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Sidonie goes to Hollywood


Sidonie goes to Hollywood

Longtemps, je n’ai pas lu Le Figaro Madame. Ni sur le web, ni même chez le dentiste, lorsque j’attendais mon tour de charcutage. Ma dignité m’en empêchait. Un reste de pudeur, d’estime de soi, certains dirons de snobisme, un des nouveaux noms (et pas le pire) que l’on a trouvé dans ce pays pour qualifier l’attachement au vieux culte français de la littérature classique. Même chez le dentiste donc, je me munissais d’un roman ou d’un essai prétentieux, quitte à relire sans cesse la même phrase, car j’étais généralement incapable de me concentrer sur autre chose que les instruments de torture qui dans la pièce d’à côté tonitruaient l’imminence de mon calvaire. Et je m’en rends compte aujourd’hui, j’avais tort, lourdement tort, de refuser de me distraire en feuilletant le supplément Madame du Figaro. Car je me privais ainsi de toute chance de lire la prose de la jeune Sidonie Sigrist dont le moindre des intérêts, j’en suis sûr, n’est pas le prénom. Sidonie évoque en effet irrésistiblement à mon indécrottable nostalgie une appétissante oie blanche qui en compagnie de la petite cochonne Aglaé manquait à chaque épisode de passer à la casserole du méchant renard Croquetout, dans un impérissable feuilleton animé des années 1970.

Mais la Sidonie du XXIe siècle n’a rien d’une oie blanche. C’est au contraire une « web journaliste » du Figaro Madame et néanmoins bien de son temps, qui proclame à qui veut l’entendre, dans un français aussi approximatif que branché, que les futurs mariés peuvent désormais, à l’occasion de leur « cérémonie d’engagement », « maintenir au top le quotient émotion, sans passer par le registre religion ». C’est pas sympa ça ? Fini de se prendre la tête dans des « églises de quartier », dotées d’un « orgue tristounet » avec des curés qui croient en des trucs qui ne nous « correspondent pas ». Les futurs mariés qui exigent, malgré leur « absence de foi », leur dose de « solennel », auront droit à leur quota de « symbolique ». Un nouveau droit humain en gestation sans doute. Exit le mariage religieux ringard, voici donc la « cérémonie d’engagement », « orchestrée à votre image », petit veinards. Et vous, bande de mécréants qui vous morfondiez à l’idée de devoir vous contenter de « la procédure administrative bouclée en quatorze minute devant l’adjoint de monsieur le maire », vous avez dorénavant la possibilité d’avoir le solennel de la religion, sans la religion elle-même. Le beurre et l’argent du beurre, en somme, et le sourire de la mariée, et même son derrière, mais ça, a priori, vous l’aviez déjà, petits coquins libérés que vous êtes.

Les avantages de ce système s’interroge encore Sidonie ? « La liberté, pardi », répond-elle, lyrique comme un Laurent Joffrin fêtant dans son édito du jour la révolution arabe du jour. Car en plus de choisir vous-même la mariée, et la musique de la cérémonie (Les Beatles ! Du Gospel ! Patti Smith !), vous pourrez choisir aussi l’officiant. Si possible un pote à vous qui « manie le verbe avec éloquence », et non comme un manche, ou à défaut un « officiant professionnel » qui ambiancera la teuf avec une pincée de solennel sans vous prendre la tête avec des gros mots comme fidélité ou devoir, sauf si vous le voulez bien sûr. Il en faut pour tous les goûts ! Même les plus masos. No souçaï, mon pote ! Tu veux de la fidélité, je te donne de la fidélité ! Tu veux de l’engament dégageable à souhait, je te donne de l’engagement dégageable ! Chouchou, dégage ! Prends exemple sur Ben Ali, Moubarak et les autres. Sois pas lourd !

Et qui c’est qui vous organise tout ça ? C’est la société « Lune de fêtes cérémonie » qui se proclame « créateur de mariage laïque », et pour laquelle l’amie Sidonie fait une pub éhontée dans son article. En vous rendant sur le site de ladite société, vous vous rendrez compte à la vue de la photo qui agrémente la page d’accueil, que « la cérémonie sur mesure imaginée par et pour ceux qui se marient » ressemble comme un clone aux cérémonies de mariage qui concluent les niaiseries hollywoodiennes avec Meg Ryan : tout est prêt pour qu’en plein air, sur une pelouse impeccable, la mariée dans un blanc resplendissant rejoigne sur une sorte d’autel judéo-païen, au bras de son papa faussement sévère, ce grand benêt de marié qui, affublé d’une queue de pie, ne croira pas en sa chance finale. Bref, l’imaginaire hyper-démocratique est libéré du carcan moisi de l’Eglise, mais se coule aussi servilement que librement dans celui des images d’Epinal de l’Amérique.

Et dire que Le Figaro passe chez certains de mes amis de gauche pour le porte-voix de la vieille France obsolète et franchouillarde. Ce n’est pas que je leur veuille du mal à ces gentils gauchos, mais vivement qu’ils aillent chez le dentiste ! Et que dans la salle d’attente, ils délaissent un instant La Princesse de Clèves dans laquelle ils sont bien sûr tous plongés depuis que Sarkozy leur a dit que ça ne se faisait pas. Et qu’ils dévorent enfin sans fausse pudeur Le Figaro Madame. Ils en apprendront des choses inédites, sur la France sarkozyenne…



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Florentin Piffard est modernologue en région parisienne. Il joue le rôle du père dans une famille recomposée, et nourrit aussi un blog pompeusement intitulé "Discours sauvages sur la modernité".

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