Daoud Boughezala. Les attentats de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray survenus en juillet révèlent-ils l’inefficacité de l’état d’urgence et de l’opération Sentinelle planifiant des patrouilles militaires à l’entrée de certaines zones sensibles ?
Vincent Desportes.[1. Ancien commandant du Collège interarmées de défense, Vincent Desportes est notamment l’auteur de La dernière bataille de France (Gallimard, 2015).] La succession des attentats en France montre clairement que le système mis en place ne fonctionne pas. Les choses auraient-elles été pires si ces mesures n’avaient pas été mises en place ? Je n’en sais rien. En tout cas, il faut se poser la question de la nécessaire évolution du système. On emploie à contre-emploi les faibles moyens militaires dont nous disposons et notre stratégie globale est déficiente.
Nos soldats employés à garder des synagogues ou des mosquées sont-ils sous-exploités ?
L’opération Sentinelle a été lancée il y a un an et demi après les attentats de Charlie hebdo et de l’Hyper cacher. Il était parfaitement compréhensible que le Président de la République fasse quelque chose. Cette réaction était assez raisonnable mais cela n’était qu’un dispositif lancé immédiatement qui devait évoluer. Or, il n’a ni évolué ni répondu aux attentes puisqu’il n’a pu empêcher l’attentat du Bataclan. Après les attaques du 13 novembre, on a ajouté trois mille hommes au dispositif, passant de 7 000 à 10 000 soldats mais cela n’a pas empêché les attentats suivants à Nice et ailleurs. Il était évident qu’on n’arriverait pas à faire avec dix mille hommes ce qu’on ne parvenait pas à faire avec sept mille hommes. Cette utilisation des armées sur le territoire national était avant tout une mesure anxiolytique vis-à-vis de la population et une réponse politique instantanée, comme disait Michel Rocard, mais cela ne fonctionne pas.
En l’employant à des tâches de dissuasion, a-t-on fait de l’armée une force supplétive de la police ?
Comme l’exécutif ne sait pas quoi faire, il a fait appel à la seule force corvéable à merci : les militaires, qui ne renâclent jamais, arrêtent leurs permissions et font ce qu’on leur demande. En effet, ils sont un peu les supplétifs des forces de police. Je dis bien un peu parce que les militaires ne savent pas faire le travail des policiers. Un soldat déployé coûte beaucoup moins cher qu’un policier déployé. Pour parvenir au même temps de travail, il faut deux policiers pour un soldat. Mais les militaires ne font aucun travail, sauf de faire accroire que le gouvernement s’occupe de l’énorme problème auquel il doit faire face. C’est une gabegie budgétaire et une gabegie de nos capacités opérationnelles.
Les terroristes de Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray avaient, pour le premier, échappé aux radars des services de renseignement après avoir été condamné pour violence et larcins, pour les seconds, endormi leur vigilance alors qu’ils étaient fichés comme des djihadistes susceptibles de passer à l’acte. Est-ce un échec de nos services ou de l’appareil judiciaire ?
On est globalement devant une faillite de l’Etat régalien. Les services de renseignement, la justice ne fonctionnent pas et la Défense n’est pas utilisée comme elle devrait l’être. Non seulement les moyens dont dispose la nation sont mal utilisés mais ils sont beaucoup trop faibles. La part du budget de la France consacrée aux dépenses régaliennes reste tout à fait insignifiante – défense, justice, sécurité (2.7% du PIB) par rapport aux restes des dépenses budgétaires (157% du PIB). L’Etat brade donc ses capacités budgétaires dans des fonctions qui ne sont pas les siennes et est devenu incapable de remplir les fonctions qui sont sa raison d’être. C’est un problème de fond qu’il faut traiter rapidement.
Au lendemain des attentats de novembre 2015, vous critiquiez déjà la riposte des autorités au terrorisme après que l’exécutif eût annoncé le renforcement de la campagne de bombardements de l’Etat islamique. Cette stratégie vous convainc-t-elle davantage aujourd’hui ?
On a bien eu des effets de manche, un président Hollande nous expliquant dès le 15 novembre qu’il allait être impitoyable, qu’on était en guerre… mais on ne fait pas la guerre ! On dit qu’on fait les choses mais on ne les fait pas. On a assez bombardé Raqqa pour provoquer le massacre du Bataclan, mais pas assez pour l’éviter. Depuis l’attentat de Nice et le pauvre curé égorgé, on voit bien que la France est la première cible de l’Etat islamique en Occident. Or, que faisons-nous au Moyen-Orient ? Nous suivons la politique des Américains qui ont des intérêts assez sensiblement différent des nôtres : ils essaient de temporiser, agissent sans vraiment agir, font semblant de rattraper l’erreur gigantesque qu’ils ont faite en Irak en 2003, etc. Aujourd’hui, Daech terrorise la France qui est une des premières nations guerrières du monde. Cette situation doit s’inverser. Actuellement, nous subissons Daech et nous nous défendons. L’histoire du monde montre bien que dans la lutte éternelle entre la cuirasse et l’épée, c’est toujours l’épée qui a un coup d’avance et qui l’emporte.
Il convient donc d’attaquer le vivier moyen-oriental de djihadistes. Mais nous le faisons déjà, par les airs…
Au lieu de porter véritablement le fer là où naît la violence djihadiste, c’est-à-dire au Moyen-Orient, nous répandons nos forces armées sur le territoire national. Vous aurez beau mettre un policier, un gendarme ou un soldat devant toutes les synagogues, devant toutes les mosquées, et devant toutes les églises que cela ne servira à rien. A chaque fois, on se protège contre l’attentat qui vient d’avoir lieu, jamais contre l’attentat qui va avoir lieu. C’est tout à fait normal, on ne peut pas faire autrement. Se défendre, c’est être condamné à prendre des coups sans jamais les rendre. A un moment donné, il faut changer de stratégie. C’est à nous de terroriser Daech au lieu d’être terrorisés par Daech. Nous consacrons un budget certes très insuffisant mais significatif en termes militaires à la lutte contre un adversaire. Cet adversaire, on doit aller l’attaquer avec nos moyens militaires. Cela fait longtemps que l’Etat islamique ne craint plus nos avions. Il nous a vu bombarder son territoire une fois par jour en moyenne d’après le colonel Michel Goya. Ce rythme n’est pas significatif. Il faut aller attaquer au sol, faire des raids avec nos hélicoptères d’attaque, terroriser Daech. Nous avons les moyens de le faire mais cela demande du courage politique : puisqu’ils nous attaquent, attaquons-les !
À supposer qu’un envoi de troupes au sol démantèlerait le territoire de l’Etat islamique en Syrie et en Irak, en quoi cela endiguerait-il le péril terroriste dans l’hexagone ? Les djihadistes français semblent être bien souvent des auto-entrepreneurs du djihadisme sans liens structurels avec Raqqa ou Mossoul…
Cette réponse est nécessaire mais très largement insuffisante. Puisqu’on ne peut pas attaquer en aval pour empêcher tous les passages à l’acte, il faut attaquer en amont sur le territoire national, là où se crée la nocivité djihadiste. On doit avoir une action de long terme en amont, en rappelant un certain nombre de règles républicaines. La République française a fait preuve d’un laxisme qui s’est révélé mortifère envers un certain nombre de pratiques que la République condamnait auparavant. Un vieux principe démocratique veut que la liberté de chacun s’arrête là où commence celle de l’Autre. Faire en sorte que chaque Français puisse être libre signifie que les libertés d’un certain nombre d’individus doivent être mesurées. Je pense par exemple aux signes ostentatoires de religion que l’on ne devrait plus être autorisé à exhiber. Puisque nous sommes une République laïque, que personne ne porte la burqa, le voile islamique, la kippa ou la croix, et que chacun redevienne Français. Je cite un inventaire de mesures à la Prévert : que dans les écoles, comme on le fait aux Etats-Unis, on demande aux enfants intégrés de connaître l’hymne national, qu’on exige des gens qui habitent en France qu’ils aiment la France et qu’ils la respectent. Ce sont des choses simples qui s’apprennent à l’école. Et si on sait pas un certain nombre de choses, on n’est pas autorisé à être Français, ce n’est quand même pas compliqué de faire comme aux Etats-Unis qui sont une nation fortement démocratique. La République doit aussi empêcher les prêches radicaux dans les mosquées. Quand vous avez peu de moyens, il faut les utiliser comme des effets de levier.
Manuel Valls vous a d’ailleurs emboîté le pas en réclamant une énième réorganisation de l’islam de France. La relance de ce serpent de mer contredit quelque peu le discours officiel anti-amalgamiste selon lequel le djihadisme n’a « rien à voir avec l’islam »…
Aujourd’hui, la communauté musulmane doit se sentir profondément responsable de ce qui arrive. La vie en société et l’intégration médiocre, mais qui existe néanmoins, des musulmans de France, vont se détériorer rapidement à leur détriment s’ils ne se prennent pas rapidement en main et n’organisent pas eux-mêmes leur propre police. La difficulté, pour une religion sans clergé, c’est qu’elle n’est pas organisée de manière hiérarchique, aussi ne va-t-on pas exiger de solution rapide. Mais ces gens-là se connaissent, et si la majorité des musulmans qui aiment la France veulent continuer à y vivre, ils doivent bien comprendre que la solution passe par leurs propres comportements vis-à-vis des dérives terroristes.
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