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IVG: pourquoi pro et anti ne se comprennent pas

Les propos du président du Syndicat des gynécologues relancent le débat


IVG: pourquoi pro et anti ne se comprennent pas
L'émission "Quotidien" rencontre le président du Syndicat des gynécologues, opposé à l'IVG.

Interviewé devant la caméra de « Quotidien », le président du Syndicat des gynécologues Bertrand de Rochambeau a scandalisé le public de Yann Barthès en déclarant de ne plus pratiquer d’IVG. Les catholiques invoquent morale et religion, les militants laïques le droit. Entre ces deux France, le mur de l’incompréhension grandit.


Des hôpitaux français refuseraient de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse, ce qui n’a pas manqué pas de choquer les militants des droits des femmes, y voyant une entrave manifeste à ce que la législation permet pourtant. L’équipe de l’émission « Quotidien », alertée par ces rumeurs, est partie en reportage. Pour constater qu’en effet, dans un hôpital de la Sarthe par exemple, on ne pratique pas l’IVG, et on invite les candidates à se rapprocher d’un autre établissement.

La polémique déclenchée par « Quotidien »

Interviewé devant la caméra de « Quotidien », le président du Syndicat des gynécologues Bertrand de Rochambeau répond en effet qu’il fait jouer sa clause de conscience, et « ne fait plus les choses auxquelles il ne croit pas ». « Nous ne sommes pas là, dit-il, pour retirer des vies ». Le dialogue s’engage, la journaliste répond :

– Retirer une vie à un enfant à naître n’est pas une vie au sens juridique ; ce n’est pas un homicide de faire une IVG.

– Si madame

– Non, au sens du Code pénal c’est pas ça, c’est faux.

Le petit reportage fait grand bruit. Polémique, scandale. La clause de conscience est aussitôt perçue comme le cheval de Troie de la réaction la plus dure, comme le moyen de s’opposer aux droits des femmes en toute légalité. Chez les progressistes en tout cas, ça ne passe pas du tout. Tout ceci mérite un peu d’éclairage et de distance pour comprendre les enjeux du débat.

Droit contre incarnation

Le problème, en effet, est que deux camps ne se comprennent pas. Pour les uns, on est strictement sur le plan du droit, et pour les autres on est sur le plan de l’incarnation. Le vocabulaire employé est d’ailleurs extrêmement révélateur : pour désigner la même réalité factuelle, les uns parlent d’IVG et les autres d’avortement. Les uns sont rangés derrière la journaliste de « Quotidien », laquelle invoque un argumentaire strictement législatif ; et les autres sont rangés derrière un médecin qui explique pratiquer son métier « avec ses tripes ». La loi des uns contre la chair des autres. Le progressisme des uns contre un conservatisme des autres.

Les uns considèrent donc que l’IVG est un droit, une sorte d’acquis social, une pratique consubstantielle au régime politique en place garantissant des libertés individuelles croissantes (la démocratie) ; et que la vie de l’embryon ne peut se comptabiliser que sur le plan juridique. Juridiquement, en effet, l’embryon n’est pas « une vie humaine » puisque l’embryon n’est pas considéré comme une « personne humaine » à part entière. Ce n’est donc pas une vie dont il est question lors d’une IVG, donc il n’y a pas d’acte de donner la mort. Et comme on ne saurait s’opposer aux acquis sociaux gagnés par la lutte, on ne comprend pas la réponse négative d’en face, qui est reçue comme un empêchement délibéré de jouir de ses droits, comme une entrave à la loi, comme une position liberticide.

Les autres considèrent que le droit est pour ainsi dire nul et non avenu dans ce débat. L’embryon n’est évidemment pas une chose inerte, c’est donc une chose vivante. Cette chose vivante n’est pas le corps de la femme, elle est DANS le corps de la femme, à ce titre c’est donc un être. Et comme cet être vivant est constitué de cellules humaines lui conférant son identité (génétique) propre, c’est un être humain, donc une personne humaine. À ce titre, interrompre sa vie c’est par définition la tuer. La clause de conscience est invoquée parce que le rôle de la médecine est de guérir, et qu’être enceinte n’est pas une maladie ; le rôle de la médecine est en principe de garantir le meilleur développement d’une grossesse (c’est-à-dire d’un petit être humain), pas de l’achever sans motif médical sérieux.

« L’humain d’abord », mais comment? 

En outre, si pour les uns l’IVG ne concerne que la femme, pour les autres au contraire l’avortement ne concerne que l’enfant à naître. Deux paradigmes irréconciliables, qui ne sont pas séparés par une différence de degré d’ouverture aux conditions de l’IVG ou de l’avortement, mais séparés par une différence de nature, par une différence fondamentale de perspective.

Malheureusement, le divorce va croissant entre ces deux France, qui ne perçoivent pas clairement la nature de leur opposition à la position de l’autre. L’avortement est le sujet de ce billet, mais la même ligne de fracture parcourt les grands débats de notre siècle, de la PMA à l’identité nationale : il faudra pourtant bien trouver un terrain d’entente entre ceux qui veulent un monde où le droit régit le vivant, et ceux qui veulent un monde où le vivant régit le droit. « L’humain d’abord » proclament les tracts de l’extrême gauche. C’est en substance ce que répondent les anti-IVG d’extrême droite. Encore faut-il parler la même langue…

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est architecte.

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