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La grande muette et le petit bavard


Le 18 juin dernier, pour honorer le retour de la France dans le giron américain, quelques officiers à la plume élégante, sous l’anonymat d’un nom de corsaire, lancèrent un appel assez remarqué. On y lisait cette charge contre le « Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale », rendu public quelques semaines plus tôt : « Le modèle d’analyse présenté par le livre blanc est à notre sens déficient et, davantage, marqué par un certain amateurisme. »

Ni plus ni moins : ceux qui nous gouvernent sont des amateurs qui n’ont rien compris aux nouveaux défis de sécurité et tentent de camoufler leur incompétence, leur aveuglement et leur pingrerie derrière une apparence de réforme. Pour une fois, il semblerait que nos officiers – en tout cas certains d’entre eux – pensent, faisant mentir le général de Gaulle qui remarquait que « les officiers, habitués à se méfier du prestige de l’intelligence, répugnent à s’en servir ».

Quelques jours après la parution du brûlot, et suite au drame de Carcassonne, notre président répond aux officiers (non encore identifiés) sur le registre de la cour de récré : « C’est celui qui dit qui l’est. » Et de qualifier les militaires d’amateurs. D’autant plus dur à avaler qu’ils sont tous professionnels. Leur chef s’en émeut et s’en va.

Mais la période « je vous cause plus » est de courte durée. A l’issue d’un défilé dont Trudi Kohl nous a permis de saisir tous les enjeux, le président se dit fier de notre armée : ça ne mange pas de pain.
Et si « les Surcouf » n’avaient rien compris ? A les entendre déplorer la fin de notre réseau de bases africaines, qui permettait de désamorcer de nombreux conflits et, au besoin, d’évacuer à moindre coût nos ressortissants et ceux de nos partenaires, on se dit en effet qu’il faut de toute urgence leur offrir des postes de télévision. Ils apprendront que le « Livre blanc », le vrai pas celui qui est en vente dans toutes les librairies, c’est le Président lui-même. Plus besoin de bases en Afrique : le Président se déplace en personne pour régler les problèmes, envoie son grand avion chercher les victimes. Ingrid Bétancourt, les infirmières bulgares, les journalistes retenus au Tchad ont bénéficié du nouveau service présidentiel personnalisé.

Résultat, nos officiers, décidément très négatifs, ont le sentiment de ne plus servir à rien, sinon à impressionner les amis (notamment africains) du président et à le remplir de fierté quand ils défilent les Champs-Elysées.

Peut-être est-ce l’essence de la vraie réforme annoncée par le « Livre blanc » : au Président la défense et la sécurité (depuis les émeutes, il connaît), aux officiers et à la troupe les défilés, les opérations portes ouvertes, le pouponnage et la figuration à côté de nos alliés. Si l’on ajoute la promesse de beaux uniformes (dont la confection est désormais « externalisée »), on ne voit pas de quoi ils se plaignent. Qu’importent quelques officiers mécontents qui parlent du monde et de sa complexité. Peut-être même faudrait-il sanctionner ces militaires qui osent penser tout haut alors qu’on les aime quand ils obéissent en silence. Qu’ils laissent le Président parler, sans l’interrompre ni le contredire : il a horreur de ça !



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A 32 ans, Cyril de Pins est professeur agrégé de philosophie. Traducteur, il poursuit des recherches en histoire de la linguistique.

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