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René Girard nous l’a rappelé : on communie toujours autour d’un meurtre, fût-il symbolique. C’est le bouc émissaire qui fonde une société, l’instinct de lynchage qui soude les foules. Voilà la dynamique sous-jacente. Les sociétés chrétiennes, parce que leur Dieu avait révélé ce mécanisme, ont peu à peu tenté de le désamorcer. On a parfois l’impression que les sociétés post-chrétiennes l’ont enclenché à rebours. Tous ceux que leurs différences − ethniques, religieuses ou sexuelles − désignaient comme soupapes tragiques des haines accumulées semblent aujourd’hui se rallier et s’unir pour conspuer l’ancien bourreau majoritaire. Ce renversement, qui paraîtrait attendu au premier taoïste venu, est inenvisageable pour les manichéens primaires qui dominent la vie intellectuelle de ce pays.
Pourtant, toute la dynamique sociétale en cours fonctionne sur ce renversement. Jusqu’à l’absurde. Notamment, surtout, chez les victimaires sexuels, catégorie la plus inédite, la plus aberrante, la plus strictement post-moderne. On fustige d’un côté le « repli identitaire » (exégèse des lieux communs : l’identité implique toujours un « repli », jamais un axe), quand ce repli couvre une patrie, un peuple, une culture, une foi ; mais ce « repli identitaire », on le valorise lorsqu’il ne se fixe que sur son cul. D’où : exaltation des « identités » sexuelles et de toutes, dès lors qu’elles ne sont pas l’ancienne norme, une norme qui, n’en déplaise aux idéologues qui ne pensent plus qu’avec leurs complexes, n’est pas seulement sociale ou culturelle, mais cosmique (oui, désolé, le cosmos n’est pas gay).[access capability= »lire_inedits »]
Bien sûr, l’idée de jouer avec la norme, voire de la transgresser, ne m’intimide ni ne m’offusque pas un instant. Sauf qu’il n’est pas question de ça. Il est question d’édifier une nouvelle norme sur le cadavre piétiné de la précédente. Et pour la piétiner, tous ceux qui y échappent, fussent pour des raisons totalement contradictoires, sont conviés. C’est ainsi que les « asexuels », dont l’orientation sexuelle particulière est qu’elle se trouve dirigée vers le néant, après avoir participé à des congrès LGBT et avoir remarqué que les Queers étaient agrégés à la Ligue, réclament également leur intégration. Il faudra bientôt dire (du moins si ces valeureux militants obtiennent gain de cause) : LGBTQA (Lesbiennes, Gays, Bi, Trans, Queers, Asexuels).
Tout l’alphabet finira mobilisé. Et il est urgent que les citoyens soient sensibilisés au fait que des gens qui refusent de baiser ne doivent pas être regardés pour autant comme des monstres frigides. D’autant qu’ils peuvent vivre des relations « romantiques » (ils ne connaissaient pas l’adjectif « platonique », visiblement) selon des affinités diverses : hétéro-romantique, bi-romantique, voire… pan-romantique. On est très sérieux, chez les « A ». On ne rigole pas davantage qu’on bande. « A » comme aporie : il s’agit du concept de l’identitarisme sexuel poussé jusqu’au « no sex », de la rhétorique pédante et vide agitée frénétiquement pour parvenir à branler encore l’égo souffreteux des impuissants.
Il faut imaginer la parade, maintenant : l’asexuel bi-romantique, bras dessus-bras dessous avec un transsexuel venant de se faire plaquer par son mec suite à son opération, s’y allie avec un queer ex-bi curieux, mais désormais assuré de son homosexualité orthodoxe, pour conspuer la dictature hétéro-beauf qui ne ménage pas suffisamment leurs susceptibilités respectives. Tout ce beau monde se trouvera bien incapable d’organiser une partouze, étant donné la diversité complexe des goûts et des couleurs, ainsi que le hiatus permanent entre les organes disponibles et les subtiles réalités du « genre ». Tout ce beau monde se trouvera bien incapable d’organiser une partouze, et ça n’a pas d’importance puisque les carnavals s’achèvent en fait sur une immolation. Et ici, il s’agira de l’immolation de l’ancienne norme devenue, par un retournement paradoxal, le bouc émissaire servant à la communion des anciens parias. Et des nouvelles élites. Sauf qu’une norme surplombant les choix individuels et exigeant l’inhibition de ceux-ci, c’est le principe même du Bien commun, de la res publica. En abolissant toute norme, au prétexte qu’elle serait « fasciste » et au nom des libertés individuelles, on aboutira simplement à la disparition de l’idée de Bien commun, pour se contenter de gérer un amalgame de consommateurs atomisés, tandis que les chocs perpétuels feront proliférer la violence dans le corps social.
La République elle-même s’est constituée sur un meurtre, et il n’est pas étonnant que la place où Louis XVI fut décapité soit devenue celle de la « Concorde ». Mais ce que personne sans doute n’aurait pu prévoir, c’est qu’elle se décompose aujourd’hui sous un angle génital.[/access]

*Photo : anemoneprojectors (getting through the backlog.

Février 2013 . N°56

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste littéraire et co-animateur du Cercle Cosaque

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