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Lettre à un futur camarade


Lettre à un futur camarade

Tu as décidé d’adhérer au PCF, c’est bien. Je tiens néanmoins à ce que tu saches qui si l’on ne nous emprisonne plus, si l’on ne nous fusille plus, si l’on ne nous torture plus (ce qui fut le cas pendant la guerre d’Algérie) et si l’on ne nous balance pas des bancs publics sur la tronche dans une station de métro fermée jusqu’à ce que l’on ramasse sept morts sur le pavés (remember Charonne !), il faut que tu saches néanmoins que de nombreuses petites humiliations t’attendent et ton petit cœur rouge va devoir se bronzer ou se briser. Ce n’est pas de Marx, c’est de Chamfort. Alors, apprête-toi à affronter :

– Les gens qui vont te demander, avec une douceur compatissante : « Mais tu y crois vraiment ? », chose qu’ils n’oseraient jamais faire avec un prêtre.

– Les gens qui vont recycler des plaisanteries éculées jadis réservées aux très improbables radicaux-valoisiens : « Alors le prochain congrès, c’est dans une cabine téléphonique ? » En plus, des cabines téléphoniques, on en voit de moins en moins, ce qui est doublement cruel.

– Les gens de mauvaise foi qui vont te dire : « T’es con, les meufs sont mieux au NPA. » D’abord, c’est faux, comme tu le verras lors de ta première fête de l’Huma. Ensuite, sache qu’on a toujours eu des problèmes avec les trotskystes. Une histoire obscure d’accident de montagne. Leur lideure nettoyait son piolet et le coup est parti tout seul.

– Les gens qui vont te citer Le livre noir du communisme en voulant que tu aies honte, honte, tellement honte. Comme si tu étais un potentiel gardien de goulag dès que tu ouvres L’Huma et que tu fais remarquer que par les temps qui courent les richesses sont quand même très moyennement réparties…

– Les gens qui sont des anciens du Parti. Il y en a beaucoup. Tu en croiseras dans les écoles, les universités, les usines, les maisons d’édition, si ça se trouve, tu en croiseras peut-être même sur Causeur. Il y a les gentils un peu tristes et il y a ceux qui ont le syndrome de la pute repentie devenue dame chaisière. Ceux-là, ils ne se pardonnent pas d’avoir rêvé d’un monde meilleur alors ils défendent le pire avec la même ardeur. Mais les deux, au bout du compte, te diront la même chose : « Comment peux-tu être au Parti après Budapest, Prague, la rupture de l’union de la Gauche à cause de Marchais en 1977, l’invasion soviétique à Kaboul ? » Pour Kaboul, tu pourras toujours faire remarquer que, bon, il faudrait peut-être demander à la quinqua afghane la seule période de sa vie où elle a pu faire des études, fumer, soigner des gens, donner des cours, conduire. Les gens te répondront que ce n’est pas la même chose. Et tu apprendras que le capitalisme, quand il fait des erreurs meurtrières, ce n’est jamais la même chose.

– Et pour finir, les gens avec qui tu passes tes vacances et qui arrivent hilares, du bout du jardin, les mots croisés du Monde à la main et qui hurlent : « Jérôme, Jérôme, attends, tu vas rigoler, écoute cette définition : « Ses cellules sont vides, en deux lettres. » »

Et tu ne rigoleras pas. Même si c’est drôle.

Et c’est comme ça que tu apprendras que si tous tes camarades vont devenir des copains, eh bien tous tes copains ne sont pas forcément des camarades.



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