Spleen au lavomatic, le premier roman de Valère-Marie Marchand à paraître aux éditions Héliopoles est dingue. On y croise Narcisse, Baudelaire, César Birotteau, Georges Conchon, Bartleby et Émilien Dorval, écrivain synesthète en proie à des troubles de la vision
Valère-Marie Marchand n’est pas une écrivaine des lignes droites. Elle aime les tortillards de la vie, ses impasses et ses allégories. Inclassable, elle ne s’est pas laissée piéger par les genres et les étiquettes d’un monde littéraire qui n’aime que l’ordre et la discipline. Elle est libre, libre d’écrire sur des sujets aussi variés que le Facteur Cheval, les arbres, les piscines municipales ou Boris Vian. Vous ne l’attraperez pas dans votre filet à provisions avec des ronds de jambe et des sourires mielleux. Elle connaît mieux que quiconque les simagrées du milieu et ses chausse-trappes. Ne tentez pas de la piéger dans une école de pensée ou dans un sous-ensemble flou. Elle vous rira au nez. Elle a l’expérience des pigistes aguerris à toutes les contorsions. Cette voix de radio, connue de tous les auteurs pour son oreille attentive, est à l’aise dans tous les exercices de style : la chronique vipérine comme la vulgarisation scientifique. On lui doit déjà une œuvre dense et éclairante guidée par une écriture sensitive. Après l’avoir lue, on se souvient d’elle. Aucun thème ne la rebute, ni les arts ménagers, ni la peinture contemporaine ; dans le vitrail ou les poètes surréalistes, elle trouvera toujours à poser son propre ton et une forme d’arythmie très séduisante. C’est ce que l’on attend d’un écrivain « original ». Un phrasé identifiable à l’épithète près, la typicité d’une narration rien qu’à lui et surtout, une échappatoire aux carcans actuels, faite de digressions et d’horizons étranges. Valère-Marie Marchand est d’ailleurs, d’un vieux monde où l’érudition n’était pas barbante et où les journalistes de presse écrite avaient le goût du bel ouvrage. Elle est si particulière qu’elle aura attendu plus de deux décennies avant de se lancer dans le roman pur, l’antichambre de la respectabilité. Par pudeur, par timidité, par respect devant son imposante bibliothèque et aussi, par peur.
La trouille est mauvaise conseillère. Elle a eu tort d’avoir tardé à ce point. Car Valère-Marie a beaucoup lu avant d’écrire, ce qui est une situation tout à fait incongrue de nos jours où les primo-romanciers se targuent de leur inculture à la télé et où on les applaudit chaudement. D’abord, accordons-lui la palme du meilleur titre 2024, son Spleen au lavomatic est charmant, rieur, plein de grâce et de nostalgie abrasive. Il y a tout dans ce titre, la dinguerie de Valère-Marie, son inclination pour les « grands », sa ruse taquine et ses facéties de sale gosse bourbonnaise. Elle est une hussarde à la manière de Geneviève Dormann ; son don pour la caricature serait plutôt à chercher chez Claire Bretécher. Mettez une pincée de Miss Marple dans votre salaison et vous vous approcherez de ce phénomène myope donc clairvoyant. Déjà lorsqu’en 2021, chez le même éditeur, elle avait sorti Le Club des Aquarêveurs, une galerie de portraits au pays de l’eau chlorée et du maillot une pièce, on savait que cette fille-là était terrible et dangereusement drôle. Elle en avait sous la plume. Début octobre, elle saute dans le grand bain qui a tout du grand déraillement neurologique. Avec Valère-Marie, le quotidien dévisse, l’imaginaire capture le réel et la fiction s’emmêle dans les méandres d’un cerveau « malade ». Émilien Dorval, son héros, écrivain désenchanté par la post-modernité se rend au lavomatic et y perd un manuscrit au format A3, un vendredi 13, dans une laverie au numéro 66 d’une rue ensoleillée, devant le lave-linge numéro 6. De ce point de départ, la primo-romancière organise un jeu de piste déroutant et désopilant où tout a un sens caché. Ce roman iconoclaste à tambour battant prend les chemins de traverse, il est à la fois cocasse, perspicace, d’une intelligence finaude et d’une spiritualité du meilleur effet. Valère-Marie, je le répète, est inclassable. Il y a du Marcel Aymé dans ses personnages de guingois, j’y ai vu également la patte du loufoque Pierre Dac, et puis, aussi, l’humanisme désappointé d’un Italo Calvino. Valère-Marie échafaude des théories sur le linge sale et propre, sur la fin des illusions et une société javélisée, sur l’influence de la numérologie et la fourberie des cycles d’écriture. Émilien va aller de rencontre en désillusions, de visions contrariées en chimères. Sur sa route, il croisera une fumeuse désinvolte, une psy alambiquée, une mère travaillant dans une matériauthèque, une experte en écriture… Cet écrivain au bord de la crise de nerfs n’est-il pas le reflet criant de tous les inconscients qui prétendent un jour écrire ? Et surtout retrouvera-t-il son précieux manuscrit ?
Spleen au lavomatic de Valère-Marie Marchand – Héliopoles 304 pages
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