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Snowden: Ego en bandoulière


Snowden: Ego en bandoulière
Joseph Gordon-Levitt dans le rôle d'Edward Snowden (photo : pathefilms.com)
Snowden Oliver Stone
Joseph Gordon-Levitt dans le rôle d'Edward Snowden (photo : pathefilms.com)

Ego en bandoulière

Vorace, intarissable, mégalo comme tous les grands réalisateurs hollywoodiens, Oliver Stone devait tôt ou tard s’emparer de l’affaire Snowden – un sujet à la mesure de cette « grande conscience de gauche ». C’est chose faite avec ce long film (2 h 14) dont la sobriété se limite au titre : Snowden.

S’il se laisse volontiers regarder, comme toutes ces productions américaines à la qualité technique irréprochable, on ne peut que sourire en observant la manière dont Oliver Stone a tordu la biographie du jeune informaticien, afin d’en faire un héros à l’image de ce qu’il prétend avoir lui-même été : un jeune patriote idéaliste, tombé à gauche par révolte face au cynisme de la droite (et surtout pas un geek sorti de l’anonymat sur un regrettable coup de sang). Pareil travestissement serait anecdotique (après tout, Snowden, quoi qu’on en dise, n’est qu’un divertissement) si le film, hanté de bout en bout par l’ego de Stone, ne passait pas à côté, juste à côté, de ce qu’il aurait pu être : un récit palpitant sur le journalisme d’investigation et l’un des plus grands scoops de l’histoire. Les courtes scènes pendant lesquelles on voit Edward Snowden se confier aux deux journalistes, Glenn Greenwald (interprété par l’épatant Zachary Quinto) et Laura Poitras (l’impayable Melissa Leo) sont incontestablement les meilleures. Mais elles sont noyées dans une sorte de récit d’initiation, narcissique, interminable, où Edward Snowden découvre, stupéfait, l’univers impitoyable de l’espionnage. Dommage !

Snowden, d’Oliver Stone, en salles à partir du 1er novembre.

À cœur et sans cri

À sa sortie, le roman de Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, a rencontré plus que le succès. Autour de cette histoire – de vie, de mort, de peine et d’espoir –, autour de ce cœur encore palpitant, transplanté du corps du Simon Limbres, jeune surfeur en état de mort cérébrale, à celui de Claire, quinquagénaire souffrant d’une grave insuffisance cardiaque, il s’était passé quelque chose. On s’offrait le livre, avec un « Lis ça, c’est formidable ! », chuchoté, encore ému. Oui, ce roman fit événement.

Il fallait donc être taraudé par un sacré désir de cinéma pour oser le porter à l’écran. Non que Réparer les vivants soit difficile à transposer en tant que tel : le roman est factuel ; lieux, personnages et situations s’y enchaînent, comme au cinéma, ou presque – c’est d’ailleurs l’une des forces du livre. À deux ou trois pièges près, bien repérés par la cinéaste Katell Quillévéré (à qui l’on devait déjà l’excellent Suzanne), l’adaptation pouvait être à la fois fidèle et cinématographiquement juste. Mais il y avait d’autres écueils : confronter le langage du cinéma à la puissance littéraire de Maylis de Kerangal, au risque du KO ; proposer des images, un souffle, un univers mental à des spectateurs qui, à la lecture du livre, avaient déjà construit leur propre film.

La réalisatrice a compris que, dans cette entreprise, les acteurs ne devraient pas se contenter d’interpréter un rôle, avec ce rien de décalage qui fait partie du jeu. Ils devraient l’incarner, totalement – c’est-à-dire être tellement investis par leurs personnages, de l’intérieur, qu’ils en deviendraient, extérieurement, parfois méconnaissables. Parmi la pléiade de comédiens présents dans le film, citons Tahar Rahim (Thomas) et Anne Dorval (Claire), stupéfiants de retenue et dont l’intériorité affleure si délicatement à la surface de leurs visages qu’elle se transforme, à l’écran, en émotion pure.[access capability= »lire_inedits »]

Les décors jouent également un grand rôle dans cette capacité d’entraînement du film : si l’hôpital et « la réa » sont un peu décevants, l’univers discrètement étrange de Claire, de la véranda de sa maison de Rambouillet à l’appartement prêté, en face de l’hôpital, donnent à son personnage une profondeur toute particulière. Comme un arrière-pays.

C’est d’ailleurs ici que se révèlent le plus le talent, l’intuition cinématographique de Katell Quillévéré. En donnant à Claire, receveuse du cœur de Simon, une si grande importance, en introduisant une rupture si totale dans son récit, la cinéaste fait entrer en « collision » (c’est son propre terme) l’histoire de cette quinquagénaire qui va vers la vie avec la pente naturelle du film, mélodramatique. Ce big bang narratif donne à l’histoire singulière de ce cœur transplanté sa dimension universelle, pleine, entre vie et mort. Notre émotion n’est plus convoquée mais ressentie, dans l’étendue lyrique de ce que Freud appelait, dans une formule étrange, « un sentiment océanique ». Cet océan sur lequel surfait – si belles images du début – le jeune Simon Limbres.

Réparer les vivants, de Katell Quillévéré, en salles.

De l’art, sûrement, le septième, peut-être

Sans doute doit-on d’emblée prévenir le spectateur : les deux films dont il est question ici s’adressent davantage à un public contemplatif qu’aux amateurs de courses-poursuites. À cette réserve près, reconnaissons-le : Les Beaux Jours d’Aranjuez et La Mort de Louis XIV sont tous deux d’une incroyable beauté.

Le premier, réalisé par Wim Wenders qui adapte la pièce éponyme de Peter Handke, met en scène le dialogue d’un homme et d’une femme évoquant souvenirs et désirs au cours d’une belle journée d’été, à la campagne. Reda Kateb et Sophie Semin se parlent, s’écoutent, se regardent, se sourient. C’est tout. Mais ils ont, l’un et l’autre, une élégance, une qualité d’être qui donnent à leur dialogue, au-delà des mots eux-mêmes,

une intensité peu commune. Reda Kateb offre à ce film son visage psycho-sensible et son jeu économe qui rappelle,
dans son expressive retenue, celui d’Isabelle Huppert. La mise en scène de Wim Wenders, ses très beaux mouvements de caméra, d’une sûreté, d’une rigueur rares, nous évoquent enfin le geste des plus grands maîtres de la peinture.

Les amateurs de sensations inédites iront aussi découvrir Jean-Pierre Léaud, Roi-Soleil à son crépuscule, vieillard agacé, trépignant presque de devoir mourir, dans le film d’Albert Serra, La Mort de Louis XIV. À la limite du cinéma expérimental, mais d’une totale rigueur historique, le film, statique, captive de bout en bout grâce à l’interprétation magistrale de celui qui fut et restera toujours notre jeune Antoine Doinel. Ainsi va la vie.
Les Beaux Jours d’Aranjuez, de Wim Wenders, et La Mort de Louis XIV, d’Albert Serra, en salles.[/access]



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