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Porno sur la TNT, féminisme sur France 3


Porno sur la TNT, féminisme sur France 3
Manifestation du MLF, à Paris, en 1982.
Manifestation du MLF, à Paris, en 1982.

Comment j’ai lâché les pornos de la TNT pour assister à un débat sur le féminisme où tout le monde était d’accord

Dimanche soir, comme souvent, je m’étais accordé quelques minutes d’avance sur mon épouse, qui s’appelle Marguerite comme je m’appelle Florentin. L’esprit légèrement coupable, après avoir débarrassé la table, rempli le lave-vaisselle, balayé et passé hâtivement l’éponge, j’ai allumé la télévision, me suis vautré sur le canapé avec une plaquette de chocolat noir fourré aux amandes, tout en essayant d’oublier que Marguerite ne pouvait en faire autant, occupée qu’elle était à venir à bout d’une ultime montagne de linge du week-end, après avoir couché le petit dernier. Ces quelques minutes d’avance, que ma douce Marguerite m’accorde pourtant toujours avec le sourire, me faisaient malgré moi donner raison aux plus sûres études statistiques qui prouvent, comme dit le sociologue qui s’en arrache les cheveux, que le partage des tâches domestiques demeure depuis quinze ans parfaitement statique[1. Oui, je sais, cette phrase est trop drôle pour être de moi, d’ailleurs, elle n’est pas de moi.].

C’est donc plutôt ma conscience civique que mon sens du devoir conjugal qui m’empêchait d’ utiliser ces quelques minutes de farniente volées aux sévères exigences de la parité, à regarder trop longtemps, comme l’idée m’en a effleuré l’esprit alors que je maculais mon Télérama de grosses traces de cacao, le début d’un porno (très) soft du dimanche soir sur NT1 (Une inaccessible séductrice, avec Katsumi à 22 h 30) ou sur Virgin 17 (Souvenirs érotiques à 22 h 35) ou même sur W9 (Clara la libertine à 22h40) . Même conforté par le sentiment d’appartenir à une irréfutable majorité statistique, je gardais ma dignité de néo-mâle, et cette pointe de culpabilité qui compensait tant bien que mal le bien-être béat qui m’envahissait progressivement, mais m’empêchait néanmoins de m’abandonner tout à fait aux injonctions de la partie de mon cerveau que l’on dit reptilienne.

Les tétons de Katsumi
Cependant, tout en recherchant dans mon magazine un programme plus conforme à l’idée que je me fais d’un homme moderne, sympa et amoureux de son épouse qui le vaut bien, je ne pouvais m’empêcher d’admirer l’habileté diabolique des directeurs de programme de la TNT, ou plus vraisemblablement DU directeur de programme de la TNT tout entière, puisque toutes ces chaînes de télévision paraissent tellement calquées sur le même modèle qu’on a du mal à croire qu’elles bénéficient des services d’une main d’œuvre qui ne leurs serait pas commune. Ce directeur de programme donc, tirant profit de l’immuabilité des écarts statistiques qui séparent le temps que l’homme consacre aux tâches domestiques et celui dépensé pour les mêmes activités par son épouse – ou sa « partenaire », ne soyons pas stigmatisant pour les couples non-mariés, qui ont le droit comme les autres de vivre et de faire la vaisselle sous l’œil du statisticien- tente d’attirer le mâle oisif avec des programmes coquins. Mais je ne mange pas de ce-pain là me suis-je dis vertueusement en enfournant ce que je me promettais d’être un dernier carré de chocolat, bien décidé, sur le coup, à garder le reste de la plaquette pour Marguerite, tout en me branchant avec une pointe de regret sur la 3 après un dernier coup d’œil aux tétons de Katsumi qui défiaient alors plus que jamais la loi (vraisemblablement fasciste) de la pesanteur. Pour que vous puissiez mesurer l’ampleur de mon sacrifice, je m’empresse de vous préciser que ce soir là la chaîne publique avait programmé, dans le cadre d’une émission dont le titre est un calembours consternant, (7 à voir) un intéressant débat animé par le journaliste métrosexuel Samuel Etienne sur les progrès récents de ce progrès indéniable de l’humanité que constitue le féminisme, avec Anne Hidalgo, première adjointe au maire de Paris, Jeannette Bougrab, présidente de la HALDE, Mercedes Erra, directrice générale de Havas, et Joy Sorman, écrivaine.
 
Gynécée cathodique
C’était un débat étrange puisque tout le monde y était d’accord sur tout, et avant tout sur la nécessité de combler pleins de retards que la France connait sur ses voisins. Toutes ces plus ou moins jeunes femmes, dans l’ensemble plutôt jolies, et qui ont connu le succès professionnel, occupent sans discussion et sans intention aucune de le libérer le haut du pavé, mais se plaignent abondamment de ce que les femmes dans leur ensemble continuent de souffrir d’insupportables discriminations aujourd’hui en France. À commencer par celles constituées par ces fameuses tâches domestiques auxquelles les hommes refusent de consacrer autant de temps que leurs partenaires. Un instant, en les entendant stigmatiser le mâle qui glandouille pendant que madame s’échine sur son tas de linge, j’ai eu des sueurs froides. Les salopes, me dis-je tout au fond de moi-même, « elles » ont installé une caméra de « vidéoprotection » du droit des femmes chez moi ou quoi ? On ne peut plus traîner tranquille chez soi le dimanche soir sans subir les foudres de Big Mother ? Faudra-t-il que Marguerite et moi arpentions bientôt la cuisine et la salle de bains, chronomètre en main, afin d’assurer au monde entier que nous abattons très exactement la même quantité de tâches domestiques ? Peu probable sans doute que les sociologues fassent confiance aux vieux machos refoulés dans mon genre pour évaluer l’ampleur de leur contribution ménagère. Ce qui est plus probable peut-être, c’est que la HALDE sous l’impulsion de la tendre Jeannette, prévoie bientôt de munir les foyers français de vieilles pointeuses industrielles recyclées que des employéEs de la noble et Haute Autorité viendront relever hebdomadairement à domicile. À moins que l’autopointage sur internet ne permette de bénéficier de quelques minutes de rabais, comme pour les impôts. Alors que je ruminais ces mauvaises pensées, je ne pus m’empêcher d’admirer l’accord parfait qui se dégageait de ce gynécée cathodique. On y pourfendait un système patriarcal qui ose en plein début du XXIe siècle confiner les femmes à des tâches aussi humiliantes et dégradantes, et même aussi attentatoires aux droits humains qu’élever des enfants ou faire la cuisine, alors qu’il est tellement plus épanouissant pour tout le monde de conduire des camions la nuit, d’aménager des territoires sur internet ou de vendre des hamburgers par correspondance…
 
Oserais-je l’avouer ? L’unanimité et la bêtise satisfaite de ces aimables donzelles dans leur enthousiasme à vilipender la part masculine des hommes, ou à mettre sur le même plan, par exemple, un lave-vaisselle non-vidé et l’immolation des femmes en Inde, avait quelque chose d’irritant, mais aussi de discrètement érotique…qui favorisait la reprise du vagabondage de mon esprit reptilien jusqu’aux rondeurs féminines, courageusement abandonnées naguère, de la TNT. Et voilà que j’imagine soudainement Katsumi et Jeannette s’unissant brutalement dans un corps à corps torride pour refuser grâce à un Kiss-In sans tabou toutes les discriminations inhérentes à la structuration hétérosexuelle de la société française contemporaine…
 
C’est alors que Marguerite me rejoignit enfin dans le salon. Elle avait fait exposer son highscore de durée des tâches domestiques. J’avais un peu honte. Pour qu’elle soit sûre de n’avoir rien raté, je m’empressai, dés qu’elle eut posé tant bien que mal une énorme pile de linge à mes pieds, de lui refiler les maigres restes de la plaquette de chocolat, et surtout de lui faire savoir à quel point la France à encore beaucoup de progrès à faire, que ce soit en matière de droits humains des femmes, qu’en matière de porno soft de la TNT… Elle marmonna un vague « hun, hun » approbatif plein de chocolat, avant de me pousser doucement de la plante des pieds jusqu’à la pile de linge qui attendait que je la range soigneusement dans une armoire, ce qui n’est pas mon genre, je tiens à le signaler.



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Florentin Piffard est modernologue en région parisienne. Il joue le rôle du père dans une famille recomposée, et nourrit aussi un blog pompeusement intitulé "Discours sauvages sur la modernité".

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