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Théorie du genre : SOS Fantômes


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La soi-disant théorie du « genre » n’en est pas une, nous expose-t-on pour rassurer les familles. En effet, ce n’est pas une théorie mais une pratique de la déconstruction qui tient moins à l’enseignement d’une vérité nécessaire qu’à l’obsession d’une égalité introuvable. Comme toujours, chez les nouveaux prêcheurs, l’argutie est avant tout morale. L’essentiel n’est pas tant que la théorie ou la pratique soit vraie ou fausse, ou dans quelle mesure elle peut l’être, non, l’essentiel, c’est qu’elle est en tout cas satisfaisante d’une point de vue moral, promouvant une stricte égalité entre tous. Qui prétendrait remettre en cause ce manichéisme primaire déconnectant inné et acquis, nature et culture, serait avant tout suspecté de rechigner à ce haut but moral et condamné pour cette raison. Face au camp du « Progrès », on n’est jamais un interlocuteur, pas même un adversaire, toujours un salaud.

Mais fort bien, puisque le vrai nœud du débat se situe en fait sur le plan moral, allons complètement sur ce terrain. Cette manière d’affronter le monde, ses contingences, ses limitations, ses iniquités, par la déconstruction égalitariste, que vaut-elle d’un point de vue moral ? Rien. C’est même à cet endroit qu’elle est la plus criminelle. Les hommes ont toujours souffert des limitations biologiques ou socio-culturelles qui leur étaient imposées par les coordonnées de leur incarnation physique. Ces limites, seulement, la sagesse consistait jusque là à tenter de les surpasser, quand on nous intime aujourd’hui de les déconstruire. Pragmatiquement, c’est idiot : elles se déplaceront toujours. Philosophiquement, c’est lâche. La belle attitude païenne de l’amor fati, revigorée par Nietzsche, et qui s’était illustrée au plus haut point dans le christianisme sous la forme du consentement à la Divine Providence, y est prise strictement à rebours. Il faut aimer ce qui nous arrive, nous disait celle-là, pour les deux excellentes raisons que cela est et que cela nous concerne. En bien ou en mal, accepter de manière loyale ce qui advient, s’y confronter avec courage, s’y éprouver, s’y transformer, mûrir. Considérer tout événement comme un défi, chaque obstacle comme un franchissement possible. Faire de son existence un destin.

Mais cela paraît sans doute bien « violent » pour un égalitariste contemporain, oui, violent comme l’est pourtant toute expérience accouchant d’un progrès véritable. Et celui-ci préfère s’illusionner sur la manière d’éliminer l’obstacle afin que la vie ressemble toujours davantage aux travées bien nettes d’un supermarché où chacun pourrait fabriquer son identité à l’envi, dans un solipsisme absolu et en fouillant dans les rayons, au lieu de s’acheminer vers la révélation de soi par l’amour et le combat. Demeure un problème : l’existence n’est pas aussi lisse que leurs concepts, elle n’est même faite que d’arrêtes, l’existence, elle heurte, elle choque, elle manque souvent de briser. Alors ces gamins qu’on voudrait moralement désarmer en leur laissant croire que leur vie consistera à choisir abstraitement, sur un pied d’égalité, ce que leur ignorance leur suggère, que feront-ils plus tard ? Que feront-ils face à un deuil, un échec fondamental, une rupture, un accident grave ? Ils lanceront des pétitions ? Déconstruiront la notion de santé ? Reprocheront son fascisme à la mort ?

Ce qui obsède nos démagogues post-modernes, c’est une horror fati, une horreur du monde tel qu’il est et tel qu’il se donne, un refus d’adhérer au destin. Cette déloyauté se trouve compensée par une hybris : reprogrammer l’univers entier en fonction de quelques critères abstraits, ce qui le réduirait par ailleurs à l’état d’antichambre du néant dans lequel vivre ne s’entendrait que sous une acception végétative. Il est vrai, au demeurant, qu’un peuple de plantes pourrait tout à fait se satisfaire du règne de François Hollande. Des plantes sous serre, on s’entend, et taillées précisément au même niveau. Alors bien entendu qu’il est bon de corriger au mieux l’inertie des inégalités qui structurent une société, mais cette obsession égalitariste est de l’ordre de la névrose. Il se trouve que lorsque son exigence première est de pouvoir choisir et d’avoir autant que le voisin, lorsque son exigence première est cette exigence de rivaux de caddies, on entre en complète contradiction avec une autre : celle de pouvoir répondre librement à ce que le destin nous impose précisément à nous, et se montrer à la hauteur.

Si, comme le notait Heidegger, le national-socialisme se lança dans la production industrielle de cadavres, le libéral-socialisme voudrait verser, lui, dans la production industrielle de fantômes. Fabriquer des êtres sans chair, ni corps, ni origine, ni destinée, seulement voués à hanter infiniment, dans un flottement indécis et un « genre » aléatoire, les galeries désinfectées du no man’s land global.

*Photo : LECARPENTIER-POOL/SIPA. 00652846_000004.



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est journaliste littéraire et co-animateur du Cercle Cosaque

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