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Broca le Magnifique


La sortie DVD chez Gaumont Classiques des deux premiers films de Philippe de Broca est l’occasion de replonger dans l’œuvre d’un réalisateur volontairement oublié par la critique. Trop populaire pour être estimable, tel fut son destin ! D’aucuns s’en contenteraient, lui non. Philippe de Broca (1933-2004) n’a jamais reçu l’imprimatur d’une profession aux mœurs claniques. Il en a réellement souffert durant toute sa carrière même si ses films sont aujourd’hui encore multidiffusés sur le câble, le satellite et la TNT. Pas une semaine ne se passe sans que l’on puisse revoir en famille Le Magnifique, Le Diable par la queue ou On a volé la cuisse de Jupiter.

On se rend compte, avec le recul, comment quelques énergumènes de la Nouvelle Vague ont sali le cinéma de qualité à coup de thèses foireuses et d’arrogance intellectuelle. Entre les années 60 et 80, Philippe de Broca a incarné la comédie sentimentale française, grand public, bourgeoise, subtile, intelligente, nostalgique et drôle. Comme le suggèrent les (très instructifs) suppléments des DVD, si de Broca n’a pas officiellement fait partie de la Bande des Cahiers du cinéma, il fut, sans conteste, l’une des figures de ce mouvement comme Louis Malle, Agnès Varda, Jacques Demy ou Alain Cavalier. Ses liens avec la Nouvelle Vague vont bien au-delà du phénomène générationnel. N’a-t-il pas été premier assistant-réalisateur sur Le Beau Serge de Claude Chabrol qui avait, lui-même, produit son premier film ? De plus, Jean-Claude Brialy avait été son sergent-chef à l’Armée ! Peut-on imaginer meilleur sauf-conduit ?

Contrairement à certains de ses collègues « visionnaires », artistes jusqu’au-boutistes de la pellicule, de Broca avait compris que, pour réaliser un bon film, il fallait de la technique, une structure narrative solide, des cadrages parfaits et respecter le public. Ses plans-séquence sont de véritables petits bijoux. Pas la peine d’être un spécialiste pour ressentir cet élan jouissif. On est loin de l’amateurisme décomplexé de certains pontes du septième art.
Les Jeux de l’amour (1959) et Le Farceur (1960) ont subi une restauration numérique de l’image et du son par les équipes des laboratoires Eclair et du studio Diapason. Ces films de jeunesse portent en eux toute la folie douce du réalisateur. Il nous expose, pêle-mêle, ses marottes : les sentiments éphémères, la course-poursuite effrénée vers un ailleurs fantasmé, l’horreur du quotidien, l’attrait des femmes (de toutes les femmes) et plus généralement, cette légèreté qui n’est qu’un masque. Ces deux films ont le charme suranné des cols Claudine et des plumes sergent major. Un grain d’une sensibilité extrême. Un Paris à l’odeur de pavé ressuscité. Ils offrent surtout l’immense plaisir de retrouver le double cinématographique du réalisateur, le sémillant Jean-Pierre Cassel qui virevolte, saute, court, chante, danse, nous épuise littéralement comme le fit plus tard Jean-Paul Belmondo dans L’homme de Rio.

Ce rythme, cette volonté de passer du coq à l’âne ne trompe personne. Ce sont là des manières de grand pudique. Chez de Broca, pas de psychologie lourdingue, d’explications de texte même si les dialogues de Daniel Boulanger virent au ping-pong verbal, pas non plus de ressort scénaristique à vous couper le souffle, ici, on travaille dans l’organdi, la fraîcheur et le friable. Qu’est-ce qui fait le charme des films de Philippe de Broca ? Le choix des acteurs principaux (Cassel, Montand, Belmondo, Rochefort, Noiret, Brasseur), des « seconds » rôles époustouflants (Georges Wilson, Hubert Deschamps, Roger Dumas, Jacques Jouanneau, Marc Dudicourt, etc…), des actrices qui vous inspirent une passion dévorante (Geneviève Cluny, Marthe Keller, Jacqueline Bisset, Geneviève Bujold, Catherine Alric, Nicole Garcia, Catherine Leprince, Annie Girardot, Claudia Cardinale, etc…) sans oublier la superbe musique de Georges Delerue. Dans ce cinéma-là, on rit, on se divertit, on suit les pitoyables aventures amoureuses des hommes avec délice et puis, au détour d’une image, on est saisi par des moments de grâce, fugaces, qui donnent à la comédie toute sa charge émotionnelle.

Dans Le Cavaleur (1978), il y a la voix émouvante de Nicole Garcia, ce break Volvo usé, cette Place des Victoires au petit matin et vers la fin, Rochefort qui parle de musique classique à son élève et lui dit : « Il y a une chaîne, tu comprends, une chaîne de Mozart à Ravel, c’est comme une tapisserie sans fin ». Dans Tendre Poulet (1977), Noiret lance, de son timbre caverneux, à une Girardot déjà conquise : « Et puis, c’est très bon pour les couples de marcher sur les plages ». Cette scène filmée dans le square Viviani, près de Notre-Dame semble anodine et pourtant, elle nous poursuit longtemps. Le talent de Philippe de Broca réside dans cette capacité à marquer les esprits. Ne boudez pas votre plaisir, je vous conseille vivement de revoir ses deux premiers films mais aussi ses succès populaires comme L’Africain (1983). Catherine Deneuve, chevelure blonde sur costume sombre, conduisant sa Mini entre l’Opéra et la Bourse. Un régal d’insouciance. Ou Jacqueline Bisset, étudiante en sociologie portant une mini-jupe en jean atrocement courte dans Le Magnifique. Vous avez déjà envie de vous réinscrire en faculté, n’est-ce pas ?



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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