Jihadistes français en Syrie : la Génération Y sur le front


Jihadistes français en Syrie : la Génération Y sur le front

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Je ne sais pas quel sera le contenu exact du plan présenté aujourd’hui mercredi pour lutter contre les « filières » djihadistes. Je ne doute pas, comme d’habitude, que ce phénomène nouveau, inédit par son ampleur, qui voit des centaines de jeunes français ayant tous ou presque moins de vingt-cinq ans partir se battre en Syrie contre Bachar Al-Assad sera très correctement analysé, chiffré, soupesé par d’éminents spécialistes de nos services de renseignements, de nos services diplomatiques, de nos services sociaux,  de nos services de l’éducation nationale, etc, etc… Que tout le monde, selon les nécessités politiques du moment, présentera le phénomène comme une terrible cinquième colonne en puissance au cœur de nos banlieues ou comme un grand malheur qui endeuille d’honnêtes familles françaises dont les rejetons ont été victimes d’un endoctrinement inacceptable.

Après tout, c’est vrai, la chose est inquiétante.

Songez donc ! Il y aurait dans la France de 2014 des jeunes gens avec un idéal.  Oui, un idéal… Il faut reconnaître que c’est terrifiant. On n’y était pas préparé. Un jeune, normalement, ça ne cherche pas à rejoindre une zone de front, sauf au niveau 4 d’un nouveau jeu vidéo. Un jeune, normalement, ça reste chez ses parents jusqu’à trente ans façon Tanguy pauvre qui n’a pas le choix vu le marché du travail et le prix des loyers. Un jeune, normalement, ça appartient à la Génération Y, celle qui n’a pas connu un monde sans téléphone portable, sans internet et sans exposition à la pornographie dès l’âge de douze ans. Un jeune, normalement, ça se désintéresse heureusement des idées générales, de la politique et du droit de vote parce que n’est-ce pas, c’est tous les mêmes, ces bouffons.

Mais voilà que depuis quelques mois, c’est la gueule de bois.

On s’aperçoit soudain alors qu’on était persuadé de les avoir anesthésiés, châtrés, domestiqués qu’il y a une nouvelle espèce de jeunes. Une espèce mutante dont la mutation ne consisterait pas uniquement à vivre vingt quatre heures sur vingt quatre avec des écouteurs dans les oreilles et les yeux braqués sur leur smartphone. Non, une espèce mutante parce qu’elle trouverait qu’un destin tragique est plus intéressant qu’une existence mécaniquement morne et qu’il vaut mieux une fin effroyable à un effroi sans fin. On se rassurera en se disant après tout qu’ils ont tous des prénoms arabes même s’il m’a bien semblé voir des Jordan et des Kevin se glisser dans le lot. On se rassurera aussi en parlant de phénomène somme toute minoritaire. On expliquera ça, savamment, par la géopolitique et les contrecoups du choc des civilisations dans les halls de nos cités.

 

Mais quand même, avouez qu’on ne s’y attendait pas. Des jeunes prêts à mourir autrement que d’une overdose dans les toilettes d’une boite de nuit ou dans un accident de la route, un samedi soir, avec une alcoolémie qui les amènera à se fracasser contre un platane. Des jeunes qui ne rêvent pas d’un « bon métier » après de « bonnes études », des jeunes qui ont du mal à faire de leur seul horizon historique la lutte contre les déficits et la mission de tenir héroïquement dans les tranchées du 3%, en bon soldat de l’austérité à cinquante milliards d’euros le plan. Des jeunes qui ne rêvent pas d’argent facile à travers les modes de réussite obligeamment proposés par la téloche à ceux qui n’ont plus qu’un écran plat comme interface avec le réel : rappeur emperlouzé machiste, vulgaire et violent au point d’aller faire des expéditions punitives dans les locaux du concurrent, footballeur avec un vocabulaire de trente mots et une morale de mercenaire qui lui fait préférer les clubs qui paient bien aux nations qui ne représentent plus rien à ses yeux, ou même star éphémère de la téléréalité à qui on demandera de surenchérir dans le côté « zyva », histoire que tout le monde, acteurs et spectateurs, s’enferment doucement dans des représentations convenues et des cases dessinées par d’autres.

Je ne sais pas, non plus, quelles sont les causes profondes de ce qu’il faut bien appeler cet engagement mais il faut bien reconnaître, aussi déplaisant soit-il, qu’il s’agit bien d’un engagement, c’est à dire la décision de tout laisser derrière soi pour quelque chose qui dépasse. On préférerait que ce soit pour autre chose qu’Allah, soit parce que l’Islam nous inquiète, soit parce qu’on sait que les religions sont l’opium du peuple, soit les deux. Mais enfin, le fait est là : ils s’engagent. Les plus indulgents parlent de romantisme mais personne n’ose aller jusqu’au mot « courage ». Et pourtant, il en faut.

On regrettera juste que ce courage soit mis au service d’un combat douteux qui risque de les faire finir les tripes au soleil du côté d’Alep pour essayer de faire tomber un dictateur qui, ironie de l’histoire, est aussi l’ennemi officiel de la France, une France qui a essayé de lui faire la guerre il y a quelques mois avec le succès que l’on sait. Je ne sais pas si un jeune djihadiste français a le sens de l’humour dans son paquetage. J’en doute mais après tout je n’en sais rien. En tout ça, s’il en a un peu, il doit goûter la saveur de la chose : tout un pays qui s’inquiète pour lui alors qu’il fait sur le terrain ce que ce même pays a voulu faire sans succès.

Enfin, dans cette histoire, on remarquera plus généralement que l’on a de plus en plus de mal, au plus haut niveau de l’Etat et des décideurs divers, à supporter qu’il y ait encore quelques jeunes qui s’engagent un peu fortement, et ce quelle que soit la cause : les veilleurs de la manif pour tous, les anarcho-autonomes de Notre dame des Landes ou du plateau des Millevaches, les antifas ou les black blocs dans les manifs qui dégénèrent, tous sont présentés comme des anomalies suspectes. Dans un récent essai que nous avions évoqué ici, Olivier Bardolle parlait du jeune homme d’aujourd’hui comme d’un « Gulliver entravé ».  Il serait peut-être temps pour nous de réfléchir à comment le libérer, Gulliver, sinon il faut savoir que s’il le fait lui-même avec les moyens du bord, aujourd’hui, ça se termine dans un combat douteux sous le soleil de Levant.

 

 

 



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