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L’identité, une carte nationale


L’identité, une carte nationale
Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple, 1830, musée du Louvre
Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple, 1830, musée du Louvre.

Prenons le premier venu, moi, Sitbon Guy. Depuis moins de dix ans, je possède, à titre personnel, une carte d’identité nationale, pas achetée à Barbès, en règle, acquise par naturalisation, rien à dire. La carte d’identité, je l’ai. Et l’identité ? Je l’ai aussi ? ça, c’est à vous de le dire, pas à moi. À ma tête, les gens disent « oriental « , moi, je trouve pas. Je me regarde dans la glace, je me vois… comment dire… normal, une tête de Sitbon et puis c’est tout.

Pour vous aider à vous faire une idée de mon identité, faut vous dire que Sitbon, c’est pas mon nom. Chez nous, on disait Chèteboun. Quand vous êtes arrivés chez moi − je veux dire quand la France a envahi mon pays, la Tunisie (merci la France, fallait pas vous donner ce mal) − des officiers ont fait le tour des villages pour établir des fichiers d’état-civil. Les indigènes (mon père et son frère entre autres) ont fait la queue devant les tréteaux de bureaux improvisés et les officiers notaient ce qu’ils entendaient.
– Et toi comment tu t’appelles ?
– Chèteboun, a balbutié mon père, tremblant de peur.

[access capability= »lire_inedits »]L’officier a noté ce qu’il pouvait transcrire, ça a donné Sitbon. Pour mon oncle, il a entendu Scetbon. Les deux frères sont sortis de l’opération avec deux noms différents. Guy, c’est pas non plus mon prénom, en fait j’m’appelle Isaac. Mais Isaac ça fait un peu trop… vous voyez ce que je veux dire… quand je suis allé à l’école, on m’a appelé Guy, ça faisait plus… enfin… moins… ça faisait mieux, quoi. Je vous parle de tout ça pour vous donner toutes les pièces de mon dossier et que vous jugiez en connaissance de cause mon droit à bénéficier ou non de l’identité nationale. Moi, j’y ai gagné, je n’aurais pas aimé m’appeler Chèteboun, ça fait bougnoule, arabe. C’est comme tous ces copains, musulmans ou juifs, ils portent des noms en Ben, Benichou, Benguigui, Bencouscous, Benmerguez. Hé ! Oh ! Un peu de décence ! C’est fini cette époque. On est en France ! Soyez corrects.

Maintenant, prenons le cas du président de ma République (pas Ben Ali, Sarkozy). En fait, il s’appelle Sarközy de Nagy-Bocsa. Il se fait appeler comme il s’appelle pas pour faire plus français. ça ressemble à de l’usurpation d’identité nationale. Du temps où il était maire de Neuilly, il a offert à Balkany, déjà maire de Levallois, un cendrier ainsi gravé : « De l’ami à l’ami, du maire au maire, du Hongrois au Hongrois. » Vous avez bien entendu : il y a encore peu d’années, le présent président de la République française se disait hongrois. Que Nicolas Sarkozy possède, comme moi, la carte d’identité nationale, j’en suis sûr, mais l’identité ? Là, je demande à voir.

Il y a dix ans, quand j’étais étranger (j’avais trois passeports différents, je vous épargne la liste) est-ce que j’avais l’identité nationale ? Comme Julio Iglésias, « Je n’ai pas changé, je suis toujours ce jeune homme étranger… « , j’ai juste un passeport de plus qu’avant. Alors là, je vais vous poser une question, moi : est-ce qu’on peut avoir l’identité nationale sans avoir la carte d’… ? Et à l’inverse, est-ce qu’on peut avoir la carte sans l’identité ? Sarkozy, est-ce qu’il a l’identité ? Non, mais sans blague, vous avez vu son père, Pal ? Même en Hongrie, ils parlent tous mieux français que lui. Nicolas, il y a rien à dire, il a appris la langue du pays, mais son père, Seigneur, Jésus, Marie, c’est une cata !

Vous allez me dire : l’identité, on ne la tient pas du père et de la mère. Moi, je ne suis pas contrariant : d’accord. Mais alors, de qui on la tient ? De la carte ? Mais alors là, on dit : nous allons ouvrir un grand débat sur la carte d’identité nationale. En papier ou en plastique ? Bleue ou rouge ? Photo en couleurs ou en N/B ? Vous voyez, il a raison, M. Besson (au fait, il est marocain celui-là ou quoi) : il y a problème.

Oublions Sarkozy (façon de parler). Prenons un cas lambda. La nounou de mes petits-enfants demi-russes. On l’appelle Lamo. Comment elle s’appelle réellement, personne ne le sait. Trois semaines après son arrivée du Tibet, elle débarque chez nous. Elle a tout suite obtenu l’asile politique et sa naturalisation est bien avancée. Elle aura la carte d’identité sans parler quatre mots de français. Langue, histoire, religion, tout en elle est tibétain. Vous lui accorderez quelle « identité nationale » ?

Vous avez raison : il ne faut pas partir de cas marginaux, comme le président ou comme ma Tibétaine. Prenons Elisabeth Lévy. Non pas elle, elle est marginale. Mon patron. Non, pas lui. Mon éditeur. Non, pas lui. Mon pharmacien. Non, lui… Dites, vous allez m’en trouver un qui soit, comment dire… comme tout le monde… comme les gens… identitaire, quoi. Je sais. Raisonnement faux, archi-faux. Les Français, ils appellent ça un sophisme. Vous prenez des exceptions, vous en faites la règle. Tout ce que je veux dire, c’est que des exceptions, commence à y en avoir des wagons, des charters. Pour faire simple et mettre fin au débat, je propose une définition  : l’identité nationale, c’est une carte. Comme la tolérance, c’est une maison, disait le poète.[/access]

Novembre 2009 · N°17

Article extrait du Magazine Causeur



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Guy Sitbon, ex-journaliste au Nouvel Obs, est chroniqueur à Marianne.

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