Bienvenue chez les Schnocks!


Bienvenue chez les Schnocks!

film racisme clavier

Raciste ou pas raciste ? Dès sa sortie, le 16 avril, le film de Philippe de Chauveron, Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, a été traité avec tous les honneurs qui conviennent à un phénomène de société. Il faut dire que le succès populaire de cette comédie confère une pertinence certaine à cette question : avec un peu moins de 8 millions d’entrées en cinq semaines, elle fait presque aussi bien que Bienvenue chez les Ch’tis ou Intouchables. Mais avant de répondre à la question shakespearienne qui a tant tourmenté la critique, il faut tenter de comprendre l’histoire que raconte vraiment cette comédie.

En première analyse, rien de compliqué : les Verneuil, un couple de quinquas franchouillard composé d’un notaire (Christian Clavier) et d’une femme au foyer (Chantal Lauby), habitent à proximité de Chinon, dans une magnifique demeure plantée au milieu d’un vaste parc. Ils ont élevé leurs quatre filles dans la pure tradition catho- gaulliste. Or, celles-ci ont jeté leur dévolu sur des hommes qui, à eux quatre, composent un chatoyant arc-en-ciel ethno-religieux : il y a déjà un juif (Ary Abittan), un Arabe musulman (Medi Sadoum), et un Asiatique (Frédéric Chau), et voilà que, cerise sur le gâteau, la dernière débarque avec un Noir (Noom Diawara). Le scénario enchaîne, souvent avec bonheur, blagues racistes et insinuations plus ou moins xénophobes, équitablement réparties entre tous les personnages. Le film évite d’abord le piège grossier qui consisterait à opposer des beaufs fermés à toute altérité à d’aimables représentants de la diversité pétris d’amour de leur prochain.[access capability= »lire_inedits »]

On comprend très vite que, dans cette famille Benetton d’un nouveau genre, tout le monde est à la fois raciste et victime du racisme. Et même quand la situation menace de se tendre, un peu d’amour et d’amitié, une côte de bœuf et quelques bouteilles suffisent à tout arranger. Histoire de rappeler que nous sommes tous frères – ou que, comme nous l’a appris Jean Yanne, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Et bien sûr, tout est bien qui finit par un mariage.
Reste à savoir si, derrière la drôlerie bien réelle des blagues volontairement limite, le film dénonce le racisme en le caricaturant, comme on le pense à 20 Minutes, ou si, au contraire, il le banalise, ainsi que le suggère Franck Nouchi dans Le Monde. En réalité, ce faux débat détourne l’attention du véritable message, camouflé par les effets comiques, mais beaucoup plus pernicieux.

Pourquoi, en effet, les auteurs ont-ils décidé que la famille française serait uniquement composée de filles ? On aurait pu imaginer une famille tout aussi vieille France, dont les fils auraient épousé une juive, une musulmane, une Asiatique ou une Noire – ou pourquoi pas un garçon sans papiers. C’est que ce choix, apparemment innocent, raconte une histoire et pas n’importe laquelle : celle d’une France qui ne peut engendrer que des femmes, et dont l’avenir dépend de sa capacité à attirer des mâles vigoureux capables de les féconder – lesquels, par définition, ne sauraient être issus de familles catho-gaullistes de Chinon. Autrement dit, le salut de la « race » viendra de la diversité.

Si la critique est passée à côté de cette thèse hasardeuse, c’est parce que, à la différence des blagues sur les juifs ou les Arabes, qui jouent sur des ressorts connus, cette représentation d’une nation épuisée, improductive et incapable de se reproduire sans apport extérieur, est déguisée en évidence et échappe à notre attention consciente tout en s’incrustant dans notre cerveau telle une publicité subliminale. On ne voit pas mais on enregistre. Pendant que l’attention du spectateur est captée par des plaisanteries sur le petit pénis des Chinois, une conception pour le moins discutable de la « France de souche » s’insinue dans les esprits. Il faut croire que les voies de la bien-pensance sont aussi impénétrables que celle du Bon Dieu. [/access]

Juin 2014 #14

Article extrait du Magazine Causeur



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent L’avventura, c’est la vie que je mène avec l’oie
Article suivant L’UMP et ses mâles alpha
est historien et directeur de la publication de Causeur.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération