Le dernier tango à Paris


C’est l’histoire, maintes fois entendue, d’un pays autrefois classé parmi les riches et les puissants, qui s’enfonça lentement dans le déclin économique, au point de devenir, ombre de lui-même, une destination touristique de choix pour les nostalgiques de sa grandeur passée.

Un pays jadis phare du développement, pôle d’attraction pour les immigrés venus du monde entier, que sa jeunesse désormais abandonne devant son incapacité à lui offrir un avenir.

Un pays étouffé par le poids d’une dette publique abyssale, d’un Etat ventripotent et tentaculaire, d’entreprises peu innovantes, de banques en monopole, d’autorités locales clientélistes.

Un pays dont le budget de l’Etat est en déficit depuis 20 ans, mais qui annonce avec force effets de manche à chaque révision à la baisse de la croissance qu’il va se lancer dans un nouveau « plan de relance ».

Un pays si incapable de maintenir la crédibilité de sa politique monétaire qu’il a dû arrimer son taux de change à celui d’économies plus puissantes et plus stables que la sienne, pour profiter de l’infusion de capitaux à bas coût tout en laissant dériver sa compétitivité et ses finances publiques.

Un pays dans lequel pas un mois ne passe sans la révélation d’un nouveau scandale de corruption, symptôme tragique des liens incestueux entre une classe politique vieillissante et un secteur privé dépendant des subsides de l’Etat.

Un pays que choisissent désormais d’éviter les investisseurs industriels, devant les perspectives de croissance dégradées et le discours peu accueillant qui les attend, une fiscalité erratique et des règlementations imprévisibles.

Un pays dont les ministres de l’Economie successifs pointent un doigt toujours plus accusateur vers la « mauvaise finance » internationale, tout en lui tendant discrètement de l’autre main la sébile piteuse d’un déficit commercial qu’il faut bien financer.

Un pays où l’on nationalise à tour de bras et de justifications nouvelles, où la « souveraineté énergétique » le dispute à « la défense des intérêts stratégiques » ou au « patriotisme économique ».

Un pays dont chacun, bien entendu, sait énumérer machinalement les innombrables forces, sa position géographique inégalable, sa jeunesse éduquée, ses ressources agricoles, ses attraits touristiques, son rayonnement culturel, sa langue aux centaines de millions de locuteurs, et même son gaz de schiste, s’il daignait l’exploiter.

Un pays qui, malgré tant d’atouts, demeure incapable de se réformer, figé dans le marasme des intérêts particuliers, des rentes de situation et des blocages réglementaires.

Un pays dont la classe politique usée, incompétente et jalouse de ses privilèges a préféré trop longtemps le populisme aux décisions difficiles, les déficits, le protectionnisme et les nationalisations y tenant lieu de politique économique.

Un pays dont les dirigeants, alors que toute la région qui l’entoure se réforme à marche forcée, maintiennent la posture arrogante du commandeur sûr de son bon droit, et le cap fixé vers l’abîme, gonflent les voiles.

Un pays qui se rêve en chef de file des non-alignés de tout poil, sans même percevoir que son crédit est bien trop entamé par ses décennies perdues pour lui conférer une voix dissonante au chapitre international.

Un pays qui blâme tour à tour les marchés forcément avides, les institutions internationales évidemment ultra-libérales, ou les puissances économiques voisines toujours égoïstes, pour ses faiblesses et ses erreurs, et qui préfère ces tranquillisants à l’exercice plus douloureux de la remise en question.

Un pays dont jusqu’à la récente défaite en Coupe du Monde face à l’Allemagne lui a rappelé, ironiquement, qu’il n’était plus de taille, même dans ce domaine, à rivaliser avec les meilleurs.

Un pays où il reste, disent les mauvaises langues, du bon vin et de jolies femmes, à défaut de courage et d’espoir.

Ce pays, évidemment, c’est l’Argentine. Non ?



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est étudiant à l'Ecole Normale Supérieure et à HEC

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