Précoces et perverses


Précoces et perverses
Illustration tirée des « Petites Filles modèles », Librairie Hachette, collection Bibliothèque rose illustrée, Paris, 1927 (Wikimedia commons)
Illustration tirée des « Petites Filles modèles », Librairie Hachette, collection Bibliothèque rose illustrée, Paris, 1927 (Wikimedia commons)

Une nuit, alors qu’elles se rendaient en voiture dans les Pyrénées depuis leur appartement du parc Monceau, la belle et pieuse Madame de Rosbourg et sa fille de 15 ans, Marguerite, sont victimes d’un accident de la route. À leur secours se précipitent immédiatement Madame de Fleurville et ses deux filles, Camille et Madeleine. Elles accueillent les infortunées dans leur château et la vie en communauté s’organise, autour de bouquets de fleurs, de bals somptueux et de prières du soir. Si cela vous rappelle quelque chose, c’est bon signe. Nous sommes en plein remake (le nom de la collection créée à cet effet par les éditions Belfond) de l’œuvre de la comtesse de Ségur. Celle-ci comportait déjà son lot de sadisme, de perversion et de stupre bien caché entre les draps de ces demoiselles, il ne fallait pas s’attendre à ce que, Romain Slocombe s’en emparant, elles s’assagissent.

Nul besoin d’être un expert en la matière, comme l’est le général Dourakine, transformé pour l’occasion en chasseur de vampires, pour repérer que les yeux des trois châtelaines brillent d’un éclat trop sombre pour être humain, qu’elles les protègent de la lumière du jour et que les ouvrages du divin marquis ne sont pas dans leur bibliothèque pour faire joli. Dans cet habile mélange où les connaisseurs reconnaîtront des références au chef-d’œuvre de Sheridan Le Fanu, Carmilla, ainsi que des morceaux choisis de sadisme, Slocombe nous rappelle à quel point le catholicisme, la bourgeoisie du début du XXème siècle et l’épanouissement des femmes faisaient mauvais ménage.

Pas un simple mélange de fantasmes et d’obsessions

Quand Madame de Fleurville manifeste une fascination extrême pour les bandages et les plâtres de la blessée Madame de Rosbourg, clin d’œil au fétichisme bien connu de l’auteur, la prude Marguerite ne comprend pas un mot du discours qu’on lui sert. En revanche, elle a remarqué depuis longtemps que glisser la main entre ses cuisses, une fois la nuit tombée, à l’abri des regards, lui procurait des sensations à lui faire perdre la tête. Elle ne s’avoue ses sentiments pour Camille, qui dépassent largement le cadre de l’amitié chaste, qu’en se tranchant les mains avec un coupe-papier.

Que de désordres la religion a semés dans l’esprit de nos jeunes gens, déplorait déjà le marquis de Sade. Madame de Fleurville, ses deux filles et Thérèse Philosophe[1. Roman pornographique et best-seller de 1748 à l’attribution douteuse, narrant les aventures érotiques d’une jeune fille avec un homme de trente ans son aîné.], se chargent de réparer ces torts dans l’esprit de Marguerite pendant que sa mère languit dans son lit, victime d’une étrange anémie et de non moins étranges morsures au cou…

Le témoignage de ces impiétés et bien d’autres se trouvait dans un manuscrit mystérieusement déposé dans un cercueil de plomb hermétique où reposait une jeune fille quasi-intacte. De quoi perpétrer la légende des buveuses de sang, qui court en Europe depuis les temps de la comtesse Bathory.

Avec Des petites filles modèles…, Romain Slocombe ne se contente pas de mélanger fantasmes et obsessions. On jurerait plutôt qu’il a simplement retourné sur son envers le roman de la comtesse de Ségur pour mieux prêter l’oreille à ce qu’il contenait déjà de cruauté. C’est bien connu, les âmes les plus dévotes ont toujours quelque chose à cacher…

Des petites filles modèles...

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étudie la sophistique de Protagoras à Heidegger. Elle a publié début 2015 un récit chez L'Editeur, Une Liaison dangereuse.

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