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Un brûlot de poésie sous le soleil


Un brûlot de poésie sous le soleil

fregni sous rouge

« Marseille, en cette fin d’été, sentait l’urine, le gaz d’échappement et l’inquiétude. Les pigeons s’abattaient de plus en plus nombreux sur les toits de la ville. Seul, sur un puissant scooter de couleur blanche, un homme fonçait dans les quartiers Sud, il prenait en chasse les trafiquants de drogue et les exécutait froidement au 11.43. Une sorte de « nettoyeur » qui glaçait le dos des voyous, intriguait les lecteurs de journaux à l’heure du café et ne déplaisait pas à tous ceux qui regardaient Marseille s’enfoncer dans la crasse, la misère et la violence. »

Ainsi commence Sous la ville rouge, dernier roman de René Frégni. D’emblée, on le retrouve, lui, tout entier; lui et son univers, son souffle. La violence, la ville, le Sud, la rue. Il n’a pas changé, René Frégni. Même son passage de chez Denoël à la blanche de chez Gallimard n’y a rien fait. Et c’est tant mieux. On aime à retrouver cet auteur authentique, conteur insatiable qui, dès son premier roman Les Chemins noirs (Prix Populiste 1989) imposait une voix, un ton, des ambiances qui furent confirmés par quelques autres grands livres dont Les nuits d’Alice (Prix spécial du jury du Levant 1992) et Elle danse dans le noir (Prix Paul-Léautaud 1998).

Cette fois, il nous raconte la vie de Charlie Hasard (quel beau nom!) qui réside à Marseille. C’est un solitaire qui ne vit que pour deux choses : la boxe et l’écriture. Mais ce n’est pas simple. Les éditeurs, en masse, refusent ses manuscrits. Il s’obstine avec une candeur lucide, comme il s’obstine sur le ring : « Il frappait en silence, les dents serrées, la rage travaillant chacun de ses muscles, le moindre de ses nerfs. Comme une brute, il frappait sur ce petit monde arrogant et repu qui le méprisait. Ce tout petit monde d’élus qui veillaient jalousement à ce que personne ne pénètre dans ce cercle très privé d’honneur et de lumière. »

Charlie boxe « au milieu d’un peuple d’humiliés, de bafoués qui musclait sa revanche. Un peuple qui n’existait que sur le ring en rendant coup pour coup. ».

Après la première lettre de refus d’un éditeur, avec l’effondrement de ses illusions, habité d’un immense sentiment d’injustice, il était monté sur le ring et avait massacré son partenaire. On le comprend : les séances d’entraînement se transforment, pour lui, en puissant exutoire.

Pourtant, un jour, un éditeur parisien lui fait savoir qu’il est intéressé par l’un de ses manuscrits. Charlie Hasard espère que sa vie va changer. Elle va changer, oui; mais pas forcément dans le sens qu’il souhaite. Il vivra ensuite un véritable enfer, comme un interminable siphon qui l’aspirera vers les tréfonds de l’horreur.

Il y a trop de vie, trop de détails authentiques pour ne pas penser que René Frégni, lui-même, n’a pas été habité par cette brûlante envie d’écrire, d’être édité, et qu’il n’a pas été confronté, à ses débuts, à d’humiliants refus. Ici, l’édition parisienne, germanopratine pour être plus précis, n’est pas épargnée. Une manière de parisianisme enduit de morgue, de cynisme, de dédain, non plus. Frégni règlerait-il quelques comptes? Même pas.

Ce n’est pas nécessaire car ce thriller haletant tient debout par la puissance de sa narration, par la poésie à la fois imagée et lyrique de son écriture. On y parle de l’odeur chaude du goudron et « de la faucille noire des hirondelles qui découpaient entre les toitures un ciel encore très clair ». On y voit aussi un détenu des Baumettes qui éclate en sanglots après avoir reçu le premier cadeau de sa vie. Frégni qui, longtemps, a animé des ateliers d’écriture à la prison de Marseille, sait de quoi il parle. C’est aussi cela, la littérature, le réel qui se mêle à l’imaginaire. Un réel transcendé comme dans ce beau roman, véritable brûlot de poésie sous le soleil.

 

Sous la ville rouge, René Frégni, Gallimard, 2013.

*Photo : SOUVANT GUILLAUME/SIPA. 00647510_000007.



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Il a publié une vingtaine de livres dont "Des Petits bals sans importance, HLM (Prix Populiste 2000) et Tendre Rock chez Mille et Une Nuits. Ses deux derniers livres sont : Au Fil de Creil (Castor astral) et Les matins translucides (Ecriture). Journaliste au Courrier Picard et critique à Service littéraire, il vit et écrit à Amiens, en Picardie. En 2018, il est récompensé du prix des Hussards pour "Le Chemin des fugues".

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