeais de Balzac et le pauvre général de Montriveau devient fou des refus de sa bien-aimée. Les pages où Proust raconte la séduction de Jupien par le baron de Charlus (il s’agit là bien sûr de consentement homosexuel) sont parmi les plus belles et les plus drôles de La Recherche. Le vieux baron est longuement comparé à un bourdon qui tourne patiemment autour de la fleur rare et difficile à trouver qu’il veut pénétrer et féconder.

Souvenirs flous, verdict net

Alors, consentement ou pas dans le parcours entre le pub irlandais le Galway et cette salle du 36, quai des Orfèvres où les deux policiers ont fait l’amour à Emily S. ? Les témoignages de la serveuse américaine du pub posent un problème. Elle a reculé entre ses premières déclarations et ses témoignages au procès, et ce recul est chaque fois à charge contre les policiers. L’Obs du 22 janvier rapporte : « « Vous disiez que mademoiselle S. avait embrassé sur la bouche par un french kiss Monsieur R. ? » Ce souvenir-là est flou chez le témoin. « Vous disiez : elle a embrassé à pleine bouche plusieurs membres du groupe. » Là non plus, la serveuse n’a plus la mémoire suffisante pour confirmer on non. » Bizarre. Une réponse à la police pendant une enquête préliminaire est-elle si anodine qu’on puisse aussi facilement l’oublier ? Je crois au contraire que l’émotion éprouvée lors d’un moment qu’on n’a pas l’habitude de vivre tous les jours fixe les souvenirs dans la mémoire. Entre l’enquête et le procès, Leslie ne s’est-elle pas réglée sur l’impitoyable doxa féministe du moment : les femmes sont toujours victimes, et n’a-t-elle pas été jusqu’à censurer sa propre mémoire ?

Les discussions sur la validité d’un consentement féminin ressemblent de plus en plus à la casuistique jésuite de pardon des péchés en vogue au XVIIe siècle. On épluche à l’infini chaque détail et on finit par déclarer que chaque cas est particulier. Sauf que les Jésuites recherchaient le pardon et que les féministes recherchent la condamnation. Si une femme qui a donné son consentement sur la rive gauche de la Seine est emmenée en voiture dans l’île de la Cité, le consentement restera-t-il valide ? Vérité en-deçà du pont Saint-Michel, erreur au-delà ? Si une femme a consenti avec un léger taux d’alcoolémie dans le nez, ce consentement sera-t-il valable en cas d’alcoolisation plus poussée ? Faudra-t-il exiger des dragueurs d’avoir sur eux des ballons pour tests éthyliques et de faire souffler les femmes qui auront dit oui pour s’assurer qu’elles n’ont pas le degré d’alcoolisation à partir duquel la séduction se transforme en viol ? Les députés LaREM nous pondront-ils un de ces jours une loi pour régler ce grave problème ? Et ce qu’on appelle dans le délicieux langage de l’érotisme traditionnel « les bagatelles de la porte », y ont-elles pensé les féministes ? Ces dames vont-elles déclarer que l’acceptation par une femme des « bagatelles de la porte » n’implique pas forcément l’autorisation à la pénétration vaginale et que celle-ci requiert un suprême consentement ? Les nuits d’amour risquent de se transformer en fastidieux questionnements de garde à vue. « Et le mulier equitans, ça ira ? Ah oui, ça c’est légal, ça montre bien la supériorité de la femme. Et si je te mets le truc entre les choses ? Non, pas question, si tu fais ça, je me pointe au commissariat du quartier à la première heure. »

Ajoutons qu’Emily S. a eu plusieurs occasions de planter là ses dragueurs lourdingues et de retourner tranquillement à son hôtel. Mais elle les a suivis dans leur bureau « par curiosité, parce que son père était lui aussi policier ».

Un procureur « prêt à malmener l’accusé »

Une autre phrase du chroniqueur du Figaro me gêne. Il écrit, à propos du réquisitoire du procureur Philippe Courroye, qu’au moment de le prononcer celui-ci « se lève, prêt à malmener l’accusé ». Cela se voyait donc tant sur le visage du procureur, cet enthousiasme à appeler à la punition en ayant derrière lui tout le camp du Bien, en étant sûr des louanges de Libération et du Monde, des députés LaREM et, par-dessus le marché, en étant sûr de l’approbation de tous les anti-flics de tous poils, banlieusards, Français périphériques, black blocs, zadistes et j’en passe ? Quel plaisir de se payer deux flics anciens de la BRI, d’obtenir les oreilles et les queues de ces taureaux maladroits et de déclencher ainsi l’ovation de toutes les arènes ! Il me semble qu’un procureur devrait requérir avec un visage serein, sans montrer le plaisir de traîner dans la boue des hommes que toute l’opinion, formatée comme elle est, traînera aussi dans la boue.

En vérité, ce procès pue la bien-pensance à plein nez. Ce n’est plus comme dans le tableau allégorique de Pierre-Paul Prud’hon, La Justice poursuivant le Crime, c’est La Justice poursuivant la Police avec l’approbation générale. C’est aussi La Femme triomphante punit l’Homme de son pénis. 

Du consentement des juges

Sans surprise, le Conseil d’Etat vient d’approuver la loi anti-prostitution qu’avait courageusement combattue Causeur. Après deux siècles d’échecs, de tyrannies et de sang, la statue de l’Homme Nouveau est toujours debout. Ses attributs virils ont été réduits au minimum, puisque l’ultra-féminisme rêve d’un monde d’eunuques.

Qui nous délivrera des juges ? Des voix commencent à s’élever en Occident contre la dévoration de la démocratie par le pouvoir judiciaire. Il y a partout une hybris des juges qui empiètent sur le pouvoir exécutif, qui forcent Giscard à accepter le regroupement familial, qui sabotent l’élection de François Fillon à la présidence de la République, qui empêchent l’expulsion de presque tous les déboutés du droit d’asile, qui entravent la construction du mur de Donald Trump. Les Anglais ont voté pour le Brexit entre autres par exaspération devant la prééminence de la Cour européenne des Droits de l’Homme sur les lois britanniques. Au secours Montesquieu, ils sont devenus fous !

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Les  Sages du Conseil d’Etat (un ramassis de chevaux de retour de la gauche ou de la droite lobotomisée par la gauche) ont transformé la devise de la République française en source de droit : ils ont déclaré que la fraternité autorisait à aider les migrants illégaux. Les pouvoirs exécutifs et législatifs, le président Macron et la Chambre des députés auraient dû s’insurger contre ce coup de force et contre le coup d’Etat permanent que nous infligent les juges. Au fait, le principe de fraternité va-t-il pousser ce Conseil d’Etat à refuser le rapatriement (mot absurde à propos de gens qui n’ont jamais considéré la France comme leur patrie) des djihadistes ? Il me semble que les djihadistes ont totalement manqué à la fraternité républicaine en massacrant leurs compatriotes et en luttant contre l’armée française en Syrie.

« Le comble du droit, c’est le comble de l’injustice »

Il existe un mystérieux adage latin que Cicéron cite plusieurs fois mais dont on ne sait pas s’il est l’auteur : Summum jus, injuria summa. On peut le traduire par : « Le comble du droit, c’est le comble de l’injustice », ce qui ne rend évidemment pas le beau style lapidaire de la phrase, un style carré et abrupt qui semble la mettre au rang des vérités éternelles et indiscutables. Étrange paradoxe : on pourrait croire que quand le criminel est enfin puni, quand les nazis sont pendus à Nuremberg, le droit et la justice s’accomplissent ensemble. Eh bien non, c’est plus compliqué, il y a dans l’être même du droit un germe de terrible tyrannie dont il faut se défier à toutes les époques. Merci aux Romains de nous l’avoir appris, merci à Michel Onfray de louer la sagesse romaine. Summum jus, injuria summa… Comme pour l’œuf de Christophe Colomb, il fallait y penser.




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est romancier et professeur de lettres agrégé.

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