Accueil Médias Jour de fête à Libération

Jour de fête à Libération


Jour de fête à Libération

Comme mon quotidien du matin a pris l’habitude de ne plus paraître les jours fériés, je me suis, en ce jeudi de l’Ascension, rabattu sur liberation.fr pour savoir ce qui se passait dans le monde. Pas grand chose à se mettre sous la dent, si ce n’est la détestable affaire qui oppose la famille d’Ilan Halimi au mensuel Choc, qui vient de faire sa « une » avec une photo prise par les ravisseurs. Ce cliché montre Ilan Halimi, pistolet sur la tempe, les poignets liés, avec un quotidien du jour posé sur sa poitrine dans la meilleure tradition des preneurs d’otages.

Détestable affaire parce qu’on est sans illusions sur la démarche de Choc, qui se voit contraint de booster ses ventes chancelantes avec des vrais bouts de futur cadavre, son lectorat habituel étant j’imagine peu sensible au classement du salaire des cadres dans l’immobilier ou au régime minceur miracle des francs-maçons.

Les avocats de Choc, nos amis Richard Malka et Claire Chaillou, ont mené de meilleurs combats – et malgré l’amitié, je ne les suivrai pas dans celui-ci. Dur métier, tout de même. Lors de l’audience, mercredi dernier, Me Chaillou a plaidé la vertu pédagogique de cette photo pour le jeune lectorat, estimant que la publication de cette photo avait une utilité. J’ai beau être amateur de chutzpah, notamment judiciaire, je la préfère quand même dans la fameuse blague yiddish où l’avocat commis d’office réclame l’acquittement de son client qui a égorgé père et mère en expliquant au juge : « Vous n’allez tout de même pas condamner un malheureux orphelin ! » Mais bon, tout le monde – Choc comme Fofana compris – a droit à un avocat et ledit avocat ne peut pas s’écrier, comme dans les procès de Moscou : « Mon client est coupable, punissez-le sévèrement ! »

N’empêche, quelle que soit la validité juridique de leur argumentation, on se dit que sur ce coup-là, il leur fallait défendre l’indéfendable. Le Parquet a en tout cas pris une décision exceptionnelle en ordonnant le retrait du mensuel des kiosques à partir de vendredi 14 heures. Une sanction financière très lourde – qui pourrait être plus lourde que celle qui s’abattra sur Fofana, comme l’a noté Richard Malka. Cela dit, malgré tout le mal que je pense de Choc et de sa « une », il est vrai qu’en refusant à celui-ci la possibilité de plaider en appel avant que la sanction soit effective, le tribunal s’est assis sur un principe normalement intangible de notre droit : tout le monde a le droit à un deuxième procès. Même Choc. (L’audience aura finalement lieu lundi après-midi.)

Merci les gars. La « volonté d’informer » du mensuel va de toute évidence créer un précédent juridique. On n’avait pas retiré de la vente un journal depuis des décennies, gageons qu’une fois que les magistrats auront repris ce genre d’habitude, les demandes de saisies en kiosques vont pleuvoir, et pour des cas autrement plus litigieux. Je sens que la liberté de la presse va encore faire un bond en avant.

Toutes considérations dont je ne trouvai bien sûr pas trace dans mon Libé numérique de ce jeudi. Ce qu’on y vendait au lecteur comme un article sur l’affaire était, en fait, une dépêche AFP qu’on ne s’était même pas donné la peine de rebricoler, j’imagine qu’en cherchant bien, on doit trouver, au mot près, le même article sur une série de sites. Publier plein d’articles et coller à l’actu, ça fait riche…

Ce qu’en revanche, on ne trouvait que sur libération.fr, c’étaient les commentaires de lecteurs. Des commentaires doublement modérés, puisqu’il faut être inscrit sur le site pour pouvoir donner son avis sur les violences policières qui montent ou le lait qui baisse. Là-dessus intervient un modérateur dont on présume que le métier est de veiller à ce que les propos tenus restent dans le cadre des lois en vigueur. Peut-être ce modérateur était-il de repos en ce jeudi de l’Ascension, sinon il n’aurait pas fallu attendre ce vendredi après-midi pour qu’on se décide à retirer du fil des commentaires comme celui-ci, publié par le courageux internaute Guilec741, jeudi à 20 h 52 : « Trop drôle. Les juifs n’aiment pas l’argent nous dit-on, mais ils réclament 100 000 euros, en quoi cet argent va-t-il les soulager, je suis mort de rire de ses contradictions. »

Mort de rire. Trop drôle en effet de voir les immondices qu’ose publier un quotidien qui donne des leçons de morale à la planète entière, qui s’érige régulièrement en arbitre des élégances médiatiques et notamment webistiques. Trop drôle de constater que Joffrin et son armée mexicaine de sous-chefaillons sont tous partis faire le pont à Cannes sans laisser de consignes minima, genre surveiller les sujets « sensibles » voire, si on n’est pas équipé pour, les fermer tout bêtement aux commentaires, comme cela se fait couramment dans les bonnes maisons.

Trop drôle de voir que le modérateur de Libé (ou selon certains bruits de couloirs, le modérateur sous-traité par Libé), de retour de son repos forcé n’ait pas cru utile de zapper le commentaire de Beya, mis en ligne le 21 mai à 14 h 19 et toujours en place ce vendredi soir, qu’il a donc dû juger conforme aux valeurs du journal. Jugez par vous-même : « Je peux dire liberté d’expression tout simplement l’affaire est publique. Les photos aussi à moins qu’il s’agit de pièces à convictions. Et puis les 100 000 euros c’est pourquoi faire !! tout est louche.. A la fin ce n’est plus un français tué par un barbare mais un musulman « barbare » tue un juif « innocent ». »

Ilan Halimi, un juif « innocent » ? Après les photos, doit-on aussi imposer à sa famille le supplice des guillemets ?

Il est vrai que l’affaire n’a pas encore été jugée…



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Ultragauche contre SNCF : l’escalade
Article suivant Nadine Morano, un sujet porteur
De l’Autonomie ouvrière à Jalons, en passant par l’Idiot International, la Lettre Ecarlate et la Fondation du 2-Mars, Marc Cohen a traîné dans quelques-unes des conjurations les plus aimables de ces dernières années. On le voit souvent au Flore.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération