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La femme de la situation ?


La femme de la situation ?

La France aime voter par procuration. Elle choisirait volontiers les dirigeants du monde entier. Certes, il arrive que des peuplades lointaines écartent le candidat qui a les faveurs du Quartier Latin – ainsi, il y a quatre ans, les Américains ont-il réélu « W » alors que Paris avait sacré Kerry. Heureusement, la fabrique planétaire de Jeunes Espoirs ne s’arrête jamais de tourner. Fanas d’Obama (qu’ils ont déjà élu dans leur tête), les Français – c’est-à-dire, en l’occurrence, les médias français – seront fous de Tzipi Livni. Bernard Guetta a ouvert le bal sur France Inter, avec un portrait enthousiaste de la ministre israélienne des Affaires étrangères. Ex-jeune mais toujours femme, la voilà sacrée comme seule candidate sérieuse à la succession de Ehoud Olmert, contraint à la démission par des affaires de corruption au petit pied. D’ailleurs, peut-on imaginer qu’un responsable politique soutenu par Elle pourrait échouer ?

Pourtant, de la dame, on ne sait pas grand-chose, et le peu que l’on sait mérite au mieux une note médiocre (ce qui, il faut l’admettre, n’est déjà pas si mal pour la classe politique israélienne). Cela n’empêche pas la « Tzipimania » de se développer à grande allure. Après tout, en politique, comme en amour, moins on sait, mieux on se porte.

Dans The Great White Hope, une pièce de théâtre montée à Washington en 1967 et devenue en 1970 un film (curieusement traduit en Français par L’insurgé, le dramaturge Howard Sackler (scénariste des Dents de la mer) met en scène un boxeur noir, dont l’ascension, dans une société imbibée de préjugés raciaux, suscite en réaction une demande populaire d’un champion blanc capable de le vaincre, demande encouragée et véhiculée par les médias. Depuis, l’expression « grand espoir blanc » désigne un personnage providentiel sur lequel se reportent les angoisses et les fantasmes d’un large segment du public. Censé incarner une solution – souvent aussi imaginaire que le problème – ce genre de super-héros permet d’échapper à une réalité à laquelle on préfère ne pas faire face. Pour certains Israéliens et un nombre croissant de journalistes dans le monde, Tzipi Livni est en train de devenir ce « grand espoir blanc », un fond d’écran sur lequel ils projettent leurs fantasmes.

A priori, Mme Livni n’est pas une mauvaise candidate à la double succession d’Olmert, à la direction du parti Kadima – issu de l’éclatement du Likoud, pivot de la coalition actuellement au pouvoir –, et donc à la tête du nouveau gouvernement que le patron du parti qui sera désigné dans des primaires jeudi devrait former cet automne. Députée depuis neuf ans, Livni assume depuis six ans des responsabilités ministérielles d’importance croissante, dont le portefeuille des Affaires étrangères qu’elle détient depuis deux ans et demi. Ce parcours respectable a pourtant été sérieusement entaché par la guerre du Liban de l’été 2006.

Son témoignage devant la commission Vinograd – chargé d’enquêter sur le déroulement et la gestion de la guerre déclenchée par l’enlèvement de deux soldats israéliens le 12 juillet 2006 – a révélé un tableau consternant. À en croire ses propres déclarations, elle aurait fait preuve d’une grande lucidité et marqué une saine méfiance vis-à-vis des généraux. Le problème est qu’à l’époque, elle ne l’a pas crié sur les toits. Toujours selon son témoignage, elle a cru voter pour une frappe aérienne courte et cinglante et s’est retrouvée solidaire de quelque chose qui ressemblait fortement à une guerre. Chef de la diplomatie et membre du cabinet restreint qui supervisait les opérations, Livni n’a pas bougé, n’eût-ce été que pour faire part de ses inquiétudes. Inexpérience ? Respect de l’autorité ? Opportunisme et prudent ? En tout cas, depuis cette époque, sa stratégie politique consiste à prendre ses distances vis-à-vis du Premier ministre sans renoncer à sa participation dans le gouvernement, ce qui indique que la troisième hypothèse n’est pas complètement dénuée de fondement.

Quant à ses talents de femme politique, ils restent à démontrer. Son arrivée sur le devant de la scène, elle la doit aux grâces d’Ariel Sharon qu’elle a rejoint il y a trois ans – avec Olmert – au moment de la création de Kadima. Et elle n’a jamais démontré au cours de sa carrière un talent particulier de meneuse d’hommes, pas plus que des capacités extraordinaires (ou même ordinaires) en matière de manœuvres politiciennes, pourtant essentielles dans la IVe République israélienne.

Certes, ce parcours un peu terne ne justifie pas que l’on récuse sa candidature – surtout si l’on songe que ses concurrents potentiels ne sont pas légion et de toute façon pas plus flamboyants. Mais il n’explique pas non plus la starisation dont elle l’objet. Aussi étrange que cela semble, Livni est désormais people. Ainsi, l’hebdomadaire américain Time l’a-t-elle intégrée en mai 2007 dans son palmarès des cent personnages les plus influents du monde. Compte tenu de son influence réelle, ce classement laisse rêveur.

On devine trop facilement les raisons de cette promotion : femme, passablement jeune (née en 1958, elle aura quarante-neuf ans pendant encore quelques années) elle représente un nouveau visage. Bref, un bon rapport passé/avenir : beaucoup de promesses, pas trop de passif. De plus, elle tient un discours de paix et de modération, ce qui est synonyme, dans l’opinion publique mondiale, de « concret ». En somme, elle est sympathique, elle pense bien et elle n’a pas de casseroles accrochées à sa réputation: on ne va pas en plus se poser des questions compliquées sur sa capacité à faire aboutir un projet politique.

Et pourtant, même ceux qui, comme moi, partagent dans les grandes lignes son analyse géopolitique du Moyen Orient, doivent se poser des questions autrement plus importantes que la qualité littéraires de ses discours. Car rien ne permet de penser que Tzipi Livni soit capable de mener à bien les tâches herculéennes qui s’annoncent, à commencer par l’évacuation de plusieurs colonies et par la conclusion d’un compromis territorial basé sur les frontières du 5 juin 1967. Cette mission, qui sera celle du prochain Premier ministre israélien, est à la mesure d’un de Gaulle, pas d’un Pflimlin. Seulement, en Israël comme ailleurs, notre époque secrète beaucoup de Pflimlin mais aucun de Gaulle n’est en vue.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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