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Sophie Pétronin : le déni de soi

Plus fort que le syndrome de Stockholm


Sophie Pétronin : le déni de soi
Sophie Pétronin à Bamako, après sa libération, 9 octobre 2020. © Sophie Petronin/ Hans Lucas/ AFP

Depuis son rapatriement en France, la désormais dernière ex-otage française se languit du Mali. Et si Sophie Pétronin était vouée à rester une captive ? Retour sur l’histoire d’une aliénation. 


« Une humanitaire portée par la foi » : sous ce titre on a pu lire une évocation du parcours de Sophie Pétronin. On peut se demander ce que recouvrent dans ce cas le mot humanitaire et le mot foi. Ils désignent bien les deux pôles d’une existence que l’on a vue, non sans surprise, apparaître et prendre corps, après des années de détention, sous la figure d’une vieille dame heureuse de l’expérience vécue : on avait pris soin d’elle, elle avait toujours été respectée… Qui plus est, son internement, elle l’avait vécu comme une « retraite spirituelle » la conduisant à se convertir à l’islam, à porter le voile et à demander qu’on l’appelle désormais Mariam.

Du catholicisme à l’islam

Médecin nutritionniste, Sophie Pétronin a pris en charge depuis vingt ans des enfants mal nourris de Gao. Sa passion pour le Mali l’a aussi conduite à adopter et à héberger chez elle plusieurs petites filles. Mais le rêve à la fois exotique et fusionnel qui l’inspire a buté sur les conflits et entreprises de domination déchirant son pays d’élection : des islamistes en quête de rançon l’ont enlevée. En 2012 elle leur a échappé, en 2016 ils se sont emparés d’elle et l’ont gardée. Ce qu’elle a subi aurait pu la conduire à reconnaître que, malgré ses efforts, elle n’était pas vraiment intégrée, encore moins assimilée, au peuple auquel elle se vouait. Elle a refusé ce réalisme désillusionné, choisissant de se conduire comme si entre ses ravisseurs et elle, il n’y avait qu’un malentendu : ils l’avaient considérée comme une étrangère, ce qu’elle ne voulait pas être. S’ils ne l’avaient pas crue, c’est qu’elle n’en avait pas fait assez pour les persuader de sa bonne volonté. Elle a donc entrepris de la leur montrer, reconnaissant l’échec antérieur, se l’imputant à elle-même et prenant appui sur cette « reconnaissance d’échec » pour relancer sa transformation. Cette relance, qu’elle a présentée comme une démarche spirituelle, l’a conduite à se convertir, à changer de nom, à oublier la catholique pratiquante qui était arrivée au Mali et qu’elle était restée jusqu’à son enlèvement.

La logique de l’humanitarisme poussée à son extrémité

De l’extérieur, on peut estimer qu’elle a simplement cédé à une menace de mort plus ou moins directe. « Retraite spirituelle » suggère tout autre chose : un approfondissement, et non une rupture, dans le fil d’une évolution méditée, délibérée dont son fils a indiqué le sens : « Quand on s’apprête à vivre ce genre d’aventure [la promiscuité et la détention suppose-t-on], on a plutôt intérêt à se familiariser avec les us et coutumes, à essayer d’être dans l’acceptation et la compréhension. » Apparemment, en pénétrant la personnalité de celui qui s’y soumet, l’effort de comprendre peut déplacer ses repères, recouvrir ses appartenances héritées et se muer en identification à un environnement envers lequel il se reconnaît des obligations. Ceci explique que Mariam Pétronin soit impatiente, après avoir embrassé les siens, de retourner au Mali. Il lui importe de savoir si la mutation engagée est accomplie, si cette fois, elle sera reçue et intégrée.

Un déni d’oppression

Les évolutions de cette néo-Malienne relèvent certainement de la logique de l’humanitarisme poussée à son extrémité, mais quand on parle à son propos d’une aventure « portée par la foi », on fait erreur. La foi est une adhésion personnelle, un point d’ancrage pour le croyant, alors qu’on donne à voir dans ce cas une sortie de soi, une aliénation peut-on dire. La direction choisie est celle d’un altruisme sans bornes, comme si la démarche d’acceptation ne pouvait pas, ne devait pas, avoir de limites.

À lire aussi, Céline Pina: Sophie Petronin, l’otage qui affectionne les jihadistes

Pourtant quand l’ex-détenue revient pour nous dire qu’elle n’était pas vraiment otage, que son épreuve n’a été qu’une transition, une étape dans un parcours spirituel, son propos apparaît tellement irréaliste qu’il ressemble à une dénégation. Qu’elle ait été otage, les négociations sur la rançon en sont la preuve, et il faut bien qu’elle ait été considérée comme française pour qu’on ait pu, comme l’a fait son fils, reprocher au gouvernement français de s’y être trop peu impliqué. Le rançonnement de la France met à part « la dernier otage français détenue dans le monde », la séparant des terroristes que le pouvoir malien a libérés dans la même période dans le cadre de transactions entre factions maliennes.

Une certaine distance avec les autres otages

Le déni de l’oppression subie devient même scandaleux quand il conduit à oublier le sort d’autres otages « retenus » dans le même pays au même moment et qui n’ont pas bénéficié d’une « transaction » libératrice. Une religieuse franciscaine originaire d’Amérique latine est apparue au second plan d’une vidéo, derrière notre compatriote. On ne sait pas ce qu’elle est devenue et sa compagne de détention ne l’évoque pas. Elle n’a rien dit non plus, en public, du destin de Béatrice Stöckli, missionnaire protestante suisse, enlevée elle aussi en 2016. Il se dit que Sophie Pétronin a appris à Emmanuel Macron que cette missionnaire avait été tuée par ses ravisseurs. Sans doute le président l’a-t-il interrogée sur ce point car, hors cette supposée confidence, elle est restée muette sur le sujet.

La distance qu’elle garde avec les autres otages prouve que Sophie Pétronin distingue les tensions internes au monde musulman (où elle se situe désormais) de celles qui tiennent aux rapports de celui-ci avec l’extérieur. Pour elle, ceux qui, venus de l’extérieur, agissent en terre d’islam doivent se faire admettre et accepter le risque d’être récusés. En revanche, ceux qui participent de l’umma peuvent bénéficier du respect qu’elle a connu, dont elle semble oublier qu’il est un privilège. L’humanitarisme en somme l’a conduite jusqu’à l’entrée de la société musulmane, mais sans lui donner les moyens d’interroger celle-ci sur un exclusivisme qu’elle a fini par épouser, sur une manière de se poser utopiquement en société idéale tout en s’acharnant, comme dans le cas de Samuel Paty, à retrancher les mécréants de l’humanité.

Novembre 2020 – Causeur #84

Article extrait du Magazine Causeur




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Essayiste, théologien, président des amitiés judéo-chrétiennes, Paul Thibaud a dirigé la revue Esprit.

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