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Jean-Luc Mélenchon ou les libertés mises au pas


Promu par les médias histrion officiel de la campagne 2012 mais crédité de scores modestes par les sondages et sans doute voué à jouer les supplétifs de François Hollande au second tour de l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a ce qu’il appellerait peut-être, dans ce langage fleuri dont raffolent les femmes du monde, « une veine de cocu  ». Car pour toutes ces raisons, à cause de son côté bateleur et de ses faibles chances d’être élu, peu d’analystes semblent avoir pris la peine d’examiner de près son fameux programme, L’Humain d’abord, préférant gloser sur ses bons mots, ses coups de gueule et ses froncements de sourcils. Pourtant, ce programme en vaut la peine – en particulier sur une question qui paraît lui tenir très à cœur, celle des libertés, à laquelle il donne des réponses franchement inquiétantes.

Plus de contraintes

Dans un monde dominé par la thématique des droits de l’homme, l’offensive menée contre les libertés par le programme du Front de gauche est naturellement amenée à pratiquer la litote. C’est ainsi que ses attaques contre la propriété privée se trouvent exprimée par une formule délicieuse, « Encourager d’autres formes de propriété » : affirmation quelque peu sibylline, heureusement éclairée quelques lignes plus loin : « notre programme prévoit l’extension de la propriété publique par le développement des services publics. Il promeut de nouvelles appropriations sociales par la nationalisation des grands leviers de l’action économique, industrielle et financière », mais aussi l’essor de la « propriété sociale », et des coopératives, auquel s’adresseront prioritairement toutes les commandes publiques. Encourager des formes alternatives de propriété signifie, en clair, décourager la propriété privée des moyens de production. Marchais est de retour. C’est d’ailleurs toujours sur ce mode qu’est abordée la question des libertés : selon une technique consistant à mettre en avant un droit afin d’en éliminer (ou d’en grignoter) un autre.

Mélenchon évoque ainsi le principe de laïcité, qualifié de « pilier de la République et de condition du vivre ensemble » – car comme chacun sait, il n’y avait pas de République ni de société française avant la loi de 1905. L’avantage de ce genre de principe est qu’il permet de faire (ou de dire) tout et son contraire. Passons sur les détails involontairement cocasses, qui semblent parfois sortis d’un libelle maçonnique du temps du petit père Combes, comme le fait que « le président de la république renoncera définitivement à son titre de chanoine de Saint-Jean du Latran » (sic). Plus sérieusement, le principe de laïcité tel que conçu par Jean-Luc Mélenchon lui permet de supprimer la liberté scolaire – en prévoyant que plus aucun financement public ne sera alloué à la rénovation des écoles privées. Mieux : il le conduit à déclarer qu’il interdira les sectes- le genre d’annonce qui part d’un bon sentiment mais qui pourrait avoir des effets incalculables, personne ne sachant précisément ce qu’est une secte, comment elle se définit, ni ce qui la distingue d’une religion. Sans même parler des conséquences juridiques qu’aurait une telle interdiction, laquelle mettrait la France en contradiction avec toutes les conventions humanitaires qu’elle a ratifiées (Convention européenne des droits de l’homme, Pacte international sur les droits civils et politiques, Charte des droits fondamentaux de l’union européenne, etc.), et entraînerait à coup sûr sa condamnation par la justice internationale.

L’autre obsession de son programme, ce sont les discriminations – lesquelles, comme chacun sait, sont terriblement présentes dans la vie quotidienne des Français en ce début du XXIe siècle. Pour ce qui est des rapports hommes-femmes, par exemple, il est urgent de se « débarrasser du patriarcat » : un concept que l’on croyait passé de mode depuis la mort de Simone de Beauvoir, mais que les associations féministes qui ont collaboré à l’élaboration du programme ont réintroduit par la grande porte. S’en débarrasser en durcissant les règles relatives au sexisme, en renforçant les contrôles, et en alourdissant les sanctions. « Nous adopterons une loi pour l’égalité qui éradiquera toute discrimination » – notamment, grâce à la HALDE, la Big Sister de la lutte contre les discriminations, dont Mélenchon prône la résurrection, le renforcement et l’installation sur un mode décentralisé, afin qu’aucun lieu de l’hexagone n’échappe à son regard bienveillant.

Moins de garanties

A cet amoindrissement des libertés – droit de propriété, liberté d’entreprendre, liberté scolaire, liberté religieuse, liberté d’expression -, correspond un affaiblissement des organes qui ont été peu à peu établis, dans le cadre de l’État de droit, en vue de garantir lesdites libertés.
Historiquement, la première de ces garanties est sans doute le bicamérisme, qui consiste à diviser le Parlement en deux chambres distinctes afin d’éviter qu’une Assemblée unique et toute puissante adopte des lois à la hâte, sous le coup de la passion, au détriment des droits et des libertés. En France, c’est après l’épisode de la Terreur, où la Convention montra à quel point une assemblée parlementaire pouvait être liberticide, que fut introduit le bicamérisme. Héritière du robespierrisme, la gauche communiste y a toujours été hostile, et c’est ainsi qu’à la Libération, devenue majoritaire au sein de l’Assemblée constituante, elle supprima le Sénat dans un premier projet de constitution de la IVe République. Mais c’est aussi pour cela que, consultés par référendum en mai 1946, les Français refusèrent ce projet, l’absence de Sénat étant considérée comme privant les libertés d’une garantie essentielle. Voilà pourtant ce qu’envisage le programme Mélenchon : « Nous proposerons la suppression du Sénat ou sa réforme profonde pour devenir une chambre au relais des collectivités locales et des initiatives citoyennes ».

Deuxième garantie, l’autorité judiciaire : sur ce point, Mélenchon se montre, au premier abord, plutôt rassurant : « nous garantirons l’indépendance de la justice… ». C’est ensuite que cela se gâte … « …à l’égard du pouvoir exécutif ». Ce qui, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui a achevé la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, est devenu inutile, cette indépendance étant désormais acquise. Mais poursuivons : comment Mélenchon propose-t-il d’assurer cette indépendance à l’égard de l’exécutif ? Tout simplement, en faisant dépendre les juges de l’Assemblée, à travers un Conseil supérieur de la justice nommé pour moitié par le parlement, et responsable devant lui. En somme, une instance politique, entièrement dépendante de l’Assemblée, se substituant à l’instance professionnelle qu’est devenu le Conseil supérieur de la magistrature…
Troisième garantie capitale: le Conseil constitutionnel. Et troisième coup de boutoir du programme Mélenchon, qui déclare qu’en cas de victoire, celui-ci sera remplacé par « une nouvelle instance nationale pluraliste chargée du contrôle de constitutionnalité » : formule énigmatique, là encore, qui laisse au moins supposer qu’il ne s’agira pas d’une juridiction, mais, une fois encore, d’un organe politique aux contours mal définis et à l’indépendance peu vraisemblable. La pire des solutions pour protéger les droits.

En somme, il n’y aura rien ni personne, en face de l’Assemblée toute-puissante, pour garantir efficacement les droits et les libertés.
Et le peuple, me direz-vous ? De fait, le programme Mélenchon ne cesse de chanter les vertus de la démocratie participative. Pourtant, là encore, on pourrait s’interroger sur la sincérité de notre héros – et rappeler par exemple qu’en 2005, lorsque fut introduit dans la constitution le mécanisme du référendum obligatoire en cas d’entrée de nouveaux états dans l’Union européenne, un mécanisme qui représente un progrès considérable au regard de la démocratie directe, le sénateur Mélenchon fut l’un des premiers à s’insurger contre celui-ci, prononçant une phrase qui figure depuis dans toutes les anthologies : « Les représentants du peuple auraient-ils moins de légitimité que le peuple à s’exprimer ? »



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est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

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