Fashion djihad

Comment l'Occident peut-il accepter la mode islamique ?


Fashion djihad
Défilé de mode islamique à Jakarta. Gusti Aldi/SIPA, Numéro de reportage :00778979_000022

Comment une société aussi éprise de liberté et aussi peu religieuse que la nôtre peut-elle s’enthousiasmer pour la mode islamique, alliance contre-nature de la frivolité et du puritanisme ?


Que des femmes non musulmanes, hôtesses de l’air ou simples visiteuses, soient contraintes de se couvrir la tête d’un voile dès qu’elles posent le pied en Iran ou ailleurs en terre d’islam, serait un geste de courtoisie envers les us et coutumes du pays d’accueil si cette concession « diplomatique » était assortie de réciprocité, et si ces « mœurs » locales n’étaient en fait le sceau de la Loi islamique avec laquelle on ne négocie pas, dans quelque pays que ce soit. La conscience des femmes étrangères à l’islam serait-elle moins respectable que celle des fidèles d’Allah hurlant à la profanation si on évoque le retrait de leur voile ? Elles ont donc bon dos, les « mœurs » au nom desquelles des femmes chrétiennes, juives ou athées sont obligées de porter ce signe religieux pour le moins ostentatoire au mépris de leurs convictions intimes, tandis que dans le même temps l’espace européen se couvre de voiles qui n’ont plus rien d’une marque discrète de modestie.

Le salut et l’immunité diplomatique

L’islam serait-il la seule religion au monde qui accorderait à la fois le salut et l’immunité diplomatique ? Au regard de nos mœurs, qui valent bien celles des autres, ce geste de soumission exigé des femmes frôle de surcroît l’apostasie, car la foi, ou son absence, ne se travestit pas ; et le respect du sacré commence, pour nous Européen(ne)s tout au moins, avec celui des consciences. Alors qu’aucun musulman ne peut dans certains pays changer de religion sans risquer la peine de mort, l’islam rigoriste continue à trouver normal que des femmes occidentales revêtent le symbole d’une religion qui n’est pas la leur ; geste qui devrait les conduire, si elles sont fidèles à elles-mêmes, à en refuser intérieurement la portée symbolique au risque d’en rendre manifeste le caractère parodique. Qu’y-a-t-il en effet de plus caricatural et donc blasphématoire : montrer ses cheveux, ou abriter sa duplicité intérieure sous un voile ? Est-ce cela que veulent les responsables religieux ? Rien de semblable n’est exigé en Inde par exemple, même dans les fiefs de l’hindouisme le plus orthodoxe ; et les Occidentales qui ont l’imprudence de revêtir un sari pour faire couleur locale ou afficher un zèle religieux intempestif sont en général regardées avec un certain mépris.

Cautionner notre relativisme

Mais c’est aussi qu’en évoquant les « mœurs », on espère réveiller en chaque Européen(ne) le sens d’un relativisme de bon aloi, compréhensif et tolérant à l’endroit des modes de vie dont la diversité fait aussi le charme des voyages dans les contrées lointaines. On se souvient de Diderot, émerveillé de découvrir combien pouvaient être pacifiques les mœurs des peuples océaniens, offrant leurs femmes au voyageur de passage qui, rentrant chez lui, ne manquait pas de trouver bien étriqués les usages conjugaux ! Et puisqu’il est de bon ton d’évoquer Lévi-Strauss pour cautionner le relativisme culturel dans lequel nous sommes enlisés, relisons plutôt le discours prononcé par lui à l’Unesco en 1971 (Race et Culture) dans lequel il reconnaît à chaque culture le droit de se préserver en se désolidarisant, sans haine ni mépris mais avec fermeté, de ce qui heurte sa sensibilité. De deux choses l’une en effet : ou bien le port du voile islamique – en terre d’islam ou en Europe – est en effet une affaire de mœurs, toujours relatives et donc négociables mais avec un souci de réciprocité ; ou bien il n’en est rien et les mœurs en question ne sont que l’habillage plus ou moins discret de la Loi coranique qu’il serait vain de vouloir modifier mais qu’il nous reste le droit de refuser, en bloc et sans états d’âme.

Prétentieux que nous sommes

Aussi est-il à craindre que notre « tolérance » et notre « humanité » de façade cachent avant tout la prétention, qui nous a plus d’une fois été fatale, d’être une fois encore les plus compréhensifs, les plus généreux, les plus vertueux en matière d’universalisme ; ceux qui réussiront l’impossible – convaincre, intégrer, transformer les mentalités – comme cherche à en persuader les Européens le « nous allons y arriver » lancé comme un défi par la chancelière Merkel. Y arriver peut-être, mais pour quel résultat et à quel prix ?



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est philosophe et essayiste, professeur émérite de philosophie des religions à la Sorbonne. Dernier ouvrage paru : "Jung et la gnose", Editions Pierre-Guillamue de Roux, 2017.

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